Par Alberto Echaluce
La religieuse et théologienne catalane Teresa Forcades a donné une conférence sur « Spiritualité et genre » à Portalea, lors d’une réunion organisée par un groupe de femmes qui se réunissent tous les quinze jours dans la paroisse de San Andres depuis plus de 11 ans. Originaire de Barcelone, Forcades est diplômée en médecine. Elle a déménagé aux États-Unis pour étudier la médecine interne à l’Université d’État de New York. De retour en Espagne, elle est entrée au monastère bénédictin de Montserrat. Son diplôme en théologie n’a pas été validé par les écoles catholiques espagnoles parce qu’elle l’a obtenu d’une école protestante. Pourtant, Forcades a publié en 2007 le livre La teología feminista en la historia (La théologie féministe dans l’histoire), où elle se situe dans le champ des théologies critiques ou de la libération, faisant une revue historique des femmes qui ont fait l’expérience à travers l’histoire des contradictions entre le discours théologique et leur expérience de Dieu. En 2013, elle a créé, avec Arcadi Olivares, une plate-forme populaire pour promouvoir l’autodétermination de la Catalogne. En 2015, Forcades a quitté le couvent bénédictin pour participer aux élections sur l’autonomie catalane, bien qu’elle n’ait pas cessé d’être religieuse.
Ne pensez-vous pas que la lecture des Écritures sacrées met les femmes au second rang ? Ne pensez-vous pas qu’une image très stéréotypée et, dans une certaine mesure, chauvine des femmes émerge de cette lecture ?
Cela dépend de la façon dont on lit et interprète les Écritures. Si la déclaration «la femme doit rester silencieuse dans l’église» est retirée de son contexte historique, elle est simplement sexiste. Si vous considérez le contexte, cette déclaration conservée dans la Bible, en plus d’être sexiste, témoigne que, dans les premiers siècles, il y avait des femmes qui ont parlé dans l’Église et qu’une image apparaît des premières communautés qui contribue à interroger l’histoire de l’humanité telle qu’on nous l’a dit, et je ne parle pas seulement de l’environnement religieux. Dans la lettre de Saint Paul aux Romains, par exemple, apparaît le nom de Junia, une femme apôtre, que Saint Paul considère avec respect. Au Moyen Âge, le nom de Junia (féminin) a été changé en Junias (masculin).
Quel travail avez-vous fait en faveur de la promotion de la spiritualité dans une perspective de genre ?
En 2007, j’ai publié La teología feminista en la historia, où j’ai rassemblé le témoignage de femmes théologiennes comme Cristina de Pizán, Isabel de Villena, Moderata Fonte, Lucrezia Marinella, Teresa de Jesús, María Jesús de Ágreda, Juana Inés de la Cruz, Marie de Gournay, Bathsua Makin, Anna Maria van Schurman, Margaret Fell, Mary Astell, qui vont du XIVe au XVIIe siècle. En 2015, j’ai publié Por amor a la justicia : Dorothy Day y Simone Weil, un travail axé sur la vie et le travail de ces deux grandes femmes du XXe siècle engagées dans les luttes des travailleurs qui, après s’être déclarées athées et avoir d’abord vécu en tant que telles dans leur jeunesse, ont connu la présence de Jésus dans leur vie d’une manière qui les a surprises. Mon dernier livre, qui paraîtra en octobre, est Los Retos del Papa Francisco [“Les défis du pape Francis”]. Je m’adresse, entre autres choses, à la question des femmes dans l’Église. Outre les livres, je donne des cours et diverses conférences sur la spiritualité et la théologie faites par les femmes et surtout sur la nécessité de formuler une théologie capable de dépasser les stéréotypes.
Vous a-t-il coûté cher de maintenir des positions aussi révolutionnaires dans le domaine de la spiritualité et du genre ?
Jusqu’à présent, cela ne m’a pas beaucoup coûté. J’ai le soutien de ma communauté et mon évêque qui, bien qu’il pense différemment, n’est pas un homme autoritaire. Malgré cela, sous les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI, les groupes catholiques fondamentalistes étaient forts et il y avait beaucoup de critiques sur moi sur Internet qui ont maintenant disparu, avec le pape François. Ma position critique vis-à-vis des intérêts des grandes entreprises pharmaceutiques et de certains intérêts politiques en Catalogne a été plus coûteuse.
Avez-vous subi des pressions pour ne pas travailler dans l’arène politique ?
De l’Église non, aucune. Ce que ma communauté m’a demandé de faire, c’est de demander une période d’exclaustration pendant que j’étais active en politique, pour éviter la pression médiatique sur le monastère et c’est ainsi que nous avons fait.
Quelles ont été les raisons qui vous ont amenée à étudier la théologie protestante ?
Elisabeth Schüssler Fiorenza est une théologienne féministe catholique connue dans le monde entier pour son travail d’interprétation biblique. J’ai traduit l’un de ses livres et elle m’a encouragée à demander une bourse à Harvard, où elle est professeur. À Harvard, même si les origines de l’université sont méthodistes, on n’enseigne pas seulement la théologie protestante, mais il y a aussi des professeurs catholiques et orthodoxes, des juifs, des musulmans et des bouddhistes. Ce qui m’a conduite à Harvard n’était pas une théologie protestante, mais la qualité de l’enseignement là-bas. Ensuite, lorsque j’étais déjà religieuse et après avoir terminé mon doctorat sur la Trinité, je me suis déplacée à Berlin pour y faire un post-doctorat et on m’a invitée à donner des cours à l’École de théologie de l’Université Humboldt qui est protestante, mais a une chaire consacrée à la théologie catholique. Cependant, je n’ai pas travaillé dans cette chaire, mais dans celle des études de genre.
Comment attirez-vous l’intérêt d’un public jeune pour la foi religieuse à notre époque ?
Mon expérience avec les jeunes est surtout en Allemagne (Berlin), où j’ai donné des cours à l’université. J’ai observé que parmi eux, la tendance qui était en vigueur il y a quelques années à séparer la spiritualité (expérience personnelle de la foi) de la religion (expérience institutionnalisée) diminue. Les jeunes d’aujourd’hui sont plus sensibles aux limites de l’individualisme et plus ouverts aux expériences communautaires. La meilleure façon de les mettre en contact avec la foi religieuse est toujours de proposer des expériences de silence, de rencontre avec soi-même et de contact avec des témoignages crédibles auxquels ils peuvent formuler leurs questions et leurs préoccupations.
Traduction anglaise : http://iglesiadescalza.blogspot.fr/2017/06/teresa-forcades-theologian-and-nun.html
Traduction française par Lucienne Gouguenheim
Merci pour cette analyse pertinente!
Qaund on entend encore certains dire que les théologiennes, ça n’existe pas parce qu’elles ne publient rien! Grrr…