La Fondation pour l’innovation politique décrypte les attentes des 16-29 ans dans 17 pays. Les Français sont parmi les plus pessimistes.
Hyperconformistes, résignés, sans guère d’espoir de changer la société, ni même de maîtriser leur avenir personnel… Le portrait des jeunes Français publié aujourd’hui par la Fondation pour l’innovation politique (www.fondapol.org), sur la base d’un sondage international mené par Kairos Future, fait froid dans le dos. «Quarante ans après mai 1968, les jeunes Français ne semblent avoir réussi à gagner que l’autonomie sexuelle et quelques stations de radios qui leur sont dédiées», commente Anna Stellinger, directrice de recherche à la Fondapol.
Pour le reste, les slogans de ce printemps-là paraissent bien loin. Aujourd’hui, parmi les jeunes de 16 à 29 ans, interrogés dans dix-sept pays, les Français sont quasiment les seuls à affirmer que l’obéissance est une qualité plus importante à développer chez l’enfant que l’indépendance. Ils sont aussi moins nombreux que les autres à faire ce qu’ils veulent vraiment. Ils considèrent plutôt qu’il est «important de se conformer aux attentes des autres».
Seuls les jeunes Russes les surpassent sur ce terrain-là. La société française apparaît ainsi bien plus contraignante que l’américaine ou celle des pays scandinaves. La jeunesse française est aussi la plus pessimiste. À peine un quart des 16-29 ans juge l’avenir «prometteur», contre près de 60% au Danemark et 54% aux États-Unis ou même 36% en Allemagne. Bien moins de la moitié (39%) pensent que «les gens peuvent changer la société». Et seuls 22% estiment qu’ils ont «une liberté et un contrôle total sur leur avenir». Plus de la moitié des Américains en sont pourtant persuadés.
Les jeunes Français sont là aussi avec les Russes ceux qui redoutent le plus le libre-échange et la concurrence mondiale. Comment expliquer cette situation ? Pour la Fondation, une partie de la réponse vient du fait que «la France concentre la flexibilité de l’emploi sur les jeunes». C’est l’un des pays où ils entrent le plus tard sur le marché du travail. A contrario, dans les pays scandinaves ou anglo-saxons, deux modèles pourtant très différents, la flexibilité est plus répartie. L’Allemagne, elle, profite encore de son système d’apprentissage qui facilite l’entrée sur le marché du travail et le passage à l’âge adulte en douceur.
Crise de confiance
Pour Patricia Loncle, chargée de recherche à l’École des hautes études en santé publique, ce pessimisme français vient aussi d’une défiance à l’égard du système éducatif.
La plupart des jeunes interrogés estiment que l’identité se forme dans la famille, avec ses amis mais aussi par l’éducation. En revanche, pour les Français, la scolarité semble souffrir d’une crise de confiance. Elle compte peu dans la construction de leur personnalité. Pour autant, les Français ne sont pas isolés dans leur pessimisme. Leurs homologues Italiens, qualifiés d’«adulescents», ne sont guère mieux lotis, coincés qu’ils sont chez leurs parents, même au-delà de 30 ans. Le remake de Tanguy pourrait être tourné à Rome. Or, plus les jeunes prennent tôt leur autonomie financière, plus ils paraissent confiants, optimistes et satisfaits de leur famille… Cette autonomie précoce réussit ainsi très bien aux jeunes Scandinaves qui du coup se sentent adultes plus vite ou aux jeunes Américains.
L’autre grande jeunesse déprimée d’Europe est la jeunesse britannique. La «troisième voie» de Tony Blair ne l’a pas convaincue. Seuls 7% des 16-29 ans pensent que l’avenir de la société est prometteur (26% des Danois, 18% des Américains). Ils ne croient guère plus que les Français qu’ils ont le pouvoir de le changer. Mais alors qu’en France les jeunes espèrent une vie meilleure grâce au travail, les Britanniques en sont revenus. «C’est une jeunesse no future», commente Anna Stellinger.
En conclusion, Anna Stellinger et Raphaël Wintrebert, sociologue à la Fondapol, insistent sur la nécessité de redéfinir l’action publique en faveur de la jeunesse, là où elle déprime.
En France, la Fondapol se prend à regretter que le RMI ne commence qu’à 25 ans, ce qui retarde autant l’émancipation de la famille. Les chercheurs constatent aussi que les aides sont trop souvent familiales et pas assez individualisées, trop souvent liées à une situation et pas assez à un objectif (l’accès à l’emploi, à l’éducation…).
Les pistes d’action ne manquent pas, notamment pour faciliter l’autonomie financière, comme donner un capital à chaque enfant à sa naissance pour financer ses études ou son logement (comme au Royaume-Uni) ou développer des prêts bourses à la mode scandinave pour financer les études, conditionnés aux résultats scolaires et en partie remboursables .
La Fondapol défend une autre idée : celle de l’implication plus précoce des Français dans la vie politique locale en capitalisant sur l’«engagement» et leur volonté de participation révélée par le sondage.
Source : Le Figaro, article de Sophie Gay (3 janvier 2008)