Par José Arregi
La suspension de la Déclaration d’Indépendance de la part du gouvernement catalan a ouvert une porte, si petite soit-elle, à l’espoir de voir le dialogue s’instaurer, mais l’inquiétude persiste. Personne ne sait ce qu’il peut advenir. Je ne sais même pas ce qui se passe en ce moment, et je ne crois guère ce que les grands médias nous racontent dans le but de nous influencer plutôt que de nous informer, de répandre l’alarme et de servir les intérêts de leurs maîtres plutôt que de chercher des solutions pour les habitants du pays, de tous les pays. Tout d’un coup, les nouvelles sur les chiffres du chômage du mois de septembre et celui des immigrants morts, sur la corruption et les réductions budgétaires (et l’obsession pour le Venezuela) ont disparu de leurs pages principales. Perversion du journalisme.
La situation est, sans aucun doute, complexe, de tous les points de vue, et les solutions simplistes sont forcément erronées, elles ne font qu’augmenter la souffrance. Mais il existe un ultime critère, purement démocratique, dont la formulation la plus simple ne devrait pas admettre de discussion, quand bien même son application concrète s’avère difficile : en dernier ressort, c’est la Catalogne qui doit décider de son statut politique et de ses rapports avec l’Espagne. Ce seul critère n’est forcément pas la solution à tout, mais il est la condition fondamentale de toute solution démocratique, raisonnable et durable. Cherchons-la. La solution est certes compliquée, mais le critère est simple.
Il est la base de toute cohabitation civique entre les peuples, les régions, les nationalités ou les nations… indépendamment de la dénomination que nous choisissions. Ou simplement entre les différentes polis de citoyens, dans le cas où ce terme semblerait plus illustré. Dans l’échelle de Maslow, le sens d’appartenance est le troisième des besoins fondamentaux de l’être humain, après les besoins biologiques et le besoin de sécurité. Nous sommes citoyens d’un peuple, tout comme nous sommes un peuple ou une polis de citoyens. Nous sommes citoyens de maints peuples qui cohabitent, et la terre tout entière est une communauté de communautés, une communauté de vivants. Vivons donc ensemble.
Cohabiter est un devoir, mais les formes concrètes de la cohabitation – les statuts politiques, par exemple – peuvent être multiples, et elles requièrent toujours le consensus des différentes parties. Tous les peuples, nous devons cohabiter, mais nous ne pouvons le faire que suite à une décision prise en toute liberté. Tous les pays doivent être solidaires, mais rien ne nous prouve que la Catalogne sera moins solidaire parce qu’indépendante. Vouloir imposer par la loi de la force un cadre de cohabitation c’est nier la première condition indispensable à toute vie en commun. Ce sont les aléas de l’histoire, très rarement le libre consentement des parties, bien plus souvent les caprices des mariages monarchiques et presque toujours la force des invasions militaires, qui ont tracé les frontières des États actuels. Il suffit que nous regardions la carte et que nous révisions l’histoire, la carte et l’histoire de l’Europe, par exemple. Personne ne doit être forcé d’appartenir à un État dont on ne peut traverser les frontières sans papiers et d’où l’on ne peut sortir librement.
Ce n’est pas l’Europe, mais l’Espagne qui doit décider de continuer à faire partie de l’Union Européenne. La Grande-Bretagne a décidé de s’en séparer, et personne ne l’en a empêché. Tout comme la Grande Bretagne n’a pas empêché l’Écosse, ni le Canada le Québec, de décider de partir ou de rester. Il s’agit-là de pays démocrates, civilisés. Tout simplement. Ces pays n’ont pas fermé la porte au dialogue et à la négociation pendant sept ans, comme l’ont fait, en Catalogne, le nationalisme espagnol et ses gouvernements successifs du PP et du PSOE, se camouflant dans une Constitution dont ils possédaient la clé (soit dit en passant, qu’ils ont bien pu la changer en une nuit pour mener à bien leurs desseins). Ils ont empêché par la force un référendum légal en Catalogne. Ils ont imposé la loi de la force plutôt que la loi du droit. Cela explique que nous en soyons arrivés là, et il n’y a qu’une issue à cela.
Nous avons beau retourner la question dans tous les sens, à un moment donné il faudra faire un référendum légal en Catalogne, et si la majorité des Catalans opte pour l’indépendance, il faudra l’accepter. Si nous ne savons pas ce que la majorité veut vraiment, il n’y a qu’une seule façon de trancher le problème : mettre des urnes et compter les voix.
L’empêcher avec des lois, la prison, les matraques ou les tanks dépasse même la sauvagerie la plus bestiale. Et en plus, c’est déjà impossible. Une vidéo est plus forte que mille policiers, un tweet, plus fort qu’un tank. Moins nous ressasserons cette affaire et mieux ce sera pour tout le monde et pour la démocratie et pour la politique en général. Que la Catalogne décide donc ce qu’elle veut être. Et si, ensuite, le Val d’Aran veut se séparer de la Catalogne, qu’il le décide également, de façon civique.
Source : http://blogs.periodistadigital.com/jose-arregi.php/2017/10/16/que-decida-cataluna
Traduit de l’espagnol par Edurne Alegria