Pedro Arrupe, “Itinéraire d’un apôtre”
Un leader spirituel
Son destin fut exceptionnel. Etudiant en médecine à Madrid et membre d’une conférence St-Vincent de Paul, il est témoin de plusieurs guérisons à Lourdes et décide de consacrer sa vie à Dieu. Il entre dans la Compagnie de Jésus en janvier 1927. Quand le gouvernement républicain espagnol dissout l’Ordre, en 1932, il quitte l’Espagne et poursuit ses études en Belgique, en Hollande et aux Etats-Unis, où il est ordonné prêtre. A New York, il est aumônier des hispanophones en prison. Depuis longtemps désireux d’être missionnaire, il part en 1938 pour le Japon, où il est bientôt maître des novices, à Hiroshima. Quand explose la première bombe atomique, il se dévoue sans compter auprès des blessés. Plus tard, il est supérieur des jésuites du Japon, d’où il est appelé pour être élu supérieur général des jésuites en 1965.
Selon le Père Calvez, qui fut assistant général auprès de lui à Rome et son plus récent biographe, il fut l’un des acteurs du réveil conciliaire et un leader spirituel en son temps, comme Dom Helder Camara à Recife et, de façon très différente, Frère Roger aujourd’hui à Taizé. Son dynamisme spirituel, son tempérament mystique et passionné, mais aussi sa grande bonté, toujours attentive à chaque personne concrète, exercèrent un rayonnement sur les jésuites et sur beaucoup dans l’Eglise.
Le combat pour la foi et la justice
Président de l’Union des supérieurs généraux de 1965 à 1983, le Père Arrupe participe aux grandes assemblées de l’Eglise. Il oeuvre de toutes ses forces pour la rénovation de la vie religieuse. Il aide alors puissamment les jésuites à comprendre leur mission comme un service de la foi qui implique un combat pour la justice. Ses incessants voyages lui permettent de réaliser qu’une part au moins de l’incroyance contemporaine s’explique par le scandale de l’injustice sociale, criante dans nombre de pays du sud.
Peu de temps avant la thrombose qui va le réduire au silence de l’infirmité pendant les dix dernières années de sa vie, il crée le Service jésuite des réfugiés (JRS), car, disait-il, dépouillés de tout, les réfugiés sont les plus pauvres des pauvres. Missionnaire dans l’âme, il veut que l’Evangile soit annoncé dans les langues et les cultures du monde. Cette nécessaire inculturation de la foi est l’une de ses intuitions les plus fécondes. Il veut aussi que les jésuites, comme éducateurs, aident chacun à devenir “un homme-pour-les-autres”.
Trois amours
En ces périodes de remises en cause et de crise dans les sociétés et dans l’Eglise, y compris dans la Compagnie de Jésus, il fut souvent incompris. Paul VI puis Jean-Paul Il, avec des tempéraments et dans des conjonctures différents, furent déconcertés par les chemins nouveaux que les jésuites essayaient d’ouvrir, dans leur attention aux évolutions qui bouleversaient les mentalités et les sociétés. Il en souffrit beaucoup, lui pour qui le principe et fondement de la Compagnie de Jésus résidait dans la promesse spéciale que les jésuites font à Dieu d’obéir au pape, “Vicaire du Christ sur terre”, pour les missions confiées par lui.
Sensible aux “irruptions amoureuses” de Dieu et de sa providence, il reconnaissait trois amours dans son existence. Celui de la Compagnie et de ses frères, jusqu’au bout. L’amour de I’Eglise, que l’Esprit ne cesse d’animer. Enfin l’amour du Christ, qui était l’idéal et le centre de sa vie.
Heureux les artisans de paix !
L’un de ses textes permet d’entendre sa voix et d’approcher davantage la foi profonde de cet homme de décision et de compassion.
“Les flammes sautaient de maison en maison, dressant un mur infranchissable d’immenses langues rougeâtres. Une fumée noire, dense et aveuglante; enveloppait complètement les rues et sortait des édifices dont le bois était la proie des flammes. (…) Il n’y avait pas de temps à perdre. Nous ne pouvions faire que deux choses prier intensément et travailler sans relâche. Avant de prendre une décision concrète, je me rendis à la chapelle, dont un mur avait été pulvérisé, pour demander au Seigneur de nous éclairer dans les affreuses ténèbres où nous nous trouvions soudainement plongés. Partout régnait la mort, la destruction. Nous étions anéantis par notre propre impuissance. Mais Lui là-bas, au tabernacle, connaissait tout, voyait tout, et n’attendait que notre invitation pour participer avec nous à l’œuvre de reconstruction qui allait suivre.
Que Dieu semble proche dans le fracas de la tempête ! Et combien davantage l’éprouve-t-on encore quand on vit parmi des millions d’infidèles qui jamais ne l’invoquent, parce qu’ils ne le connaissent pas ! Tout le poids moral de la prière nous incombait, petite poignée de jésuites qui, dans cette maison de Nagatsuka, connaissions Celui qui peut apaiser les vagues déchaînées de la mer … et les flammes d’un incendie.
Lorsque je quittai la chapelle, ma résolution était prise. Notre maison devait se transformer en hôpital improvisé. Tous adhérèrent à cette idée avec ardeur, et dans un enthousiasme né du chagrin provoqué par la vue de tant de souffrances, se déclarèrent prêts à y collaborer (…) Avant même le retour de ceux qui étaient partis à la recherche de vivres, se pressait chez nous une grande foule, aux corps défigurés et mutilés.” (in Pedro Arrupe, L’espérance ne trompe pas, pp 203-205).
Cet article a été rédigé par Paul Legavre, rédacteur en chef de la revue Croire aujourd’hui.