Par Jean-François Gérard (Reporterre)
Le premier festival d’occupation du tracé du Grand contournement ouest de Strasbourg (24 kilomètres) a rassemblé deux mille personnes les 2 et 3 avril. L’événement est à l’initiative d’un nouveau collectif de riverains : les Bishnoïs.
“C’est sûr, quand c’est concret, ça fait plus mal au coeur. C’est comme Notre-Dame-des-Landes quand on te montre la piste d’atterrissage la première fois”. Antoine, 29 ans, vient de Strasbourg pour la première fois sur le tracé du Grand Contournement ouest (GCO) de Strasbourg, ce projet de rocade payante de 24 kilomètres.
La raison de sa venue ? Le festival des Bishnoï le week-end des 2 et 3 avril. Cet événement festif, mais aussi politique, est la première occupation qui se veut durable du terrain. Jusqu’ici, il n’y avait eu que des manifestations, puis des cabanes construites le long du parcours depuis 2014. Lors de la sixième inauguration en mars, environ 300 personnes avaient fait le déplacement. Quelques jeunes écologistes y ont aussi campé à cinq reprises.
Le festival se tient à Ernolsheim-Bruche. Les espaces naturels appartiennent au châtelain du château de Kolbsheim et à une famille dont la maison est isolée en bord de forêt. Inquiets du bouleversement que signifierait le GCO, les propriétaires ont donné leur accord. Il faut y imaginer un viaduc “d’une dizaine de mètres de haut” selon Dany Karcher, maire sans étiquette de Kolbsheim et opposant.
Une dizaine d’associations, de jeux, de transport en commun ou de protection de la nature ont leur stand. Pour Cédric Oesch, président de l’association Chat pitre & Compagnie, on “est là pour dire que l’on peut s’opposer en s’amusant”. Sur les canettes du chamboule-tout, les visages de François Hollande, Manuel Valls ou Emmanuelle Cosse – qui était venue s’opposer au projet une semaine avant son entrée au gouvernement – et d’élus alsaciens.
Les Bishnoï c’est quoi ?
Alors que le collectif GCO Non Merci [1] existe depuis 2003 (les prémisses du projet remontent aux années 1970), il était surtout composé d’élus locaux et de militants associatifs. Celui des Bishnoïs est animé par de nouveaux opposants parmi les habitants des communes traversées. “Tout le monde était un peu résigné, mais Guillaume Bourlier a réussi à motiver tout le monde en janvier”, explique Laurent Freyermuth, habitant d’Ernolsheim (1.700 habitants) et membre du collectif. “Plus de cinquante personnes, juste de la commune, se sont mobilisées. Pour Ernolsheim c’est énorme”, ajoute l’organisateur, Guillaume Bourlier, très occupé.
Les Bishnoïs sont un peuple indien qui vit dans la nature et se distingue par son fort engagement pacifique pour toute forme de vie. Une référence qui est parue “évidente” à Guillaume Bourlier, qui avait une affiche représentant ce peuple au-dessus de son lit. Certains arborent des turbans sur la tête.
L’emplacement où l’on se retrouve ce week-end peut devenir stratégique. C’est le plus grand espace naturel sur le tracé. Le reste est surtout occupé par des cultures, notamment de maïs. Il y a bien l’un ou l’autre agriculteur présent, mais la FDSEA bas-rhinoise, officiellement opposée au projet, a toujours prôné une protestation modérée et négocie des compensations en échange des hectares impactés.
Malgré un ciel gris et une quinzaine de degrés, le pari est réussi. Sur l’ensemble du week-end, environ 2.000 personnes sont passées par le site, selon les organisateurs. Une vingtaine sont restées camper. Un public varié, avec des militants associatifs le samedi, et très familial et plus nombreux le dimanche. “Et encore, la route et surtout la piste cyclable très empruntée le week-end ont été bloquées par les autorités. On aurait pu sensibiliser des personnes peu informées”, regrette Dany Karcher. Les gendarmes n’ont relevé aucun incident.
A l’entrée du site, des bénévoles organisent une balade de 1,7 km pour faire comprendre les impacts sur la nature de la route. Au Bishnoï, des citadins et villageois se retrouvent. Le jus de pomme est à 1 euro, la bière à 2, les grillades et les salades sont “à prix libre”. Le but est de gagner en sympathie auprès du grand public. Et surtout de ne pas passer pour des zadistes ou des Black blocks à l’image violente. “Mais ça ne veut pas dire qu’on se laissera faire”, prévient Guillaume Bourlier. Signe que la mobilisation a été plus forte qu’escomptée, on manque de nourriture et de gobelets dimanche en milieu d’après-midi.
Autre nouveauté avec cet événement, des opposants à d’autres grands projets ont fait le déplacement au nom de la “convergence des luttes”. Certes, pas beaucoup : trois de l’autoroute A31 bis en Lorraine, quelques Allemands de Rhénanie Palatinat et un de Notre-Dame-des-Landes. Mais les jalons sont posés pour de prochaines fois. Après 900 kilomètres de route nationale, Christian Grisolet, coprésident de l’ACIPA arrive tout juste : “Ca me rappelle notre première occupation. C’était un week-end de juin 2001. On était quelques centaines.”
Une autoroute fruit de l’abandon de l’écotaxe
Son conseil : “faire de l’information au public”. Mais comme le regrette Jean-Claude Lemenu, qui habite une commune voisine, le grand public est lassé par ce serpent de mer enterré et ressuscité. “Dans le patelin, il y a ceux qui se disent pour, mais quand on leur demande pourquoi ils ne savent pas. Le problème, ce sont les trop nombreux camions sur nos routes. En Allemagne, il y a une taxe”. Cette taxe LKW-Maut sur les autoroutes a déporté des transporteurs européens sur l’A35, qui traverse Strasbourg, au détriment de l’autoroute allemande parallèle. Pour cette raison, l’Alsace s’est toujours portée volontaire pour au moins “expérimenter” l’écotaxe et s’est indignée de son abandon.
Bruno Dalpra, porte-parole du collectif Notre-Dame-des-Landes-Alsace [2] croit beaucoup à une meilleure force de frappe en alliant des collectifs : “L’idée, c’est qu’ils se disent ’là il y a besoin d’aide sur Strasbourg maintenant’ et qu’on viendra les aider une autre moment.“ Pour lui, il faudra tôt ou tard se confronter sur le terrain, même pacifiquement. “C’est grâce à l’opposition sur le terrain que les travaux que les travaux à Notre-Dame-des-Landes n’ont pas commencé.”
Repousser les travaux est désormais le meilleur espoir des opposants. Le contrat de concession à Vinci a été publié au Journal officiel le 31 janvier 2016. Mais si les travaux ne commencent pas le 1er janvier 2018, la déclaration d’utilité publique de 2008 devient caduque. Il faudrait alors recommencer toute la procédure d’enquête publique. Dans les annexes du cahier des charges, les premiers coups de pioches sont programmés pour décembre 2017. “Plus d’un an et demi à tenir”, soupire Laurent Freyermuth. “Les Bishnoïs sont lancés”, prévient Guillaume Bourlier !
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VINCI A LA MANŒUVRE, AVEC UN FINANCEMENT TRÈS OPAQUE
Comment Vinci, avec sa mini-société Arcos (15.000 euros de capital) créée pour l’occasion, va-t-elle financer les 518 millions d’euros (hors taxe et frais financiers) de travaux prévus ? Bien que le contrat de concession de 54 ans ait été publié au Journal officiel le 31 janvier, l’Etat n’a pas d’obligation de publier les annexes de celui-ci (contrairement aux concessions passées par les collectivités locales).
Rue89 Strasbourg a mené l’enquête [3] : 41 % des fonds sont apportés par les actionnaires d’Arcos (Vinci Concessions et SOC 44, une holding de Vinci) et les 59 % restant par des emprunts dits Euribor. Mais 150,4 millions d’euros sur les 263,9 de capitaux propres sont apportés par un emprunt au taux de 9 % auprès de Vinci Finance internationale, une filiale domiciliée en Belgique. Un taux déconnecté des prix du marché. Une astucieuse évasion fiscale ? Le montage pourrait être temporaire avant de se tourner vers un “pool bancaire”.
Les péages seront, eux, au niveau de ceux de l’autoroute la plus chère de France, l’A61 en Gascogne : à partir de 3,13 € pour les voitures de classe 1 (soit 13,04 centimes au kilomètre contre 14,67 dans le sud-ouest) et jusqu’à 9,54 euros pour les poids lourds.
En 2012, la concession avait été retirée à Vinci par le nouveau gouvernement au motif officiellement “technique” que le tour de table des investisseurs n’était pas réuni, après que la question ait été politisée par les élus locaux pendant la campagne présidentielle. L’abandon de ce projet figurait même dans l’accord électoral EELV/PS prélégislatives de 2012. Un nouvel appel d’offres avait été lancé en 2015, remporté donc de nouveau par Vinci via Arcos.
Notes :
[1] http://gcononmerci.org/ [2] http://collectif-alsace-contre-nddl.blogspot.fr/ [3] http://www.rue89strasbourg.com/gco-vinci-avance-masque-103775Lire aussi : Le contournement routier de Strasbourg, encore un projet inutile de Vinci
Source : Jean-François Gérard pour Reporterre : http://reporterre.net/Un-non-alsacien-a-l-autoroute-inutile-de-Strasbourg
Photo : © Jean-François Gérard/Reporterre
Bonsoir
Les choses ne sont pas simples, je ne connais pas particulièrement le dossier de ce projet autoroutier ni celui de l’aéroport de ND des Landes, cependant j’invite à réfléchir à ce qui suit :
D’un côté : sûr qu’il y a du fric derrière tout ça et que les décisions sont le plus souvent prises dans une certaine opacité… etc.
D’un autre côté :
– En ce qui concerne les autoroutes, il est certain que le nombre de morts par km parcouru est environ 4 fois moindre sur les autoroutes que sur le réseau non-autoroutier.
La préservation de la vie humaine ne doit-elle pas prévaloir sur toute autre considération ?
Lutter contre un projet autoroutier c’est donc (qu’on le veuille ou non) générer un certain nombre de morts et d’handicapés chaque année !
– En ce qui concerne ND des Landes, le terrain d’aviation actuel est (je crois) très près de Nantes.
Cela entraine pour les habitants de Nantes proches de l’aéroport actuel (qui doivent être j’imagine des gens pas très riches pour habiter en un tel lieu si chargé de nuisances) :
– des nuisances sonores importantes
– de la pollution (au décollage les avions crachent pas mal de saloperies)
– un risque pour sa vie, au cas où un avion s’écrase
Alors que construire en pleine campagne (dans un endroit peu peuplé) à ND des Landes va porter préjudice à bien moins de monde.