Par Jose Arregi
Ce texte est extrait de la conférence donnée par Jose Arregi le 18 mars 2017 lors de l’Assemblée générale de Partenia : Une Spiritualité pour vivre avec ou sans religion.
Spiritualité au-delà des formes de Jésus lui-même. Jésus est un homme particulier, et c’est en tant qu’homme particulier (genre Homo, espèce Sapiens, juif galiléen d’il y a 2000 ans) qu’il s’est laissé animer par le Souffle de la Vie, le Souffle prophétique.
N’identifions donc Jésus avec aucune des formes auxquelles il s’est exprimé, avec aucune des formes auxquelles il a été dit ou imaginé. « Si Jésus de Nazareth, devenu ‘Christ et Seigneur’ par sa résurrection prend la place de ‘Dieu’, dans la représentation que se fait l’esprit du croyant, il peut alors, dans l’imaginaire de ce dernier jouer le rôle de ‘Dieu’, que la foi nous appelait justement à dépasser pour nous faire entrer dans le Mystère. Le croyant mettra en œuvre sa religion, là où il pensait vivre l’Évangile : celle-ci ne sera plus focalisée par le concept ‘Dieu’ mais par le concept ‘Christ’. Il aura tout au plus ‘changé de religion’ ! Soit dit en passant, c’est à mon avis ce qu’il s’est passé pour beaucoup de chrétiens séduits par la perspective théologique ouverte par Karl Barth, dans les années 1970. N’oublions pas cette phrase étonnante mais capitale de Jésus à ses disciples, selon saint Jean : ‘Il vaut mieux pour vous que je parte, car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous. Mais si je pars, je vous l’enverrai’ (Jn 16,7). Jésus, en mourant sur la croix, fait mourir avec lui toutes les images religieuses, humaines, d’un Dieu Absolu, Tout-Puissant. C’est en ce sens que la théologie de la ‘mort de Dieu’, qui fleurissait dans les années 1960-1970, peut encore nous dire quelque chose, et même quelque chose d’important aujourd’hui. Mort de nos rêves infantiles sur Dieu, libération de notre imaginaire totalitaire, surgissement devenu possible de notre liberté et de notre responsabilité d’hommes et de femmes adultes. L’Évangile qui va jusqu’au bout, jusqu’à l’extrême (voir Jn 13,1), relativise radicalement toute forme de religiosité qui tendrait à s’imposer à notre esprit comme un absolu, comme la loi, comme l’idéal » [1]
Nous tournons nos yeux vers Jésus, mais il nous emmène au-delà de lui, vers le Mystère universel, vers la création du monde nouveau dans ce monde. Jésus ne fut pas chrétien. Il ne fonda pas une nouvelle religion, mais il voulut transformer et même transposer la religion juive qui était la sienne, et cela justement pour lui être fidèle, comme les prophètes.
Jésus est l’homme mû par l’Esprit Créateur et transformateur, par la Bonté créative et rénovatrice. Au-delà aussi de l’histoire au cœur de l’histoire ; c’est pourquoi il n’est pas important si telle ou telle action ou déclaration attribuée à Jésus que je mentionnerai ensuite appartiennent ou pas au Jésus historique…
Jésus a dépassé radicalement la religion quand il a proclamé à la synagogue de Nazareth le Jubilé de la libération : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu`il m’a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres ; il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le coeur brisé, pour proclamer aux captifs la délivrance, et aux aveugles le recouvrement de la vue, pour renvoyer libres les opprimés, pour publier une année de grâce du Seigneur » (Lc 4,18-19).
Jésus a dépassé largement la religion quand il a déclaré : « Le Sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le Sabbat » (Mc 2,27). Le Sabbat (toute religion) est fait pour la vie. Le critère, c’est la vie de tous les vivants.
Jésus a dépassé la religion quand il a relativisé toutes les normes de pureté et de jeûne. Et quand il a dit : « Détruisez ce temple » (Jn 2,19). Et : « Vous anéantissez fort bien la volonté de Dieu pour suivre la tradition humaine » (Mc 7,8). Et : « Ceux qui disent ‘Seigneur, Seigneur!’ ne vivent pas le règne de Dieu, mais ceux qui font la volonté de Dieu » (Mt 7,21). Et : « Rappelez-vous et comprenez la parole prophétique : Je prends plaisir à la miséricorde, et non aux sacrifices « (Mt 12,7).
Jésus a brisé la logique et les fondements de la religion quand il a raconté la parabole du bon samaritain (Lc 10,25-37), du pharisien et du publicain (Lc 18,9-14), et surtout du ’jugement dernier’ : « J`ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli ; j’étais nu, et vous m’avez vêtu ; j’étais malade, et vous m`avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi… Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites » (Mt 25,35-41).
Jésus fut un croyant théiste de son époque, mais il a fracturé les images conventionnelles de Dieu, quand il l’a invoqué comme ‘abbá’. Quand il le contemplait dans la terre, la semence, la pluie, les oiseaux, le levain, le pain du travail et le vin de la fête. Quand il le reconnaissait dans la femme qui met le levain dans la farine, jusqu’à ce que la pâte soit toute levée… Quand il le décrivait comme joie de rencontrer celui/celle/ce qui est perdu (Lc 15).
Voilà la spiritualité de Jésus avec religion ou sans religion, toujours au-delà de la religion.
Note :
[1] J. Mansir, L’Évangile et la Religion, Cerf, Paris 2011, p. 215-216.Lire aussi :
• http://nsae.fr/2017/04/04/spiritualite-transreligieuse/
• http://nsae.fr/2017/03/28/spiritualite-pour-un-temps-nouveau/