Quand les négociations sur l’agriculture bloquent, les initiatives galopent
La première semaine de la COP22 s’est achevée par la clôture des négociations sur les sujets ayant trait à l’agriculture et à la sécurité alimentaire, et le constat d’une incapacité des États à s’accorder sur un futur travail commun dans ce domaine. Pour autant, l’agriculture ne sera pas absente lors de cette deuxième semaine puisqu’on assistera à la promotion d’un florilège d’initiatives volontaires ciblant notamment les terres agricoles. Le CCFD-Terre Solidaire alerte avec ses alliés sur les risques que l’état des discussions sur le climat fait peser aujourd’hui sur les terres agricoles et les paysans.
Alors que les négociateurs de la COP22 se félicitent de l’esprit constructif qui règne sur le site de Marrakech pour préciser les règles d’application de l’Accord de Paris, deux sujets cruciaux continuent de catalyser les blocages : l’agriculture et la sécurité alimentaire.
Considérées comme sensibles depuis toujours, les négociations sur ces sujets ont une nouvelle fois achoppé. Aucune décision n’a été prise par les États qui ont préféré reporter les discussions à 2017. Impossible donc de dire si et comment la Convention Climat se destine à traiter l’agriculture dans les prochaines années.
Derrière ce blocage se cachent des dynamiques de développement agricoles très différentes. D’un côté une industrialisation importante de l’agriculture, fortement émettrice en gaz à effet de serre, et de l’autre des tissus ruraux reposant principalement sur les agricultures familiales, avant tout victimes des impacts du dérèglement climatique.
« Ce statu quo des discussions dans lequel s’enfoncent les États est d’autant plus inadmissible qu’il y a urgence à agir dans le domaine. Les Nations Unies estimaient il y a un mois qu’à cause des dérèglements climatiques ce sont entre 35 et 122 millions de personnes supplémentaires qui pourraient vivre dans la pauvreté d’ici 15 ans et en particulier des personnes vivant de l’agriculture. Tant que la transition de nos modèles de production et de consommation ne sera pas abordée, la lutte contre les dérèglements climatiques ne sera pas traitée dans sa totalité » déclare Anne-Laure Sablé, chargée de plaidoyer souveraineté alimentaire et climat, au CCFD-Terre Solidaire.
L’agriculture n’est pour autant pas absente de la conférence de Marrakech, en parallèle des négociations officielles, plus de 40 conférences sur l’agriculture sont organisées sur le site de la COP22, avec la participation d’un grand nombre d’États et d’acteurs du secteur privé.
Des conférences mettant en avant des initiatives volontaires telles que l’Alliance pour l’Agriculture intelligente face au climat, le 4 pour 1000, l’initiative AAA (Adaptation de l’Agriculture Africaine)… « On assiste depuis quelques années à une multiplication des initiatives en parallèle des négociations officielles, ce qui, en plus d’en complexifier le suivi, en fait le terrain de jeu idéal pour les fausses solutions et le verdissement de pratiques pourtant nuisibles au climat. Alors qu’on a assisté à des blocages dans les discussions sur l’agriculture, il est inquiétant de voir ces initiatives continuer à se développer, hors de tout cadre », explique Anne-Laure Sablé.
L’une des dimensions majeures que souhaitent couvrir ces initiatives concerne l’usage des terres agricoles dans la lutte contre les dérèglements climatiques. Compte tenu de leur potentiel pour stocker du dioxyde de carbone, elles sont perçues aujourd’hui comme le nouvel eldorado du carbone en ce sens qu’elles sont vues comme des leviers majeurs pour compenser les émissions.
À l’initiative du CCFD-Terre Solidaire et de la Confédération paysanne, plus de cinquante organisations de la société civile à travers le monde alertent aujourd’hui sur les risques qui pèsent sur les terres agricoles (« Nos terres valent plus que du carbone »).
Les populations vulnérables attendront !
Après deux semaines de négociations, la COP22 se clôture aujourd’hui 18 novembre. Les discours des chefs d’État et autres personnalités se sont multipliés pour saluer la mobilisation dans la continuité de l’Accord de Paris. Cependant, on est loin de la COP de l’action promise et les discussions sur l’agriculture, secteur responsable d’un quart des émissions de gaz à effet de serre, sont reportées à 2017 au détriment des populations qui souffrent déjà des dérèglements climatiques.
Les avancées des négociations sur le climat, qu’elles concernent la mise en œuvre de l’Accord de Paris ou d’autres aspects des discussions, ont été limitées et insuffisantes à la COP22. La communauté des États réunie au sein de la CCNUCC n’a pas réussi à s’entendre sur les principaux dossiers, comme les financements ou l’adaptation face aux changements climatiques.
« Alors que l’année 2016 sera certainement la plus chaude de l’ère industrielle, l’essentiel du travail est reporté aux négociations inter-sessionnelles de Bonn l’année prochaine. Cet attentisme se fait, comme toujours, aux dépens des populations les plus vulnérables qui souffrent déjà des changements climatiques », déclare Jean Vettraino, chargé de plaidoyer sécurité alimentaire au Secours Catholique – Caritas France.
La COP22 était annoncée comme celle de l’agriculture mais s’est enlisée dans un blocage paradoxal sur les questions agricoles. Alors que l’ensemble des États Parties reconnaissent que la sécurité alimentaire et l’agriculture sont des sujets majeurs, une opposition persiste entre pays développés et pays en voie de développement. Cela ne correspond aucunement au défi des systèmes alimentaires.
« Le problème est avant tout que ce blocage nuit d’abord aux agriculteurs et agricultrices, populations déjà les plus exposées aux changements climatiques. Il est en effet urgent de faciliter l’adaptation des petites exploitations familiales afin d’éradiquer la pauvreté et la faim », explique Bertrand Noiret, chargé de plaidoyer pour Action contre la Faim.
Sans même reconnaître l’échec des négociations officielles sur l’agriculture, ce qui laisse planer une incertitude sur les suites, les Etats n’ont, en revanche, pas hésité à promouvoir une série d’initiatives volontaires visant un objectif de sécurité alimentaire : AAA pour le Maroc, 4 pour 1000 pour la France notamment. Mises sur le devant de la scène, ces initiatives profitent de la visibilité accordée à la COP22 mais ne mettent en place aucun mécanisme de redevabilité. L’Agenda de l’action lancé lors de la COP21 et dont elles font désormais partie est en effet dénué de tout critère strict assurant un cadrage et permettant une évaluation des actions qui y seront portées.
“Au sein de l’initiative AAA, on retrouve inlassablement les mêmes acteurs du secteur privé de l’industrie agro-alimentaire largement responsables des émissions de gaz à effet de serre liés au système alimentaire. Cela leur permet de se positionner aujourd’hui comme porteurs de solutions qui relèvent finalement plus du verdissement de leurs pratiques que d’une véritable et nécessaire transformation de nos modèles agricoles” déclare Anne-Laure Sablé, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire.
Action contre la Faim, le CCFD-Terre Solidaire et le Secours Catholique – Caritas France regrettent qu’encore une fois les intérêts financiers du secteur de l’agro-alimentaire priment sur la sécurité alimentaire des populations sous couvert de la lutte contre les dérèglements climatiques.
Source : CCFD-Terre solidaire (http://ccfd-terresolidaire.org/infos/environnement/cop22-les-populations-5697 et http://ccfd-terresolidaire.org/infos/environnement/cop22-quand-les-5691?utm_medium=EMAIL&utm_source=CCFD&utm_campaign=NL76)
Illustration par Gobierno de Chile [CC BY 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/2.0)], via Wikimedia Commons
On peut lire aussi :
- http://www.alterecoplus.fr/climat-clap-de-fin-a-marrakech-toujours-daccord-financement/00012626
- https://france.attac.org/actus-et-medias/salle-de-presse/article/cop-22-le-business-ultime-recours-d-une-machine-onusienne-sans-pilote