Par Régine et Guy Ringwald
Tout se met en place pour accueillir le Pape, ce lundi soir 15 janvier. Évidemment, on s’attend à ce que la foule des fidèles catholiques soit au rendez-vous : il y aura plusieurs grands rassemblements. Mardi 16, on attend 400 000 personnes au parc O’Higgins, à Santiago où des Argentins viendront se joindre aux Chiliens. L’aéroport militaire de Maquehue sera le théâtre de la célébration à Temuco, en pays mapuche, et on espère plus de 300 000 personnes à Iquique, avec le renfort de Boliviens. Mais Iquique, c’est loin et, samedi 13, seulement la moitié des places proposées avaient été retenues. 18 000 volontaires ont été mobilisés, on a commandé 600 000 hosties, et on installe 2000 m2 d’écrans LED.
Si on ne doute pas de la présence des foules, on note quand même un souci concernant la sécurité : des milliers de militaires et de policiers ont été mobilisés, et le Pape ne se déplacera pas toujours en Papamobile, il y aura des trajets en voiture fermée. Cette décision, contraire à ce qui était prévu, a été publiée ce week-end. C’est que le Pape est aussi attendu sur des problèmes majeurs. En décidant d’aller à Temuco et Iquique, il n’a d’ailleurs pas choisi la facilité. Ce sont des étapes à risques [1]. Temuco est en pays mapuche, peuple autochtone qui réclame les terres dont il a été spolié et dont certaines organisations sont radicales et violentes. Iquique est proche de la Bolivie qui revendique un accès à la mer pour le moins problématique, et connaît un malaise social du fait la présence visible de migrants.
Plusieurs incidents se sont produits, en fin de semaine, dont une intrusion à la nonciature, une “marche des pauvres” qui dénonce le coût du voyage du Pape dont 7 milliards de pesos (près de 10 millions d’euros) sont à la charge de l’État. Le plus grave : au moins cinq églises ont été attaquées par des engins incendiaires, avec quelques dégâts, mais surtout on a trouvé sur les lieux des menaces d’une extrême violence: “la prochaine bombe, c’est pour ta soutane” ou encore “L’unique Église qui illumine est celle qui est en flammes? Ha ha! Non au Pape ! » Ces exactions sont généralement attribuées à des groupes mapuches extrêmes.
Mais le plus important, le plus organisé et le plus sérieux, c’est l’action que les laïcs ont réussi à mettre en place: une veillée vendredi 12 à la cathédrale, une communication, ce dimanche, à l’issue de la messe à l’église de Maipu (banlieue de Santiago), une présence en de nombreux points du parcours. Le plus remarquable sera un colloque organisé par les victimes de Karadima, où doivent intervenir des représentants d’organisations de plusieurs pays : Mexique (Maciel et Les Légionnaires du Christ), Pérou (Soladicio, une communauté sous l’égide de Luis Figari, un Karadima local, Équateur, les victimes de Karadima et leur avocat, Peter Saunders qui a démissionné de la Commission Pontificale de protection des mineurs, François Devaux (La Parole Libérée, Lyon). Ils veulent œuvrer à débarrasser l’Église de ce cancer qu’est la pédophilie pour changer son image, et proposer un programme d’action à l’Église. Au-delà du problème qui les a mis en route, ils travaillent à une nouvelle manière d’être l’Église, par plus de vérité et une autre notion du pouvoir.
L’action des laïcs, leur résistance à Osorno, le réseau solidaire qui se met en place sur les questions de pédophilie, sont exemplaires. Par leur sérieux, leur compétence et leur persévérance opiniâtre, il pourrait se révéler qu’ils auront marqué l’avenir de l’Église.
Une surprise nous attendait jeudi soir le 11 janvier : la publication par Associated Press du facsimilé d’une lettre du Pape, datant du 31 janvier 2015, au Comité permanent de la Conférence des Évêques du Chili. Le 31 janvier 2015, c’est entre la nomination de Barros et son installation. Selon ses termes, le nonce a fait savoir à Barros qu’il devait se retirer et prendre un congé sabbatique, et que les autres évêques formés par Karadima seraient traités de même, mais qu’il ne fallait pas le leur dire. Or Barros en a fait état en démissionnant. Le Pape a considéré que cela bloquait son action. (voir le facsimilé et sa traduction). Or, depuis cette époque, depuis trois ans donc, le pape est resté étonnamment fermé sur le cas Barros, sourd aux conseils et aux appels de toute part, se mettant en colère sur la Place Saint-Pierre: on se souvient de cette vidéo dans laquelle on voit François se fâcher, disant que les laïcs d’Osorno sont stupides, menés par le bout du nez par des gauchistes. On a su aussi que le Pape n’aimait pas qu’on lui parle du cas d’Osorno, cela l’irritait. On pensait, bien sûr, qu’il était irrité par le fait qu’on mette en cause la nomination de Barros et son maintien en poste. Aujourd’hui, on se demande si ce n’est pas plutôt par la “maladresse” du nonce, et ce qu’elle pourrait révéler d’une entrave à son action.
Tout est étrange dans cette affaire : aussi bien la lettre elle-même que le fait qu’elle ait “filtré”, on ne sait pour l’instant ni d’où, ni comment. À moins qu’il s’agisse d’une fine tactique, cette publication vient perturber la belle ordonnance du voyage.
Plusieurs évêques ont confirmé l’authenticité du document, et le Cardinal Ezzati se dédouane par une proclamation d’innocence, sans donner la moindre explication. Il reste bien surprenant que le nonce ait fait capoter, disons par maladresse, le plan du pape et qu’il soit toujours en poste trois ans plus tard. Si on remonte un peu le temps, on ne peut s’empêcher de voir que depuis que le Cardinal Sodano a été nonce à Santiago, avant de devenir Secrétaire d’État du temps de Jean-Paul II, une sorte de réseau s’est mis en place entre Sodano, au Vatican, Errazuriz, l’Archevêque de Santiago qui a couvert Karadima, mais qui fait maintenant partie du Conseil dit C 9 constitué autour du pape, et un autre cardinal chilien, Medina, également au Vatican. Il n’est pas indifférent que le nonce actuel qui fait parler de lui aujourd’hui ait été ordonné par Sodano.
Comment l’imbroglio ainsi formé sera-t-il dénoué ? Des mesures vont-elles être prises ? Lesquelles ? Quand ? Allons-nous en apprendre plus sur l’action de cette “amicale” en soutanes ? Allons-nous constater que le triste état dans lequel se trouve l’Église du Chili est le résultat de leurs manœuvres ?
Note :
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DEUX VICTIMES DE KARADIMA ACCUEILLENT LES LAÏCS D’OSORNO À SANTIAGO
Traduction de leurs interventions :
Quelques mots de Juan Carlos Cruz :
Bienvenue à Santiago. Merci d’être ici et pour votre juste combat, pour continuer à aimer votre Église comme vous l’avez fait. Chaque jour, nous nous rendons davantage compte que ce que nous faisons est correct. Nous l’avons su dernièrement sans aucun doute : notre combat est juste, notre combat est pacifique et notre lutte consiste a donner une meilleure image de l’Église à tous.
Toute mon affection à vous tous, de ma part et de la part de tous les amis qui sont venus des États-Unis, de France et d’Angleterre. Nous vous aimons beaucoup et sommes de tout cœur avec tous.
Merci beaucoup, beaucoup car, grâce à tout cela, nous allons changer l’Église.
Je vous embrasse tous très très fort.
Quelques mots de Andrés Murillo :
Je vous remercie de l’affection et de la force que vous avez eues pour lancer ce juste combat ; c’est une communauté catholique qui demande à l’Église et à la hiérarchie d’avoir un évêque éthiquement légitime et qui puisse nous conduire, et non quelqu’un qui couvre (les abus) parce qu’un évêque qui couvre les abus ne peut pas être pasteur.
Donc merci beaucoup, avec toute l’affection du monde pour tout ce que vous avez manifesté pour nous soutenir et c’est un soutien juste.
En vérité lorsque nous sommes venus à Osorno nous avons senti que nous faisions partie de la communauté et nous voulons vous remercier. Merci