Ce témoignage de Pascal Cauchois a été prononcé devant l’Assemblée générale de NSAE, le 22 janvier 2017, lors du “Temps de spiritualité”.
Pour ce témoignage, je voudrais d’abord commencer par un grand merci.
Grand merci, à tous les détenus qui nous accueillent avec simplicité, et très souvent avec beaucoup fraternité.
Grand merci, à tous les acteurs de la prison : les surveillants qui font un travail pas facile et là respect, les accueillants des familles.
Grand merci, à l’équipe d’aumônerie, aux les communautés chrétiennes.
Grand merci, aussi à mes proches qui partagent cet engagement avec écoute et disponibilité.
Sans chacun d’eux, rien ne serait possible, je ne suis qu’un pauvre messager, cependant jamais je ne rentre seul en prison.
Pourquoi cet engagement auprès des détenus ?
1• D’abord il y a Matthieu, Matthieu 25: “J’étais en prison et vous êtes venus à moi” “Quand étais-tu en prison et que nous t’avons visité ? (…)… “Quand vous l’avez fait à un de ces petits qui sont les miens, c’est à moi que vous l’avez fait”.
2• Puis il y cette phrase entendue lors d’une formation d’aumônier de prison qui résonne au tout fond de moi «Où est Jésus ? Réponse : Il est dans le box des accusés »
C’est à ce Jésus-là que je crois, moi Pascal, aumônier de prison.
C’est lui qui nous propose ce pari fou de libérer l’homme par le respect du prochain et tout particulièrement avec et par le plus petit : Tu es, donc je suis !
3• C’est aussi parce que quand on est riche de bonheur, c’est tellement simple d’en redonner. Dans ma fratrie nous disons «Peine partagée égale peine divisée, joie partagée égale joie multipliée)
C’est pas toujours simple de se confronter à toutes les misères, des fois on se sent complétement démunis. Alors on se tait ! on se dit qu’avec le sacrement de la présence c’est déjà un peu restaurer la personne. Dire et Redire l’attention privilégiée de l’Église et de l’Évangile pour ces petits, pour ces pauvres. Car ce sont d’abord les pauvres et les jeunes que l’on met en prison, ces victimes (le mot vous surprendra peut-être, mais quoiqu’ils aient fait, ils sont, souvent, aussi des victimes), ce sont ces victimes qui sont aussi parmi les préférés de Dieu. Comment n’a-t-on pas compris que si Jésus s’est assimilé aux coupables, c’est aussi et peut- être d’abord parce qu’il a été victime et que dès lors toute victime de malfaisances est aussi icône du Christ victime ?
La prison en question
Mur d’une prison française, à Villeneuve-les-Maguelone
On n’élève pas l’Homme en l’enfermant, la politique pénale nous fait parfois hurler. Ici on n’a de cesse d’ouvrir des prisons et là on largue dans la nature des détenus sans préparation sans soin. Alors bien sûr souvent ils reviennent. Et puis ailleurs on ferme des prisons (chercher l’erreur !) Et ici les détenus sont dans des conditions de vie d’une invraisemblable indignité. Un détenu disait « Si on a une peine inhumaine on ressort inhumain » dur ! mais logique.
À quand un numérus clausus des détenus? À quand une dépénalisation des délits mineurs ? À quand une véritable politique pénale éducative? À quand une réelle pénalisation des délits financiers pour faire bonne mesure? En la matière le courage politique est denrée rare. Cachez ce détenu que je saurai voir.
N’oubliez jamais que si ce n’est vous, un jour la vie peut faire que ce soit votre fils ou votre petite-fille qui seront à leur tour broyés.
L’aumônerie catholique, comme toutes les autres, intervient dans un milieu laïque et républicain et dans le cadre de la loi de 1905, à la fois de neutralité religieuse de l’État et des droits du détenu à la liberté de conscience et de culte, organisé par l’État dans le milieu fermé qu’est la prison. Plus qu’ailleurs, on ne peut abuser de la situation de fragilité, de détresse pour asséner chacun notre Dieu.
Comment annoncer Jésus libérateur en prison ?
Pas si simple !
D’abord, le détenu sait qui nous sommes : nous nous présentons, pour ma part sans croix ni signe distinctif. Nous avons l’extraordinaire privilège d’avoir la clé des cellules. Nous sommes aussi les seuls, bien sûr les surveillants ne le font pas, à frapper à la porte. Je frappe, j’ouvre, je reste sur le pas de la porte en attendant qu’ils me disent : mais entrez donc ! Le Christ, l’Église… frappe à la porte. Je glisse au cours des premières rencontres cette belle phase de Gabriel Garcia Marquez «la seule façon être au-dessus d’un homme c’est de lui donner la main pour se relever» Façon de dire que nous sommes sur le même plan, le plan de la fraternité. Je remercie toujours pour l’accueil.
Nous prenons des nouvelles, nous écoutons. La compagne qui a rompu, les enfants dont on n’a pas de nouvelle, l’argent qui fait défaut pour fumer, améliorer l’ordinaire ou pourvoir à l’essentiel : un peu d’hygiène, téléphoner à la famille, écrire à l’avocat, se vêtir… La menace du suicide ou celle de l’agression d’un autre détenu… La maladie, la dépendance, le mal-être, l’exclusion à cause du délit …… Aussi, le sentiment d’injustice, le déni ou le remord, la culpabilité. On écoute, on dissuade, on réconforte, on écoute encore… Dieu s’invite parfois, au bout d’un moment, un jour, dans la conversation. Respectueusement.
Est-ce que ça n’aurait pas été l’attitude du Christ, n’est-ce pas là son enseignement ? N’est-ce pas cela l’annoncer ?
Jésus vient te dire personnellement qu’il t’aime, au-delà de tes actes. Que rien n’est jamais perdu. Que tu peux te relever et qu’il est avec toi. Jésus ne te condamne pas et de lire l’évangile de la femme adultère …. Cependant, ne soyons pas naïfs, ce ne sont pas tous des enfants de chœur ! Surtout ne pas juger! respecter leur histoire, leurs silences, leurs secrets : la juste distance.
Pardon à accepter, pardon à donner. Nous essayons avec eux de lever le voile d’un chemin vers le pardon. Qui vient l’apprendre comme possible aussi aux victimes ? Qui leur dit la miséricorde de Dieu ? Quand ce pardon devient possible, il sait guérir la victime.
Notre saint patron et premier aumônier, St Vincent de Paul (1581-1660), qui fut aumônier des galères, disait, avec les mots de son temps : “Ne vous occupez pas des prisonniers si vous ne consentez pas à être leurs sujets et leurs élèves. Ceux que nous appelons des misérables, ce sont eux qui doivent nous évangéliser et convertir. Après Dieu, c’est à eux que je dois le plus”.
Nous sommes évangélisés par les autres !
Parfois, un détenu nous demande de prier avec lui, de lui apprendre le Notre Père, de lui donner un chapelet (on fait une de ces consommations de chapelet à l’aumônerie !), une bible, voire de l’eau bénite ou une bougie, une enveloppe timbrée, nous partageons une prière : il est apaisé.
Sa foi est fragile et tremblante tout comme sa vie…
Il ne sait pas s’il a été baptisé, alors que ses frères et sœurs l’ont été. Il ne sait pas à quelle Église il appartient. Il viendra à la messe… On l’y verra… ou pas. Et malgré nos explications et recommandations… il communiera, avant de demander quelques mois plus tard le… baptême, l’entrée en catéchuménat. On échange, on rassure, je blague et on se quitte en frères.
En prison, on va vers notre Dieu d’Amour et de libérations aumôniers et détenus confondus par des chemins souvent sinueux et surprenants. Mais n’est-ce pas ainsi que Jésus s’annonce en ces déserts ?
En prison se vivent de formidables rencontres et échanges, à deux ou par petits groupes, organisés ou parfois dans une coursive, au fond d’une cellule d’isolement. Parfois ce sont des surveillants qui nous sollicitent avec discrétion. Avec des chrétiens peu habitués à fréquenter nos paroisses et que, souvent, ils ne fréquenteront plus après. Pensant qu’elles ne sont pas faites pour eux. Nous aurons fait un bout de chemin ensemble, comme les compagnons d’Emmaüs. Si vous saviez comme il savent dire merci.
De belles rencontres avec nos frères protestants et l’aumônerie musulmane. Comme on dit entre nous « On a le même patron!»
J’ai un malin plaisir à avoir avec moi dans ‘ma sacoche de représentant du Nazaréen’ un calendrier de prières pour nos frères musulmans pratiquants et je fais de la retape pour leur Imam en lui donnant par internet les noms des demandeurs de visite, car il ne vient qu’une fois par mois.
De beaux gestes de fraternité se vivent derrière ces murs. Par exemple, un jour j’ai appris par indiscrétion que des détenus de l’aumônerie fournissaient en cachette un détenu indigent : en café, tabac et sucre !
De quoi avons-nous l’air avec nos inquiétudes ! Des échanges spirituels forts, et tous ces messages et gestes d’amitié et de compassion après les attentats et l’assassinat du père Amel…….
Oui, il se vit en prison des merveilles. N’est-ce pas aussi cela l’annonce respectueuse de Jésus ? « Nous te remercions Seigneur de nous avoir choisi pour servir en ta présence ».
Source de l’illustration : https://fr.wikipedia.org/wiki/Prison