par Luis Miguel Modino
Femme, indigène, et théologienne sont des catégories apparemment difficiles à combiner. Telle est la situation de Vicenta Mamani Bernabé, une femme aymara de l’Église méthodiste, formée en théologie, et actuellement recteur de l’Instituto Superior Ecumenico Indígena de Teología à La Paz (Bolivie).
Dans cette interview, la théologienne aymara nous offre une vue des défis auxquels elle est confrontée dans son travail quotidien : les visions du monde des peuples indigènes des Andes ; leurs relations avec le christianisme ; comment comprendre ces relations et comment il peut y avoir un enrichissement mutuellement.
Quelle est la mission que l’institut que vous dirigez tente de mener à bien?
C’est un lieu de formation du personnel technique de haut niveau en sciences religieuses et théologie, de sorte que ces hommes et ces femmes puissent servir dans les églises, les organisations sociales et dans la société elle-même.
À l’Institut, un programme pastoral biblique est en cours qui organise des groupes d’hommes et de femmes laïcs dans les églises locales pour les former dans les domaines de la Bible, du genre et d’autres questions, ainsi que la formation des diplômés dans les questions de hautes et basses terres et la formation des professionnels qui travaillent dans les institutions et les ONG. Nous offrons des conférences publiques, des ateliers et des réunions sur des sujets différents. Les questions qui traversent l’institution sont les thèmes du genre, du dialogue interculturel et interreligieux, de la théologie de la création, de la décolonisation religieuse et théologique, et des spiritualités ancestrales.
Comment combinez-vous le fait d’être une femme autochtone et une théologienne ? Est-il difficile d’entrer dans le monde de la théologie en tant que femme indigène?
L’étude de la théologie est habituellement réservée aux hommes et maintenant dans les instituts théologiques et les universités, nous, les femmes, entrons peu à peu dans ce domaine de la formation, mais ce n’est pas facile d’étudier dans un environnement sexiste, androcentrique et, accessoirement, les études de théologie ne sont pas économiquement rentables. On étudie parce qu’on en a la vocation, en raison d’un engagement à servir dans l’Eglise, sachant que nous, les femmes sommes celles qui font le travail de service.
Sans vouloir étudier seulement la façon de pourvoir les lieux de responsabilité. Est-il difficile d’occuper des postes qui l’ont toujours été par des hommes?
L’institut où je travaille existe depuis vingt ans et pendant tout ce temps, ce sont toujours des hommes qui ont dirigé l’institution. Mais maintenant je suis dans cette position de recteur et c’est un grand défi d’être en mesure de faire avancer cette institution. Et en tant que femme, je pense que je dois faire face à de nombreux problèmes internes, mais aussi avec la confiance de réussir. Je reçois du soutien de mes collègues, le conseil d’administration, de nombreux membres et partenaires de l’institution pour qu’elle aille de l’avant.
Entre les peuples indigènes d’Amérique latine et le christianisme et ses traditions, quelles sont les similitudes et les différences?
Peuples andins, dans ce cas de la culture aymara, nous pouvons dire que nous ne pouvons pas cesser d’être aymaras pour devenir des hommes et des femmes chrétiens. Nous devons rester des hommes et des femmes aymaras. De nombreuses valeurs que nous lisons dans la Bible – aimer le prochain, visiter les malades, être en solidarité avec ses frères et sœurs – toutes ces valeurs sont présentes dans la culture aymara. En accompagnant nos frères et sœurs dans leurs difficultés dans la communauté, vous avez à rire avec ceux qui rient, à pleurer avec ceux qui pleurent, si une personne est malade dans la communauté, vous devez aller lui rendre visite, si quelqu’un a faim vous devez également le soutenir avec de la nourriture, si quelqu’un n’a pas de vêtements, vous devez vous défaire vous-mêmes et leur en donner, quand il y a du travail de la communauté à faire, vous devez être l’un de ces hommes ou l’une de ces femmes, si quelqu’un se marie, tout le monde doit être là pour célébrer, et si quelqu’un meurt, vous devez également participer à dire au revoir à la personne. Donc, toutes ces valeurs humaines de la communauté sont pour moi les valeurs évangéliques. Elles se complètent mutuellement. Les valeurs évangéliques renforcent l’expérience aymara.
Cette relation avec les forces de la nature qui est si présente dans les traditions andines et la spiritualité, que signifie-t-elle pour l’Aymara?
Pour nous, ce Pacha, l’univers, la nature, la Pacha Mama est notre Grande Maison, c’est le temple de Dieu, et ainsi la Pacha Mama est notre mère qui nous nourrit. On y trouve les plantes, l’eau, les animaux. Tout dans la nature est vivant, a un esprit et, par conséquent, nous vivons ensemble comme des frères et sœurs de la nature, si vous voulez, en tant que fils et filles de la nature. Mais nous, les humains, ne pouvons pas nous sentir supérieurs à la nature, mais plutôt que nous sommes une partie de ces êtres qui existent en tant que sujets dans la nature. Nous sommes reliés aux biens de la nature en tant que sujets – de sujet à sujet – nous ne voyons pas les choses de la nature comme des objets.
Le christianisme a-t-il réussi à s’inculturer dans la tradition aymara, dans la tradition des peuples andins?
Les peuples andins se sont approprié de nombreux éléments chrétiens qui soutiennent notre vie. La Bible, la croix, la prière et d’autres symboles et d’autres valeurs de l’Évangile sont déjà intégrés dans nos vies. Tout ce qui ne porte pas atteinte à notre vie est approprié.
Comment se présente la coexistence entre les différentes confessions chrétiennes et la tradition aymara?
La plupart des églises chrétiennes prêchent toujours le message qu’elles sont porteuses de la vérité et, par conséquent, elles divisent souvent les communautés. Dans une communauté, il y a les méthodistes, l’Assemblée de Dieu, l’Église catholique et d’autres communautés religieuses. Parfois, cela ne nous conduit pas à l’unité, mais à la division, et ce n’est pas bon.
Traduction anglaise : http://iglesiadescalza.blogspot.co.uk
Traduction française : Lucienne Gouguenheim