Par René Pujol
Décliner une invitation à débattre des «silences» de l’Église sur la pédophilie n’est pas la meilleure manière de se faire entendre.
Les téléspectateurs qui, le 21 mars, auront regardé jusqu’au bout l‘émission Cash investigation consacrée à la pédophilie dans l’Église, en auront ressenti une forme de sidération, une sourde colère. Beaucoup se seront reconnus dans ce commentaire du père Olivier Ribadeau-Dumas, porte-parole de la Conférence des évêques de France : « J’ai regardé l’émission Cash Investigation avec un sentiment de honte… Nous n’avons pas respecté les victimes…»
Quand la Cef fait le choix de la chaise vide
La Cef avait, les jours précédents, dans un communiqué, fait connaître sa décision de ne pas participer au débat qui suivrait le documentaire. «Ce refus de participer à cet enregistrement est motivé par les méthodes utilisées pour les interviews ainsi que par divers renseignements obtenus sur cette émission. Il apparaît que la déontologie journalistique ne soit pas respectée et que cette émission soit plus préoccupée d’accuser que d’expliquer.» Une position sur laquelle Vincent Neymon, directeur de la communication des évêques de France s’est expliquée par la suite sur KTO.
On connaît le parti pris d’Élise Lucet, d’interpeller publiquement, sous l’œil des caméras, des protagonistes ayant préalablement été sollicités par une demande formelle d’interview à laquelle ils ont choisi de ne pas donner suite. L’effet est spectaculaire et ravageur. La personne, déstabilisée, refuse généralement de répondre et tourne les talons, donnant le sentiment de fuir. Effet recherché et garanti ! Et lorsque c’est le pape François lui-même qui se trouve ainsi «sommé» de s’expliquer, sur la place Saint-Pierre, au milieu de la foule des pèlerins, sur ses complaisances supposées à l’égard d’un prêtre pédophile argentin, le spectateur ressent un réel malaise. Comme s’il y avait là, de la part de la journaliste, une forme d’irrespect et d’abus de pouvoir. Cash investigation recourt également, à plusieurs reprises, à la technique de l’interview en caméra cachée où la personne interpellée ignore qu’elle est filmée et que tout ce qu’elle va dire, taire ou montrer par son attitude – en toute confiance – sera, de fait, retenu contre elle.
Quand la fin suggère les moyens…
On peut, bien sûr, plaider que la fin ne justifie pas les moyens. Mais ces techniques font mouche. Le journaliste, quelles que soient parfois ses velléités à jouer au justicier, sait qu’il tire une vraie légitimité du droit des citoyens à savoir. Et lorsque le téléspectateur a le sentiment que l’information ainsi extorquée, qui n’aurait pas été obtenue autrement, éclaire réellement le sujet abordé, toute objection de nature éthique sur les conditions de son obtention devient sans effet.
L’enquête de France 2 révèle, de même, le contenu de la lettre par laquelle un évêque camerounais explique comment il a soustrait à la justice de son pays des religieux français de la communauté Saint-Jean soupçonnés de pédophilie. Le voir, face à la caméra, refuser de s’expliquer au motif que les journalistes n’étaient pas sensés avoir connaissance de cette lettre confidentielle a un effet dévastateur. Élargissons le propos : la société n’aurait pas à interpeller l’institution religieuse sur ce qu’elle entend garder secret.
Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, il existe aujourd’hui sur ces questions une exigence de transparence dont une institution comme l’Église doit admettre qu’elle s’impose désormais à elle… définitivement !
Expliquer c’est aussi chercher à comprendre comment on a pu en arriver là.
L’une des critiques possibles vis-à-vis de cette enquête est qu’elle entendrait démontrer que l’Église qui est en France, malgré ses engagements, devrait faire face à une nouvelle vague de faits de pédophilie, couverts par le silence de la hiérarchie, alors qu’il s’agit, pour l’essentiel, de faits anciens, connus pour la plupart. Mais reprocher à l’émission d’être «plus préoccupée d’accuser que d’expliquer» [1] est doublement inopérant. Sur la pédophilie dans l’Église, il est clair que l’opinion, y compris au sein du monde catholique, attend une condamnation plus qu’une explication. Et si explication il doit y avoir, elle ne peut en aucun cas se limiter à la seule évocation des efforts engagés par l’institution pour combattre efficacement la pédophilie, même s’ils sont bien réels. Ni à affirmer qu’une page serait définitivement tournée… Expliquer c’est aussi chercher à comprendre comment on a pu en arriver là.
Trop de séquences de Cash investigation illustrent, à l’évidence, que l’Église est encore loin du compte et que l’on peut s’interroger sur la réalité de sa détermination ou de sa capacité à mettre en œuvre la «tolérance zéro».
«Celui par qui le scandale arrive» n’est pas la victime qui demande justice
Lorsque un responsable des Pères du Sacré Cœur estime n’avoir pas à signaler la présence d’un frère accusé de faits de pédophilie au motif que «C’est à la police de faire son travail», il contrevient d’évidence aux directives de Benoît XVI. Lorsque le même avoue au journaliste venu l’interroger : «Cette question sur les victimes, je ne me la suis posée qu’hier» on se dit qu’il y a encore du chemin à parcourir pour la prise de conscience, dans l’Eglise, de l’abomination du crime pédophile ; pour que chacun reconnaisse que «celui par qui le scandale arrive» n’est pas la victime qui porte plainte, mais bien l’agresseur qui aurait préféré rester dans l’ombre ; et qu’il ne peut y avoir de miséricorde pour le pêcheur sans justice pour sa victime.
Lorsque, dans le débat, le président de la Parole libérée décrit ce qu’il perçoit comme incapacité de la hiérarchie catholique à accepter vraiment le dialogue avec les associations de victimes, on imagine, par-delà la souffrance des personnes, l’ébranlement de la confiance envers l’Église.
Dérives individuelles ou responsabilité collective ?
Lorsque Mgr Crépy souligne le fait que sa responsabilité à la tête de la commission permanente de lutte contre la pédophilie ne lui donne pour autant aucune autorité hiérarchique sur les évêques ; lorsqu’il affirme que, dans son diocèse, un religieux soupçonné de pédophilie ne dépend pas de lui, mais du bon vouloir du supérieur de la congrégation à laquelle il appartient, il illustre parfaitement l’incapacité de l’Église à reconnaître que l’une des causes du drame pédophile puisse venir d’un dysfonctionnement de l’institution elle-même et non de seules dérives individuelles.
Lorsque le père Joulain, prêtre et thérapeute, consultant sur des centaines d’affaires de pédophilie, porte le diagnostic d’une «déconnection des évêques avec tout ce qui touche à la sexualité…», on se sent autorisé à interpeller, une nouvelle fois, l’Eglise sur sa théologie de la sexualité humaine.
«Il y faudra une génération»
Lorsque la responsable de l’ONU chargée en 2014 d’une enquête sur les abus sexuels dans l’Église déclare [2] : «Le Vatican nous a dit que c’était un problème du passé. Plus nous avancions, plus nous nous rendions compte que ce n‘était pas le cas.» On se dit que même au plus haut sommet de l’Église on peut prendre ses désirs pour des réalités. Et lorsqu’on entend les interrogations soulevées, non seulement par l’obstruction de la Curie aux décisions du pape François, mais également par les ambiguïtés du pape lui-même, on se dit qu’il est urgent que les fidèles continuent de se tenir en éveil.
Dans le documentaire de Cash investigation, le père Hans Zollner, membre de la Commission de protection des mineurs mis en place par le Vatican, déclare à Élise Lucet à propos du combat contre la pédophilie : «C’est le travail d’une génération». Comment mieux exprimer que si la détermination est aujourd’hui acquise de lutter contre ce crime, le processus d’éradication et de guérison sera long, sans doute douloureux, semé d’embuches ou de renoncements.
Ce chemin de croix, l’Église va devoir le parcourir sous le regard implacable de la société civile, trop heureuse – en certains lieux – de lui faire payer sa dénonciation de l’amoralisme contemporain. En oubliant, au besoin, que dans les années soixante-dix, les mêmes qui se sont institués procurateurs tenaient antenne ouverte à un militantisme propédophile, au nom de l’émancipation de l’enfant et de son droit à une sexualité épanouie.
Pour une commission d’enquête parlementaire ?
Derrière ses excès mêmes, le documentaire de Cash investigation nous dit quelque chose d’essentiel sur l’incompréhension de notre société vis-à-vis des modes de fonctionnement de l’Église. Que des prêtres condamnés puissent rester en fonction – fût-ce comme aumônier d’hôpital – que des évêques convaincus de non-dénonciation conservent leur poste ; que des cardinaux suspects de complaisance continuent de siéger au G9 auprès du pape François… leur est incompréhensible. [3] Que dans un pays de laïcité le code de droit canonique – sinon la loi de Dieu – puisse prévaloir sur celle des hommes ou lui être contraire interpelle le citoyen. [4] Autorisant Élise Lucet à évoquer, ce soir-là, la possible constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur les affaires de pédophilie dans l’Église ; avec l’assentiment de François Devaux, président «exaspéré» de la Parole libérée et peut-être celle de nombreux chrétiens sous le choc, devant leur écran de télévision. [5]
Se donner les moyens d’une parole à son tour libérée
Dire que l’institution ecclésiastique se doit aujourd’hui d’ouvrir le dialogue, quel que soit son sentiment d’injustice ou d’incompréhension, tient de l’euphémisme. Cash investigation a frappé fort, non sans arrière-pensées peut-être, là où les médias chrétiens les mieux intentionnés seront toujours tenus par une certaine déférence envers l’institution. C’est pourquoi le choix de la chaise vide lors du débat qui a suivi l’émission apparaît comme une faute. C’est bien connu : les absents ont toujours tort. L’Eglise s’est privée là d’un droit éventuel de rectification, d’explication, de mise en perspective… De même que de la possibilité d’interpeller la société sur ses propres contradictions lorsqu’elle exige la mise à l’écart définitive de tout prêtre ou religieux coupable dans le même temps où elle plaide, ailleurs, pour la réinsertion des condamnés.
On peut entendre Mgr Crépy, lorsqu’il explique avec franchise : « Je suis encore nouveau dans mes fonctions, l’exercice est un peu difficile. Je ne me voyais pas sur le plateau, être mal à l’aise alors que je représente l’Eglise. » [6] L’exigence n’en est que plus grande pour l’Église de France de se donner les moyens d’une parole, à son tour libérée, sur ces questions. Le 12 décembre dernier, la Cef organisait une réception de fin d’année dans ses locaux de l’avenue de Breteuil, à l’intention des mouvements d’Église et des médias. Dans son discours de bienvenue, Mgr Pontier évoquait quelques événements marquants de l’année 2016… sans la moindre allusion aux affaires de pédophilie qui avaient pourtant ébranlé le monde catholique et plus particulièrement le diocèse de Lyon. Qui dira le prix du silence ?
Notes :
[1] L’accusation se trouve dans le communiqué de la Cef justifiant sa non-participation au débat.
[2] Son témoignage ne figure pas dans le document lui-même, mais dans le débat qui a suivi.
[3] On entend parfois, ici ou là, des personnes qui par ailleurs se sont élevées contre le projet de déchoir de la nationalité française des binationaux coupables d’actes terroristes, s’étonner que des prêtres pédophiles fassent toujours partie de l’Église…
[4] Le secret qui entoure la procédure des procès canoniques fait également débat, qui semble avoir pour effet essentiel de « protéger » l’accusé et l’institution à laquelle il appartient, au détriment des victimes.
[5] Dans le débat, où cette question est évoquée, le sociologue Olivier Bobineau insiste néanmoins pour qu’une telle commission d’enquête, si elle devait voir le jour, porte sur la pédophilie dans toutes les institutions, donc également dans l’éducation nationale. Olivier Bobineau est par ailleurs l’auteur du livre Le sacré incestueux. Les prêtres pédophiles. Ed. DDB, 2017.
[6] Notons au passager que lorsque Mgr Crépy explique son absence du débat, par le fait – compréhensible – qu’il ne se sentait pas suffisamment en possession de son dossier, il fait un sort à la version officielle de la chaise vide, justifiée par le manque de déontologie des journalistes dans le documentaire.
Source : http://www.renepoujol.fr/pedophilie-le-prix-du-silence/
Certes, Elise Lucet a choisi une méthode agressive pour traiter un sujet qui est peut être le principal problème à traiter d’urgence par l’église catholique.
Et les autres églises chrétiennes, sont elles innocentes?
N’y a t il pas d’autres organisations concernées, comme par exemple l’Education Nationale ? .
On ne peut pas lui reprocher cette agressivité, même à sens unique!
Par contre, ce qu’on peut lui reprocher, c’est le parti pris d’en faire un spectacle, de privilégier le taux d’écoute, aux dépens de l’information.
Il en résulte un manque d’objectivité qui aboutit à donner le sentiment que l’organisation visée, l’église catholique en l’occurrence, est complètement pourrie et son propos (très pertinent, encore une foi) en est très affaibli.