Par Jorge Costadoat s.j. [1]
29 Mai 2016 in Religion Digital (Espagne)
Le discours de l’Église concernant l’affectif, la sexualité et la famille est inintelligible pour les jeunes.
Respecter le fait que les catholiques sont des adultes. Les prêtres ne doivent pas décider à leur place.
Amoris laetitia est un texte, et comme tout texte, il doit être interprété. Et dans ce cas il faut le faire, d’autant plus que sur des points importants, ce document laisse les choses dans une certaine pénombre. Pour interpréter ce texte, je prends en compte, en premier lieu, la nécessité de rénover l’enseignement de l’Église. Ensuite, je propose quelques critères, extraits du texte même, qui devraient permettre une lecture novatrice de l’Exhortation papale.
La nouveauté de « Amoris laetitia »
La question de la nouveauté de Amoris laetitia me semble être un angle d’observation et d’appréciation nécessaire. Il m’importe que l’enseignement de l’Église sur la morale sexuelle, matrimoniale et familiale soit renouvelé. Je ne suis pas neutre, je prends position.
La tradition de l’Église a toujours nécessité une actualisation qui permette de la comprendre selon les époques, en tenant compte des changements culturels. Le Pape reconnaît comme nécessaire l’inculturation de l’Évangile.
Les églises locales dispersées dans le monde devraient traduire l’Évangile dans leurs propres catégories culturelles. À ce propos, François fait une demande bien concrète :
« Ce sont les différentes communautés qui devront élaborer des propositions plus pratiques et efficaces, qui prennent en compte aussi bien les enseignements de l’Église que les nécessités les défis locaux. » (199)
Il faut lire cette exhortation apostolique en portant son attention sur ce qu’elle apporte comme innovation, puisqu’aujourd’hui le fossé qui s’est créé entre l’institution ecclésiastique et le sens commun des baptisés est d’une telle ampleur, surtout dans le domaine de vie humaine que, s’il n’est pas surmonté, l’Évangile ne passera pas aux prochaines générations.
Ceci me fait supposer que le Pape a voulu rappeler l’enseignement traditionnel dans des termes tels que tout le monde puisse le comprendre et le vivre. Aujourd’hui, le discours de l’Église concernant l’affectif, la sexualité et la famille est inintelligible pour les jeunes. Aux adultes, il paraît, sur de nombreux points, impraticable. Il est urgent d’annoncer de nouveau l’Évangile dans toute sa radicalité, mais aussi avec tout son sens.
Critères d’interprétation de l’Exhortation apostolique
Premier critère : Amoris laetitia est un dénomination remarquablent évangélique. Le Pape s’intéresse à toutes les personnes, quelles que soient la situation dans laquelle elles se trouvent. (78). François s’adresse aux lecteurs comme si l’Évangile de Jésus était la seule chose décisive. ( 38). La doctrine, les habitudes, l’institution ecclésiastique, tout paraît secondaire par rapport à la nécessité impérieuse d’adresser, aux personnes et aux familles telles qu’elles sont, une parole qui donne un repère et qui réconforte.
L’Evangile de la famille doit être source de « joie » (laetitia). La miséricorde que Jésus a manifestée aux victimes des pharisiens, qui opprimaient les gens avec un discours moralisateur, devrait être au centre de la pastorale de l’Église. La gratuité de la miséricorde de Dieu envers le genre humain s’est manifestée, en dernier ressort, dans le mystère pascal de la mort et de la résurrection du Christ, pour s’écarter du vice de vouloir atteindre Dieu par l’accomplissement d’actes religieux.
Découlant de ce premier critère, il y en a un autre très novateur (deuxième critère) qui est le virage sur la tonalité de l’enseignement de l’Église. Jusqu’à maintenant, en établissant les règles de la morale sexuelle et familiale, la hiérarchie ecclésiale avait privilégié l’idéal. À partir de maintenant, il faudra se concentrer sur la « réalité » de ce que vivent les catholiques.
On maintient haut l’idéal, mais la pastorale doit d’abord s’occuper des personnes et de leur vie dans les multiples situations dans lesquelles elles se trouvent.
Le Pape écrit : « Je rends grâce à Dieu du fait que beaucoup de familles, qui sont loin de se considérer comme parfaites, vivent dans l’amour, réalisent leur vocation et vont de l’avant, même si elles tombent souvent en chemin. Un stéréotype de la famille idéale ne résulte pas des réflexions synodales, mais il s’en dégage un collage qui interpelle, constitué de réalités différentes, remplis de joies, de drames, et de rêves. Les réalités qui nous préoccupent sont des défis. » (57)
Il convient de dire ici que le changement de tonalité dans l’enseignement de l’Église réside en une sorte de conversion de la hiérarchie. François le dit en ces termes :
« En même temps, nous devons être humbles et réalistes, pour reconnaître que, parfois, notre manière de présenter les convictions chrétiennes, et la manière de traiter les personnes ont contribué à provoquer ce dont nous nous plaignons aujourd’hui. C’est pourquoi il nous faut une salutaire réaction d’autocritique. » (36)
Le troisième critère consiste à respecter le fait que les catholiques sont des adultes. Le document exprime une confiance dans la capacité des personnes à exercer leur discernement et à prendre leurs décisions librement en suivant leur conscience. Sur ce sujet, François reconnaît humblement :
« Il nous coûte aussi de laisser de la place à la conscience des fidèles qui souvent répondent de leur mieux à l’Évangile avec leurs limites et peuvent exercer leur propre discernement dans des situations où tous les schémas sont battus en brèche. Nous sommes appelés à former les consciences, mais non à prétendre nous substituer à elles » ( 37)
Les prêtres n’ont pas à décider pour les catholiques. S’ils doivent accompagner les personnes, les aider, analyser leur situation, leur faire connaître l’enseignement de l’Église, les consoler et les encourager, ils n’ont pas à diriger leurs vies. Tout le document est traversé par une consigne d’accompagnement.. Le fondement de ce critère pastoral est christologique. Le Pape dit : « le Seigneur nous accompagne aujourd’hui dans notre souci de vivre et de transmettre l’Évangile de la famille » (Al 60). L’accompagnement est nécessaire, car la vie se déroule par peu à peu, progressivement (Al 273, 295) parce que l’amour croit, se développe, mais aussi fléchit; les personnes échouent, mûrissent petit à petit, apprennent quelquefois, d’autres fois n’y parviennent pas. Tant que nous ne serons pas parvenus au Royaume des cieux, personne ne peut dire que sa famille est parfaite.
Un dernier critère que nous pourrions appeler l’option pour les pauvres. Le Pape opte clairement pour les personnes qui n’ont pas de famille, les familles où règne la violence, ceux que l’on regarde de travers à cause de leur famille. Francisco souffre pour les couples qui sont en échec et pour les divorcés remariés qui ne peuvent communier. L’Évangile est pardon et libération pour les pauvres et les pécheurs.
La réalité familiale dans son ensemble doit être vue à partir de la réalité des plus fragiles, des exclus, des enfants de parents séparés, des orphelins, des adolescentes enceintes, de ceux qui vivent dans la misère, des personnes homosexuelles, des immigrés, de ceux qui n’ont pas pu contracter mariage faute de ressources, des personnes ayant des possibilités différentes, des personnes âgées, et même de ceux qui ont détruit leur propre couple par leur faute.
En somme, le contexte exige que le document soit lu sur le mode de la nouveauté qu’il peut apporter. Dans cette optique, les quatre critères signalés ici aident à découvrir les avancées que l’on veut faire: revenir à la miséricorde de Jésus, passer de « l’idéal » à la « réalité », respecter le fait que les catholiques sont des adultes, et prendre le parti des pauvres.
Note :
[1] Le père jésuite Jorge Costadoat, auteur de cet article, s’est vu retirer sa mission d’enseignant à la faculté de théologie de l’Université Pontificale du Chili par le cardinal Ricardo Ezzati Andrello, Archevêque de Santiago et Chancelier de l’Université, le 12 mars 2015. Le P. Costadoat préconisait la communion pour les divorcés remariés, soutenait l’accueil des homosexuels, soutenait la théologie de la Libération et se montrait ouvert au dialogue interreligieux.
Depuis 2014, ont été dénoncés à Rome trois autres prêtres jésuites : Felipe Berrios, José Mariano Puga et José Aldunante. Il leur est reproché d’avoir une conception trop ouverte de l’Église.
Source originale : http://www.periodistadigital.com/religion/opinion/2016/05/29/cuatro-criterios-para-leer-amoris-laetitia-en-clave-de-novedad-iglesia-religion-dios-jesus-papa-obispo.shtml
Traduction par Régine et Guy Ringwald
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