Compte rendu de la conférence-débat organisée le 14 octobre 2015 par Luc Chatel, pour les éditions Temps Présent, à l’occasion de la parution du livre L’Évangile sur les parvis
I- L’Évangile sur les parvis. Pourquoi ce titre ? Et pourquoi ce livre ? par Lucienne Gouguenheim [1]
Parvis, c’est le nom d’une fédération d’associations, une cinquantaine aujourd’hui ; c’est aussi le nom de la revue dont s’est dotée cette fédération en 1999, conjointement avec la maison d’éditions Temps Présent.
Jacques Chatagner justifiait ainsi le choix de ce terme :
Parvis : un espace ouvert. Sans frontières. Sans clôtures. Où les paroles peuvent circuler librement, s’écouter, s’affronter, se répondre. Mais aussi un passage, un entre-deux : du sanctuaire à la rue, de la rue au sanctuaire. Invitation à aller au-delà des fausses oppositions : profane et sacré, monde et Église, Homme et Dieu. Invitation à retrouver l’idée centrale de Dietrich Bonhoeffer, d’un Dieu qui n’est pas dans l’au-delà de la Terre, mais au milieu de son ici-bas : « Transcendance de l’ici-bas ».
Conçue dans le sillage du Concile de Vatican II, la Fédération a pris corps face aux menaces de reprise en main cléricale et réactionnaire illustrée par l’éviction de l’évêque Jacques Gaillot. Elle s’est d’abord proclamée rassemblement de « chrétiens en liberté », militant « pour d’autres visages d’Église » et revendiquant le droit à la parole.
Puis, les grands défis qui façonnent la destinée de l’humanité sont passés avant les préoccupations concernant les institutions ecclésiastiques. Et l’identité a été reformulée de la façon suivante :
« À l’écoute de l’Évangile, libres et unis dans la diversité des Réseaux du Parvis, nous partageons nos recherches et nos convictions, et nous sommes engagés avec les femmes et les hommes de tous horizons qui travaillent à bâtir un monde plus juste et plus fraternel. »
Pourquoi ce livre ?
Depuis sa création en 1999, la revue a publié régulièrement 4 puis 6 numéros chaque année, ainsi que 30 numéros hors série. Relire ces milliers de pages nous fait relire une histoire, le cheminement d’une génération de chrétiens qui se réfèrent au Concile Vatican II et se présentent comme en ayant été les témoins.
C’est aussi l’histoire d’une espérance invincible, malgré les pesanteurs et les espoirs déçus. De 1962 à 1965 les catholiques, mais aussi le monde autour d’eux, avaient suivi avec passion les débats du Concile Vatican II et avaient senti un souffle nouveau : l’Eglise s’ouvrait au monde et à la modernité. L’année 1968 allait ensuite bousculer les sociétés.
Et puis de nouveaux murs ont arrêté le vent, de nouveaux conservateurs ont pris le pouvoir, les sociétés et les Eglises se sont crispées, la finance a pris le pas sur le politique…
Mais cinquante ans après, nous sommes toujours là, avec d’autres, pour rappeler que Jésus de Nazareth est venu « pour que tous aient la vie, et qu’ils l’aient en abondance ».
C’est ce cheminement, ces combats partagés, ces débats, ces questions, ces convictions, vécus dans la diversité des associations du Parvis, que ce livre veut rappeler. Non comme des mémoires d’anciens combattants, mais plutôt comme un rapport d’étape.
Un livre écrit par qui ?
Il est doublement collectif. Il a été conçu et réalisé au sein d’une équipe vaillante que nous avons animée, Jean-Bernard Jolly, Didier Vanhoutte et moi-même. Par ailleurs il reprend des articles d’une cinquantaine d’auteurs publiés dans la revue.
Organisé comment ?
Si la revue a porté à ses débuts une grande attention aux critiques et revendications concernant l’institution ecclésiastique, d’autres questions ont par la suite paru plus déterminantes.
Après avoir présenté les motivations de la revue et de la Fédération d‘associations dont elle est l’expression, et les grandes lignes du chemin parcouru, nous avons choisi de partir des analyses provoquées par les défis et les crises du monde et par celles des engagements concrets suscités dans ce contexte, pour ensuite expliciter les racines évangéliques de ces engagements.
La démarche se poursuit par des réflexions sur la foi et la spiritualité, elles-mêmes nourries de ces expériences de la vie du monde et dans le monde.
L’engagement dans la société est porté par l’Evangile ; la vie dans la société conduit à un chemin de foi renouvelé. Ces deux cheminements se complètent.
En contrepoint aux articles de fond, de nombreux témoignages, provenant des associations ou des lecteurs, ainsi que des citations brèves sont présentés dans chacune des parties dans un chapitre final intitulé « Florilège ». Ils témoignent de la vie et de l’interaction constante entre la revue et ses lecteurs.
II – Intervention de Guy Aurenche, président du CCFD-Terre solidaire [2]
Je suis très ému de parler de ce livre. Hier soir, dans un petit groupe de lecture de l’Évangile, nous relisions la parabole du semeur et une note de bas de page expliquant que celle-ci a été réécrite par les communautés chrétiennes d’origine au moment des persécutions, ce qui explique l’idée : « il faut tenir bon, il faut être enracinés ».
Ce livre a beaucoup de mérites en dehors des paroles riches qui nous ont été lues. Il nous réinvestit non pas dans le droit, mais dans le devoir de réinterpréter les paraboles, la parole de Dieu. Non seulement celle qui a été écrite il y a quelques siècles, mais celle qui s’écrit encore aujourd’hui. Et c’est très important qu’à travers ces chapitres nous nous donnions le temps, la respiration et les moyens de nous approprier cette parole, cette Bonne Nouvelle et de l’interpréter dans l’éclairage des questions d’aujourd’hui. C’est un grand merci. Je me méfie toujours des livres qui juxtaposent des textes sans bien les organiser. Ce n’est pas le cas ici, où tout est bien organisé. On sent surtout cette profondeur de ce projet de nous aider, quelle que soit notre proximité avec cette Bonne Nouvelle de Jésus vivant, à nous réapproprier ce droit à la parole. De reprendre en nous cette parole, de la faire nôtre. C’est dire : oui, j’ai droit à la parole, j’ai le droit et ce n’est pas vous seuls qui allez nous dire comment.
C’est une vraie émotion, très sincère, que je partage avec nos amis de Parvis.
Le CCFD est heureux de cette occasion de vous accueillir ici. Je sais toutes les connivences qui ont existé, qui existent aujourd’hui entre Parvis et le CCFD-Terre solidaire.
Le CCFD est né en 1961 en réponse à un appel de la FAO : c’est la société civile qui crie d’abord et c’est en réponse à cet appel de la FAO que le pape Jean XXIII, qui prend au sérieux ces cris des hommes et des femmes de son époque, à invité l’Église à s’associer à cet appel. C’est rare que l’Église prenne une initiative à l’extérieur d’elle-même. Car en général nous répondons aux questions internes, à des questions que le monde ne se pose plus. Un comité dès le départ avec une organisation collégiale. C’est le seul lieu dans l’Église où autour d’un projet précis on essaye de faire dialoguer les Jeunesses mariales, la JOC, les Scouts et Guides de France, l’Enseignement catholique, le CMR… C’est l’inspiration des Parvis qu’il y ait ce dialogue à partir d’expériences différentes.
Un service catholique. Joie de participer à la communion, mais aux 4 coins du monde. Pourquoi dire « mais » ? C’est parce que nous sommes catholiques que nous allons aux 4 coins du monde.
Solidarité mise en œuvre à partir du partenariat. C’est là où résonne l’Alliance. Très important : c’est parce que nous sommes catholiques que nous prenons ce risque du partenariat avec des partenaires qui ne partagent pas la même adhésion à la parole de Dieu. Ce n’est pas un dérapage. Je suis content de le rappeler aux évêques : catholique veut dire universel.
Premier point : Ce choix de la solidarité est une réponse à l’appel de la société. Cf. « Laudato si’ » n° 17
Les réflexions théologiques ou philosophiques sur la situation de l’humanité et du monde peuvent paraître un message répétitif et abstrait si elles ne se présentent pas de nouveau à partir d’une confrontation avec le contexte actuel, en ce qu’il a d’inédit pour l’histoire de l’humanité. Voilà pourquoi avant de voir comment la foi apporte de nouvelles exigences face au monde dont nous faisons partie, je propose de nous arrêter brièvement pour considérer ce qui se passe dans notre maison commune.
Le discours théologique est abscons. Il faut prendre le temps d’entendre les questions, les cris, les analyses ; il faut que nous fassions le tour de l’état de notre maison commune.
C’est à partir de ça que le CCFD-Terre solidaire en faisant le tour de ces questions vit les réponses des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Pas de « mais », pas de complexes, nous sommes à l’unisson de l’Évangile quand nous allons à la rencontre de l’autre, quand nous nous laissons transformer par l’autre, aussi peu chrétien que soit cet autre.
Ne nous laissons pas marginaliser dans la réaction. Nous ne sommes pas des réagissants, nous sommes des professants, nous sommes des annonçants. Et c’est positivement que cet Évangile est perçu comme l’Évangile de la solidarité, du partenariat.
Deuxième point : Nous sommes à l’affut de ce qui naît. Je cite Teilhard de Chardin (1936) : « Si le chrétien (j’ajoute, aujourd’hui, ‘chaque homme, chaque femme’) n’est pas en pleine sympathie avec le monde, il continuera à condamner toute nouveauté sans distinguer parmi les souillures et les maux les efforts sacrés d’une naissance. »
La mission de Parvis n’est pas de réagir. C’est de témoigner des efforts que je fais, de témoigner des naissances aujourd’hui dans le monde, dans la France, dans l’Église.
Avons-nous fait le choix dans nos stratégies de témoigner non de ce qui meurt, de ce qui entraîne nos protestations, mais de ce qui pousse, de ce qui germe ?
Et là-dessus je rejoins le rôle de la société civile. Nous sommes à l’affut de ce que nos partenaires du monde entier font naître. Célébrer la naissance.
Troisième point : crispation, globalisation, mondialisation. Le grand défi : contribuer à la construction de la maison commune. C’est l’horizon d’aujourd’hui.
Premier défi : l’interdépendance. L’avenir de nos enfants se joue à Brasilia. Comment gérer la guerre économique, la concurrence meurtrière ? Ce choix conduit à un monde nouveau, celui du « que le meilleur gagne ». Les 2/3 de l’humanité marginalisés, c’est la conséquence directe de ce choix. Et la société civile dit de façon réaliste que c’est en partenariat qu’il faut gérer l’interdépendance généralisée. Même si ce n’est pas facile. C’est la seule réponse réaliste pour relever le défi de la crispation.
Deuxième défi : la mondialisation. La « globalisation du paradigme technocratique » dixit le pape (n°106 et suivants). A partir du moment où on a misé sur la croissance qui sauvera, on est devenus des esclaves de la technique devenue raison d’être.
Troisième défi : la complexité du monde. Nous sommes capables de la gérer : Edgar Morin nous le fait comprendre. En France, nous sommes à la remorque des péripéties électorales : surtout ne pas prendre le risque du débat. Le risque du Front National entraine la tétanisation. Dans la société civile, on se dé-titanise, on revient au bien commun. Proposons nos convictions. Nous sommes l’Église (je préfère sans « aussi »). Nous sommes l’Église « avec », plutôt que « aussi ». Avec plein d’initiatives, de choses qui bougent. La voix institutionnelle est complètement atone, entre essoufflement et tétanisation quand 3 ou 4 évêques sortent leur dard : on risquerait de montrer que la sainte et totalement factice communion est brisée par des avis divergents.
Retenir ce qui nait dans cette Église d’aujourd’hui.
1- La société civile est, j’en témoigne, un réservoir de sens. C’est souvent dans cette société civile que nous redécouvrons, partageons du sens à travers des itinéraires très différents (cf. nos partenariats). C’est un Kairos magnifique que cette société civile comme réservoir de sens.
2- La société civile est un réservoir aussi d’hommes et de femmes qui n’ont pas baissé les bras, qui mettent les mains dans le cambouis. La société civile fait marcher beaucoup de choses. C’est un réservoir de mains ouvertes.
3- La société civile est un réservoir de joie. Je renvoie au n° 244 de l’encyclique, après tout ce qui a été dit avant ! Que nos luttes et préoccupations pour la planète ne nous enlèvent pas la joie de l’espérance.
Joie, certitude de l’espérance qui repose sur la confiance. Les alliances de la société civile ne sont possibles que sur une confiance partagée.
En conclusion :
1- La société civile est un réservoir de sens. Il existe peu de lieux où on peut discuter avec des hommes et des femmes de perspectives différentes sans être un lieu de débat électoral. Mais pour se dire le sens que l’on donne aux actions.
2- La société civile est un réservoir de main-d’œuvre, une troupe de main d’œuvre intelligente qui comprend que tout est lié, crise écologique, sociale, éthique. L’action de plaidoyer du CCFD-Terre solidaire œuvre à la transformation d’un système malsain, pervers, à ce qu’on appelle la transformation sociale.
3- Me référant à l’entretien que j’ai eu avec Jean-Marie Kohler et qu’il a admirablement retranscrit pour la revue Parvis, voulons-nous un « alterchristianisme » ? Le CCFD espère être fidèle à la parole de Jésus Christ qui est une parole de bonheur, une parole d’Alliance, une parole de confiance. Il ne s’agit pas de créer des poches de résistances, mais de dire que c’est ensemble, y compris avec des non-croyants, que nous tentons de faire vivre cette parole.
III – Intervention de Claude Simon, professeur d’économie à l’ESCP, membre du collectif Roosevelt [3]
Institution
Robert : Ensemble des structures organisées tendant à se perpétuer, dans chaque secteur de l’activité sociale. Institution littéraire, juridique, artistique d’une société.
Philo Godin : Ensemble des structures et organisations du pouvoir politique et social qui gouverne une société donnée.
Remarques préalables :
-Certaines institutions sont en crise (les partis politiques, les syndicats, des églises), mais d’autres vont très bien : les marchés financiers vont très bien ; ils détiennent une large part du pouvoir
-Il n’y a pas un pouvoir (nous ne sommes plus, fort heureusement, au temps du pouvoir absolu), mais une hiérarchie de pouvoir : politique, économique, culturel…
Y a-t-il crise ?
Oui et très profonde, et sa dimension économique n’est que la partie émergée, bien au-delà de celle déclenchée en 2007 2008 qui n’est pourtant pas à négliger
2 causes :
- Approche matérialiste empruntée à l’analyse marxiste : la divergence infrastructure/superstructure (rappel infra = bases matérielles de la société ; superstructure = essentiellement les institutions, les voilà : l’État, la religion, de système juridique…) selon Marx l’infra détermine le super (c’est le matérialisme historique), mais surtout il doit y avoir harmonie entre infra et super
Or actuellement :
- l’infrastructure économique est mondialisée (les marchandises et capitaux circulent librement, les entreprises multinationales dominent)
- la superstructure notamment étatique reste nationale
On en voit les conséquences partout : paradis fiscaux, circulation libre des marchandises et capitaux, mais pas hommes !!!
- Approche plus « spiritualiste ? »
- Victoire de l’idéologie néolibérale
- Bref rappel historique :
- Siècle des lumières : par la raison l’homme s’affranchit de tutelles (celle du pouvoir absolu, celle de l’église [de l’église, mais pas de Dieu] ; c’est le triomphe de la liberté et de l’individu
- 1789 – 1980 : le libéralisme triomphe dans notre monde occidental
- 1940 -1980 : élaboration de l’idéologie néolibérale [Hayek, Friedman]
« L’expression de justice sociale est entièrement vide et dénuée de sens »
« Le contrôle économique est bien le contrôle tout court de toute vie »
« L’une de nos thèses majeures sera que les ordres extrêmement complexes comprenant plus de faits distincts qu’aucun cerveau n’en peut constater ou manipuler, ne peuvent être produits qu’à travers des forces poussant à la formation d’ordres spontanés ».
- Décennie 80 : l’idéologie néolibérale arrive au pouvoir et avec elle les marchés financiers prennent l’essentiel du pouvoir.
Conclusion : l’institution marché financier a pris l’essentiel du pouvoir.
Si je reviens à la question posée :
Oui il y a des institutions en crise : les partis politiques, les syndicats, des églises [tous ces lieux se vident].
Est-ce que cela signifie que la société civile, pour aller vite, les associations, va mieux ?
Et prennent une partie du pouvoir et si oui quel pouvoir et quelle partie : je ne sais répondre [peut être certains sociologues ont fait des études là-dessus, je ne sais] a priori il me semble que non, l’allongement de la durée de vie fait qu’un 3e âge est important de façon quantitative et s’occupe [vision pessimiste] ou s’engage [vision optimiste]. Les associations sont pleines, mais de vieux !!! Quel est l’âge moyen de cette salle ?
Désolé de ce ton pessimiste, mais la seule chose qui me rend aujourd’hui optimiste ce n’est malheureusement pas la perspective de la COP 21 [sur le climat], mais bien les positions et l’action du pape François et je ne sais si je vous l’ai dit, mais je suis un parfait mécréant !
Notes :
[1] Résumé communiqué par l’auteure
[2] A partir des notes prises et l’enregistrement audio
[3] Résumé communiqué par l’auteur
Source des photos : Claude Naud