Le mouvement écologiste est-il en retard d’une guerre énergétique ? Pendant qu’il se focalise sur la promotion des énergies renouvelables, la bataille sur le front principal, celui de l’efficacité énergétique, est en train d’être discrètement perdue, dans les replis des discussions européennes. En mars 2007, le conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement adoptait plusieurs objectifs pour 2020 : ” Une proportion contraignante de 20 % d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique ” ; ” l’engagement ferme de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 20 % “. Si ces décisions étaient ” fermes ” ou ” contraignantes “, la troisième restait indicative : le conseil se bornant à ” souligner qu’il est nécessaire d’accroître l’efficacité énergétique dans l’UE afin d’économiser 20 % de la consommation énergétique “.
Ces délibérations allaient être mises en oeuvre dans un projet législatif dit ” Paquet énergie climat “. Celui-ci, proposé par la Commission en janvier, est âprement discuté cet automne. La négociation communautaire se focalise sur deux sujets : le marché des émissions de gaz à effet de serre et le statut des énergies renouvelables. Mais, comme le relève l’association Greenpeace, aucun des textes en discussion n’aborde la question de l’efficacité énergétique, alors même que tous les experts reconnaissent que les économies d’énergie constituent le moyen le plus avantageux pour prévenir le changement climatique.
Selon l’Agence internationale de l’énergie, les actions d’efficacité énergétique qu’elle a présentées au G8 en juillet ” pourraient éviter l’émission de 8,2 milliards de tonnes de gaz carbonique par an en 2030 “, soit plus du tiers des émissions actuelles mondiales de CO2.
Autre intérêt majeur d’une telle politique : elle est la plus rentable sur le plan économique. Un investissement initial dans la maîtrise de l’énergie est rapidement remboursé, puis profitable, du fait de la réduction des dépenses d’importation de combustibles qu’il permet. Selon le Livre vert sur l’efficacité énergétique publié par la Commission européenne en 2005, l’Union ” pourrait économiser au moins 20 % de sa consommation d’énergie actuelle avec un bon rapport coût-efficacité, équivalent à 60 milliards d’euros par année “. Cette estimation était opérée en 2005, lorsque le prix du baril de pétrole était inférieur à 50 dollars. Fin 2006, les experts européens l’ont portée à 100 milliards d’euros. Une étude de l’institut allemand Wuppertal, que va prochainement publier le WWF, situe maintenant, avec un baril de pétrole à 100 dollars, l’économie possible sur les importations d’énergie à 220 milliards d’euros.
Cette démarche est aussi le meilleur moyen d’assurer la sécurité énergétique, en limitant la dépendance à l’égard de la Russie et du Moyen-Orient. Dans son rapport au premier ministre, ” Sécurité énergétique et Union européenne “, rendu en avril, Claude Mandil écrivait : ” Il importe de se rendre compte, et de faire clairement savoir à l’opinion publique, que (l’efficacité énergétique) est aussi un moyen extrêmement efficace et peu coûteux d’accroître la sécurité énergétique.”
Au moment où la récession menace, les politiques d’économie d’énergie présentent l’intérêt supplémentaire de générer beaucoup d’emplois. ” L’Europe est leader mondial dans ce domaine et les services énergétiques ont en grande partie un caractère local, indiquait le Livre vert de 2005. Cela signifie la création de nombreux nouveaux emplois de haute qualité. (…) Cette initiative pourrait créer un million de nouveaux emplois en Europe. ” On cherche en vain des arguments critiquant les bénéfices de telles politiques. Le paradoxe n’en est que plus grand de les voir oubliées par les hommes et femmes politiques et promues mollement par beaucoup d’écologistes. Plusieurs raisons l’expliquent. D’une part, comme l’observe Damien Demailly, chargé du changement climatique à WWF France, ” il n’y a pas un lobby de l’efficacité énergétique aussi puissant que le lobby des énergies renouvelables “.
D’autre part, la recherche de l’efficacité énergétique ferait porter l’effort sur les consommateurs et le secteur tertiaire, ce qui est politiquement plus difficile à réaliser. Pourtant, même s’il est toujours populaire d’incriminer l’industrie, celle-ci a beaucoup mieux réussi à maîtriser ses émissions de gaz à effet de serre que les particuliers : selon le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa), les émissions de l’industrie en France ont diminué de 19,4 % depuis 1990, alors qu’elles ont augmenté de 21,8 % sur les transports et de 15,2 % sur le résidentiel, le tertiaire et le commercial.
ECONOMIE ÉCOLOGIQUE
Pourtant, oublier l’efficacité énergétique est contre-productif pour les énergies renouvelables, dont le coût subventionné pourrait être moins accepté dans la période de vaches maigres qu’annonce la crise financière. Selon la députée européenne (PS) Marie-Noëlle Lienemann, ” on n’atteindra pas l’objectif de 20 % d’énergies renouvelables si l’on ne réduit pas la consommation d’énergie “. En effet, la part des renouvelables ne pourra pas augmenter si la consommation d’énergie augmente, la tendance naturelle des grands producteurs étant plutôt de recourir au gaz, au charbon et au nucléaire, qui restent moins coûteux à court terme. Même l’objectif de réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre risque fort d’être manqué en l’absence d’économies d’énergie : il ne pourrait en effet être atteint qu’en recourant au marché du carbone, par le biais du mécanisme de développement propre, qui permet de reporter les efforts hors d’Europe. Or, si celle-ci veut créer le modèle d’une économie écologique, il faut qu’elle puisse en être l’exemple sans ambiguïté.
Au fond, il s’agit de renverser les raisonnements en matière de politique énergétique. Celle-ci a jusqu’à présent été inspirée par une logique de production, les grandes compagnies de pétrole, de gaz, de nucléaire et de vent se battant pour obtenir une part sur le marché, ce qui entraîne nécessairement une pression à l’augmentation de la consommation. L’avenir sera au contraire de privilégier les actions sur la demande, dans le sens d’une sobriété permettant d’obtenir les mêmes satisfactions à moindre coût. Que l’Europe se fixe un objectif clair d’économie d’énergie est essentiel. Il pourrait s’imposer par le biais d’amendements au Parlement européen ou en l’affichant en conseil européen. Il est de la responsabilité des décideurs de le soutenir avec… énergie.
Auteur : Hervé Kempf, Service Sciences/Environnement, kempf@lemonde.fr
Source : Le Monde, 15 octobre 2008