Dans cet article paru dans Le Mercure de France le 15 avril 1907, l’abbé Lemire invite les catholiques à relativiser les conséquences de la séparation et même à y chercher des raisons d’espérer dans l’avenir de leur Église.
La séparation va-t-elle dissoudre le catholicisme ou lui donner des adaptations sociales nouvelles, lesquelles feront croire aux yeux superficiels qu’il y a évolution quand il n’y a plus qu’harmonie avec l’ambiance, quand il n’y a, je ne puis mieux dire, qu’adaptation nécessaire et puissante et efficace. Je crois fermement que c’est la seconde chose dont vous serez témoins. Entre le catholicisme social des catacombes et le catholicisme politique de Théodose, entre celui-ci et le catholicisme social du Moyen Âge, entre le catholicisme féodal et celui du concordat monarchique, entre ce dernier, qui est mort en France, et celui dont nous allons faire l’expérience, difficile mais féconde, que s’est-il passé ? Y a-t-il eu évolution religieuse ou adaptation à l’ambiance ? Je laisse la parole aux historiens ; mais, quelles que soient leurs terminologies, je suis sûr qu’ils me diront qu’il s’est rencontré des transitions moins rapides que celle à laquelle nous assistons en France, moins faciles même et surtout moins riches d’espérance. On nous impose en effet le régime de l’association. En est-il un plus conforme à notre constitution religieuse essentielle ? Pourvu qu’on nous laisse respecter notre hiérarchie, – on fait plus que nous le permettre, on nous y convie. On nous demande d’inscrire ce respect dans nos statuts et on s’offre à les enregistrer, tels quels, et à leur donner force légale ; – pourvu qu’on nous laisse faire tous les actes de notre vie religieuse soit individuelle et privée, soit collective et publique, – pourvu qu’on nous traite comme les autres citoyens : qu’avons-nous à craindre ? Sommes-nous moins capables d’énergie, de réflexion, de bon sens, de dévouement, d’esprit de sacrifice ? Un catholique qui n’est pas un homme dans toute la force de ce mot, est-il vraiment un catholique ? La grâce ne repose-t-elle pas sur la nature ? N’a-t-elle point pour effet de la purifier, de l’élever, de la transfigurer ?
Alors ? Qu’avons-nous à craindre du progrès, de la liberté civique, de la solidarité sociale, de l’émancipation humaine, de toutes les transformations que la science, que les communications faciles, que les inventions de toutes sortes multiplient ? Rien ! Nous n’avons rien à craindre. J’ose dire que nous avons beaucoup à espérer. L’Évangile n’a pas donné tous ses fruits et le catholicisme n’a pas développé toutes ses forces. J’ai l’intime conviction que tout ce qui arrive autour de nous en France prépare pour l’Évangile et pour le catholicisme le plus merveilleux champ d’action qu’ils aient connu jusqu’ici. Nous ne faisons que commencer à l’apercevoir ; quelques-uns tournent les yeux vers lui ! Mais nous en sommes encore, pour la plupart, aux séparations nécessaires, aux ruptures avec les préjugés, avec les étroitesses, avec un monde qui s’en va. Laissez-le aller. Mais ne croyez pas que nous, catholiques, nous nous en allons !