A la suite de la lecture de son livre « Etre chrétien dans la modernité », nous avions bien apprécié la rencontre avec Jacques Musset en janvier 2012. L’ouvrage de J. S. Spong dont le titre « Jésus pour le XXIe siècle » est la traduction française du titre original : « Jesus for the Non-Religious – Recovering the Divine at the Heart of Human » (Jésus pour les non-religieux – Retrouver Dieu au cœur de l’humain) (1) a suscité parmi nous un intérêt similaire. Ces auteurs nous appellent avec insistance à nous réapproprier notre foi chrétienne : la dégager de tout ce qui obscurcit le message évangélique devient un enjeu vital devant le fossé qui se creuse entre l’Institution et ses dogmes et le développement des connaissances. Le Monde des Religions titrait récemment un article consacré à l’ouvrage de Spong : « Le catholicisme risque de disparaître d’ici 50 ans ».
Le projet d’une rencontre pour débattre de l’ouvrage de Spong est né ainsi au sein du GES, à l’initiative de NSAE ; la rencontre à laquelle nous étions une quarantaine de participants, s’est déroulée à Vierzon, lors du premier week-end de juillet ; le groupe NSAE-Cher en a assuré l’organisation et Guy Lecomte, de l’Association culturelle Marcel Légaut (ACML), l’animation. Il n’est pas possible de détailler ici la grande richesse de l’exposé de ce dernier, qui a fait une présentation et une analyse détaillées de l’ensemble de l’ouvrage, illustrée par la lecture de nombreux extraits, entrecoupée de phases de débats et d’échanges entre tous, et qui a replacé ce livre-événement dans l’histoire de la recherche religieuse historico-critique et en particulier de la crise moderniste. Nous tentons ici quelques éclairages rapides.
La démolition, certes déjà connue mais assez systématique ici, de l’historicité des récits évangéliques – y compris des épisodes de la passion et de la résurrection – ou la négation des miracles peuvent heurter ; elles sont indispensables, estime l’auteur, parce que l’ignorance de la vérité historique de Jésus mine à terme la foi (« peut-on adorer avec son cœur quand l’esprit est bafoué ? »). Depuis le concile de Trente et les premières formulations de la doctrine, la société n’a cessé d’évoluer, mais les Eglises ont continué à enseigner l’histoire de Jésus en la figeant dans un corpus de doctrines affirmées comme des vérités, sans tenir compte du développement des sciences, et en particulier des sciences humaines.
L’essentiel est de regarder l’homme Jésus, séparé de son mythe et du débat sur sa double nature et, en lui (et non par lui), rencontrer le divin au cœur de l’humain. Spong nous entraîne dans une analyse et un rejet du théisme, cette manière primitive – dont nous sommes imprégnés – de concevoir Dieu comme un être d’une puissance surnaturelle, extérieur à notre vie, demeurant quelque part au-dessus du ciel et intervenant périodiquement dans l’histoire pour y accomplir sa propre volonté. Il rejoint Marcel Légaut, qui parlait d’ « athéisme purificateur » et pensait que « la vie spirituelle, si elle doit pouvoir se développer sans nous obliger d’être croyant en Dieu, nous permettra probablement, par le fait qu’elle est très proche du mystère humain, du mystère que nous sommes chacun à nous-mêmes, d’atteindre une perception de l’existence de Dieu (…) qui ne sera pas seulement la conséquence de nos peurs et de nos espoirs. » Nous avons aussi rapproché l’expression de Spong, « Jésus, face familière du mystère ultime que j’appelais Dieu » (p. 23) d’un texte de Marcel Légaut (2) « Si j’entre dans l’histoire et dans l’intelligence de cet homme singulier qui a été Jésus, de ce qu’il a vécu, il y a alors une autre approche de la grandeur de l’homme qui n’est pas sans éclairer ma propre grandeur et me fait reconnaître en Jésus une réalité qui, tout en n’étant pas étrangère à ce que je peux vivre, va au-delà de ce que je peux atteindre. Jésus nous approche de Dieu mais sans nommer Dieu, parce que Dieu est impensable. »
Grâce aux liens que Guy Lecomte a établis à plusieurs reprises avec des écrits de Marcel Légaut, et la lecture qu’il nous a faite de plusieurs extraits, nous avons mieux pris conscience de l’importance très actuelle de la pensée de Légaut et exprimé le désir d’un approfondissement.
De façon générale, nous soulignons la richesse incomparable de la présence d’un animateur de sa qualité qui a fait de cette rencontre un temps très fort. Et nous concluons ici avec cette intervention de Maria au cours des discussions : « La rencontre en 2012 avec Jacques Musset a été une lumière, parce que ce Dieu que je sentais, il m’a fait découvrir qu’il est en moi, la source de cette vie qui est en moi. Depuis, je me suis encore plus attachée à découvrir la vie de Jésus pour voir à travers Jésus le sens de ma vie. »
Lucienne Gouguenheim
(1) Editions Karthala.
(2) « Comment parler de Dieu sans en dire trop » (paroles prononcées au Carmel de Mazille, le 7 avril 1990)