Maria Lopez Vigil est bien connue des éducateurs religieux et des agents pastoraux dans les communautés chrétiennes de base en Amérique latine pour la série catéchétique Radio, Un Jésus, coproduite avec son frère José Ignacio, qui imagine un Jésus à la peau brune combattant pour la justice sociale. Les militants d’Amérique centrale la connaissent pour ses écrits sur l’Église du Salvador pendant la guerre civile et particulièrement pour sa collection de petits portraits sur la vie de l’archevêque martyr de San Salvador, Mgr Romero. Aujourd’hui, les gens dans son pays d’adoption, le Nicaragua, la connaissent comme une auteure primée de livres pour enfants et comme défenseure de leurs droits.
L’article présenté ici a été publié par nos amis de Redes cristianas .
Les dogmes du catholicisme, la religion dans laquelle je suis née, ne me parlent plus. Les traditions et les croyances du christianisme telles que je les ai apprises me semblent de plus en plus étrangères. Ce sont des réponses. Et devant le mystère du monde, j’ai de plus en plus de questions.
Je rencontre des sentiments similaires chez d’autres personnes, en particulier chez les jeunes, en particulier chez les femmes, qui ne nient pas Dieu, mais qui sont à la recherche d’une spiritualité qui nourrisse vraiment le sens de leur vie. Et dans la recherche de ce trésor – où placer leurs cœurs – ils prennent leur distance, s’éloignent, interrogent et même rejettent la religion qu’on leur a apprise.
Qu’est-ce qui nous arrive ? Qu’est-ce qui m’est arrivé à moi ? C’est que j’ai lu, j’ai cherché. C’est que nous vivons dans un monde radicalement différent du monde rural, tribal, prémoderne dans lequel ont été forgés les rites, les dogmes, les croyances, les hiérarchies et les traditions de ma religion. Le système religieux qu’ils nous ont appris parle d’un concept archaïque du monde. Nous ne pouvons plus marcher avec ces « chaussures-là » ; elles n’ont plus aucune utilité pour moi.
Sachant comme je le sais que le christianisme dans toutes ses versions (catholique, protestante, évangélique, orthodoxe…) est une religion puissante, mais seulement une parmi d’autres qui existent et ont existé sur la planète et dans l’histoire, je ne peux plus croire que la mienne est la vraie religion. Il serait aussi extrêmement insensé de penser que ma langue maternelle, l’espagnol, est la meilleure parmi toutes les langues juste parce que j’y suis née, c’est celle que je connais et celle que je parle.
Je trouve les hypothèses religieuses que j’ai apprises arrogantes. Parce qu’elles sont présentées comme absolues, rigides, infaillibles, incontestables, inchangeables et insondables, alors que le temps passe. Et l’humilité, qui a la même racine que l’humanité – humus – me semble être, alors que le temps passe, la petite voie essentielle avant de pénétrer le mystère du monde que ni la science ni la religion n’ont pleinement réussi à sonder.
Sachant comme je le sais les richesses contenues dans les innombrables cultures humaines, les nombreux mondes qu’il y a dans ce monde, je ne peux pas croire que “LA” révélation de cette Réalité Ultime qui est Dieu, est dans ma religion et dans la Bible. Si je devais le croire, je ne pouvais pas éviter d’être arrogante. Et je ne serais pas capable de dialoguer d’égal à égal avec des milliers et des milliers d’hommes et de femmes qui ne croient pas cela, qui ont d’autres livres sacrés, qui vont à Dieu par d’autres voies où il n’y a pas de textes sacrés à vénérer et à suivre.
Comment croire à ce charabia dogmatique, fusionné avec une philosophie passée, qui stipule qu’il y a trois personnes différentes avec un caractère unique au sein de Dieu et que Jésus est la deuxième personne des trois, mais avec deux natures ? Comment croire ce qui est absurde et ce que je ne comprends pas si mon cerveau est un chef-d’œuvre de la vie ? Comment croire que Marie de Nazareth est la Mère de Dieu, si Dieu est Mère? Comment croire à la virginité de Marie, sans adopter ce que le dogme exprime au sujet du rejet de la sexualité et la sexualité des femmes ? Comment accepter une telle religion masculinisée et, par conséquent, une façon distincte de cette première intuition qui a senti Dieu au féminin en voyant la puissance des corps des femmes qui donnent la vie? Comment pouvons-nous oublier que, grâce à cette expérience de la vie, Dieu “est né d’une femme” dans l’esprit de l’humanité?
Comment croire à l’enfer sans faire de Dieu un tyran qui torture comme les Pinochet ou les Somoza? Comment croire au péché originel que personne n’a jamais commis nulle part, qui est seulement le mythe que le peuple hébreu a utilisé pour expliquer l’origine du mal dans le monde? Comment croire que Jésus nous a sauvés de ce péché, si cette doctrine n’est pas de Jésus de Nazareth, mais de Paul de Tarse? Comment croire que Dieu avait besoin de la mort de Jésus pour laver ce péché? Jésus, le prophète, un agneau propitiatoire qui apaise par son sang la colère divine ? Comment croire que Jésus nous a sauvés en mourant, quand ce qui peut nous «sauver» de l’absurde c’est qu’il nous a appris à vivre? Comment croire que je mange le corps de Jésus et que je bois son sang, réduisant ainsi l’Eucharistie à un rite matérialiste, magique, suggestif des sacrifices sanglants archaïques que Jésus a rejetés ?
Cependant, en laissant maintenant au long de mon chemin tant de croyances que la religion m’a enseignées, je ne quitte pas Jésus de Nazareth. Parce que, de même que mon père, ma mère et mes frères et sœurs sont mes références émotionnelles, et de même que je pense, je parle et j’écris en espagnol et que cette langue est ma référence culturelle, Jésus est ma référence religieuse et spirituelle, ma référence éthique, celui avec qui je suis plus familière pour tester le chemin qui m’ouvre au mystère du monde.
Aujourd’hui, sachant comme je le fais la majesté infinie de l’Univers dans lequel nous vivons, avec ses milliards de galaxies, je ne peux pas croire que Jésus de Nazareth est la seule et dernière incarnation de cette Énergie primordiale qui est Dieu. Jésus ne le croyait pas. Cette élaboration dogmatique, faite plus tard dans le cadre des luttes de pouvoir, aurait scandalisé Jésus. Aujourd’hui, plutôt que d’affirmer que « Je crois que Jésus est Dieu », je préfère me dire et déclarer : « Je veux croire en Dieu comme Jésus y croyait. »
Et en quel Dieu croyait-il, Jésus, l’Homme brun de Nazareth ? Il nous a enseigné que Dieu est un père, et aussi une mère, qui se préoccupe de nous, le berger qui cherche ses brebis, la femme qui cherche sa drachme, qui nous attend avec impatience, qui nous accueille toujours, qui s’indigne de l’injustice et des puissants qui exploitent et oppriment, qui prend le parti des humbles, qui ne veut pas qu’il y ait des pauvres et des riches, qui ne veut pas que les uns aient un surplus alors que d’autres sont dans le besoin, qui soutient l’égalité et la dignité de tous, qui veut que nous soyons frères et sœurs, qui nous veut en communauté, qui ne veut pas qu’il y ait des maîtres et des serviteurs ou des servantes, qui nous donne toujours des chances, qui rit et célèbre, qui organise des banquets auxquels il invite tout le monde, qui est joyeux et bon, qui est un abba, une amma.
Toutes les religions du monde, toutes, on ceci en commun : elles affirment toutes qu’elles sont la vraie et se vantent d’avoir les dieux les plus puissants. Toutes se maintiennent par les croyances, les rites, les commandements et les médiateurs. La plupart des commandements qu’elles imposent sont des interdits : ce qui ne peut pas être fait, ce qui ne peut pas être pensé, ce qui ne peut pas être dit… Et les médiateurs qui dominent les religions sont très variés – ce sont des livres saints, des lieux, des temps et des objets et, surtout, ce sont des personnes saintes que l’on doit croire, à qui l’on doit obéissance et révérence.
Quand on lit les Bonnes Nouvelles des Évangiles, quand on saisit leur essence, on découvre que Jésus ne fut pas un homme religieux. Jésus était un laïc en opposition permanente aux hommes pieux et saints de son temps, aux pharisiens et aux prêtres. Jésus n’a pas proposé des croyances, mais des attitudes. On ne le voit jamais pratiquer un rite quelconque, mais plutôt approcher les gens. Il retourna divers commandements tels qu’ils étaient interprétés par les pieux de son temps. Et il ne respectait ni les lieux saints (il a prié sur la montagne) ni les temps sacrés («Le sabbat est pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat »).
Jésus était un homme spirituel et un maître en éthique. Il ne voulait pas fonder une religion et, par conséquent, il n’est pas responsable d’aucun des dogmes construits par le pouvoir à partir de la mémoire passionnée de ceux qui le connaissaient. Jésus a proposé une éthique des relations humaines. Il a inspiré un mouvement spirituel et social d’hommes et de femmes qui, dans la recherche de Dieu, chercheraient la justice et construiraient son rêve, le Règne de Dieu, qu’il a conçu comme une utopie opposée à la réalité de l’oppression et de l’injustice qu’il avait expérimentée dans son pays et dans son temps.
Quand personne n’est saint, tout le monde devient saint. Lorsqu’aucun objet n’est sacré, tous les objets méritent qu’on en prenne soin. Lorsqu’il n’y a pas de temps sacré, tous les jours qui me sont donnés à vivre deviennent sacrés. Lorsqu’il n’y a pas de lieu saint, je vois dans toute la nature le temple saint de Dieu. Jésus nous a également enseigné cela.
L’irrévérence, la provocation, la grâce, l’humour, l’audace et la nouveauté de la spiritualité de Jésus de Nazareth ont été emprisonnés pendant des siècles dans le dogme christologique. Ce dogme fait de nous des simples d’esprit ; il nous enferme dans une cage. Il ne nous laisse pas voler parce qu’il ne nous laisse pas poser des questions, suspecter, douter… Les barreaux de cette prison provoquent la peur. La peur de désobéir à la parole d’autorité de ceux qui « connaissent Dieu », les hiérarchies de la religion. La peur d’être punis pour penser et pour dire ce que nous pensons.
Aujourd’hui, sachant que je vis « orbitant autour d’une étoile au sein d’un cortège, dans une région ordinaire d’une galaxie ordinaire, groupée avec d’autres, aussi quelconques, dans un amas ordinaire », comme un physicien prestigieux a décrit ce « quartier cosmique » qui est la Terre, je ne peux pas m’empêcher de penser que les certitudes et les règles de la religion organisée par une bureaucratie hiérarchique, qui a d’ailleurs trahi le message de Jésus en tant de choses, sont grossières et sclérosées, sans importance pour ma vie.
Je me trouve plus proche de la vie que Jésus a prêchée et honorée dans cette religiosité, dans cette spiritualité qui est le respect et la crainte devant le mystère du monde. Je trouve plus de sens spirituel dans la « religiosité cosmique » dont parlait le Juif Einstein quand il a dit que « la plus belle chose que nous pouvons éprouver est le mystère. »
Einstein reconnaît que cette expérience du mystère, « berceau de l’art et de la science a également généré la religion. » Mais il ajoute : « La vraie religiosité est de savoir que l’Existence nous est impénétrable, sachez qu’il y a des manifestations de la plus haute sagesse et la beauté la plus rayonnante » qui ne nous sont jamais totalement accessibles. Il conclut : « Le mystère de l’éternité de la vie me suffit, avec le sentiment et la conscience de la construction prodigieuse de ce qui existe. »
Je ne sais pas si cette formulation me suffit, mais je sais qu’elle est importante pour moi, car elle m’ouvre de nouvelles questions. Et la religion, le système religieux dans lequel j’ai été instruite, ne m’y a pas ouverte. Elle m’a fermée en me remplissant de réponses préétablies, fixes, pour beaucoup d’entre elles menaçantes, angoissantes, engendrant la peur, la culpabilité et le malheur. Il est temps de nous humaniser. Et le système religieux, nous forçant à penser à Dieu d’une seule manière, en nous imposant des règles morales strictes qui manquent de compassion pour nous, et nous contraignant à un culte et des rituels de routine rigides, nous déshumanise.
Est-ce que je crois en Dieu? Qu’est-ce que la foi ? « C’est l’amour », m’a répondu un paysan illettré en République dominicaine, il y a plusieurs années, quand je lui ai posé la question. Je ne l’ai jamais oublié. Je sentais que c’était une explication aussi simple que profonde. Si Dieu existe, Il est celui qui me déplace toujours vers l’amour, vers les autres, qu’il s’agisse de personnes, d’animaux, d’arbres… Ce mouvement, cette impulsion est de partage, d’empathie, d’entretien, de prendre la responsabilité, de mettre moi-même dans l’eau maintenue au fond de ce puits de tout ce qui vit. L’amitié est la joie de ne jamais être en mesure de toucher le fond de ce puits. C’est cela l’amour : un puits sans fond à partir duquel nous pouvons boire. C’est cela que doit être Dieu. Dans l’amour que j’ai pour ceux que j’aime, je sens Dieu.
Si Dieu existe, il est la beauté. L’extravagance de la beauté de la nature, les étoiles du ciel, les yeux des chiens, la forme des feuilles, le vol des oiseaux, des couleurs et de leurs nuances, la mer, toute cette liste incommensurable et surprenante de beautés, toutes semblables, toutes différents, toutes liées, cette beauté que je ne peux ni embrasser, ni comprendre, qui éblouit mes yeux et mon esprit, que la science révèle et nous explique, je la sens comme la «signature» de Dieu. Au cœur de toute la beauté que je vois partout, je sens que Dieu existe.
Si Dieu existe, Il est la joie. C’est dans la fête, dans la musique et la danse, dans les formes indéfinissables que prend la joie quand elle est profonde, dans les mots, dans la compagnie, dans l’accomplissement, dans les réalisations, dans l’effort de création, et surtout dans les rires et les sourires des gens, que je sens que Dieu est plus proche que jamais.
Si Dieu existe, il est aussi la justice. Il est la justice que l’histoire que je connais et dans laquelle je vis n’a jamais garantie aux personnes bonnes. Qu’il ne garantissait pas à ce pauvre paysan illettré qui m’a définie la foi comme «amour». Mais Dieu est toujours au-delà de tout amour, toute beauté, toute joie, toujours inaccessible, innommable, insondable, toujours au-delà de mon idée de Dieu, au-delà de mon propre désir et de ma nostalgie.
Maïmonide, le grand penseur juif du Moyen-Âge, a écrit un traité théologico-philosophique au titre intrigant de “Guide des égarés.” Il dit : « Décrire Dieu à travers les négatifs est la seule façon de le décrire dans un langage approprié.”
Je ne trouve pas la moindre parcelle de cette perplexité dans le système religieux dans lequel je suis née. Et c’est avec ces «briques» de pensées et de sentiment, avec ces pensées et ces sentiments, que j’ai construit provisoirement une spiritualité, convaincue, comme le poète Léon Felipe avait l’habitude de le dire, que personne ne va à Dieu par le même chemin que le mien. La spiritualité est un voyage personnel; la religion est un corset collectif. Un «joug pesant », selon les paroles de Jésus.
Dans son livre The Wave is the Sea, le moine bénédictin Willigis Jäger commente : “Une personne sage a dit : « La religion est une ruse des gènes. “Jäger prend cette déclaration très au sérieux. Et il explique : « Quand l’espèce humaine a atteint le niveau d’évolution suffisante pour se poser des questions sur son origine, son avenir et le sens de son existence, elle a développé la capacité de répondre à ces questions. Le résultat de ce processus est la religion qui, pendant des millénaires, a magnifiquement réalisé cette tâche et le fait encore aujourd’hui. La religion fait partie de l’évolution humaine. Et si aujourd’hui nous atteignons un point où ses réponses ne nous satisfont plus, cela indique que l’évolution a fait un pas en avant et qu’une nouvelle capacité à nous comprendre en tant qu’êtres humains est en train d’émerger dans l’humanité “.
Source : http://www.redescristianas.net/bienaventurados-los-ateos-porque-encontraran-a-diosmaria-lopez-vigil/
Traduction anglaise : http://iglesiadescalza.blogspot.fr/2016/02/blessed-are-atheists-for-they-shall.html
Traduction française : Lucienne Gouguenheim