Vers une Eglise du futur : le dossier
Par Ingrid Augot
Voici que deux documents dont nous n’osions plus rêver nous arrivent coup sur coup, l’un de Hollande, l’autre d’Amérique latine. Le premier est le rapport rédigé par une commission de frères dominicains, agrée par la Province dominicaine des Pays-Bas le 11 janvier 2007 ; le second est issu des travaux de la 5e Conférence des évêques d’Amérique latine et des Caraïbes qui s’est tenue à Aparecida (Brésil) du 13 au 31 mai 2007. Serait-ce enfin le signe que certaines autorités de l’Eglise prennent conscience de la situation catastrophique dans laquelle se trouve le Peuple de Dieu ?
« L’Eglise et le ministère. Vers une Eglise du Futur »
Le texte que nous mettons en ligne est traduit à partir d’une première traduction du néerlandais en anglais. La commission désignée par le chapitre provincial des Dominicains de Hollande avait pour tâche d’étudier les aspects théologiques de la question suivante : « la célébration de l’Eucharistie dépend-elle du ministère d’hommes ordonnés ou est-il possible que des communautés ecclésiales ou les pasteurs qu’elle a désignés célèbrent eux-mêmes l’Eucharistie ? ». Leur rapport est le fruit d’une longue et minutieuse consultation auprès de nombreuses paroisses néerlandaises.
Première constatation : le manque de prêtres ordonnés. Une grande partie des paroisses n’est pas satisfaite de la politique diocésaine qui consiste à les regrouper par région et même de faire appel à un clergé étranger. Elles ne sont pas d’accord avec la politique des autorités de l’Eglise « qui font le choix de donner priorité à la prêtrise dans sa forme actuelle contre le droit des communautés à l’Eucharistie ».
Si les évêques semblent avoir oublié Vatican II, les laïcs s’en souviennent et cherchent différents moyens de sortir de cette situation. Ils font de moins en moins la distinction entre une « célébration eucharistique », présidée par un prêtre ordonné, et un « service de la parole et de la Communion », présidé par un homme ou une femme qui n’a pas reçu l’ordination sacerdotale. Les prières eucharistiques officielles leur semblent souvent dépourvues de sens. Par contre, celles qui sont composées par la personne qui préside la célébration ou la communauté elle-même leur parlent davantage parce qu’elles sont « plus faciles à comprendre et plus en accord avec une expérience de foi moderne ».
De même que José Comblin est persuadé que l’application du programme d’Aparecida ne pourra se réaliser du haut vers le bas, de même les paroisses consultées « partent du principe que la fonction de présidence des célébrations de la communauté vient ‘d’en-bas’ et que le ministre est désigné par la communauté elle-même ». Il en résulte une situation de blocage par rapport à des autorités diocésaines qui optent expressément pour des paroisses cléricales. Ce blocage est d’autant plus difficile à vivre pour ces laïcs qu’ils ne rejettent pas la fonction épiscopale comme telle. Bien au contraire, « ils souhaitent un rituel dans lequel la communauté locale puisse proposer à l’évêque d’ordonner ces personnes – hommes ou femmes – qu’elle a choisies elle-même pour être à la tête de la communauté, rituel qu’accomplirait l’évêque ». Il n’en reste pas moins vrai que pour eux « la tâche et le ministère du responsable de la communauté sont déterminées à la base (“démocratiquement”) par la communauté ecclésiale ».
En ce qui concerne la prière eucharistique, « on ne peut pas dire que, par son ordination, le ou la ministre reçoit le pouvoir de faire ce que d’autres ne peuvent pas faire. La communauté lui confie une forme de responsabilité plutôt qu’un pouvoir : la responsabilité d’agir de la part de tous et au nom de tous ». Il s’agit encore ici « d’une inversion radicale du système ecclésiastique ».
Ces laïcs d’en bas ne seraient-ils pas « les personnes nouvelles, formant des groupes nouveaux et créant un nouveau style de vie » sans lesquelles aucun changement en profondeur n’aboutira ? (José Comblin) A vrai dire, le Nouveau Testament contenait en germe cette vision « révolutionnaire », reprise dans plusieurs textes de Vatican II (1962-1965). La conception de l’Eglise comme Peuple de Dieu, essentiellement composé de laïcs, était tombée dans les oubliettes. Voici qu’elle ressurgit, enrichie en cours de route par de longues années de recherches, souvent tâtonnantes, menées conjointement par des laïcs, des théologiens et même quelques évêques.
Aparecida
Dans l’attente de la traduction du document d’Aparecida en français, nous renvoyons aux analyses de José Comblin et de Bernard Lestienne (Dial), dont voici un premier aperçu.
Pour Comblin, il s’agit ni plus ni moins que de l’annonce « d’une inversion radicale du système ecclésiastique […] Le changement doit toucher toutes les institutions de l’Eglise.[…] Tout sera désormais orienté en vue de la mission ». Celle-ci se situe au cœur du monde et doit être capable d’assumer les défis contemporains tels que l’urbanisation, l’écologie, les problèmes d’environnement etc… Des mots devenus tabous comme « option pour les pauvres », « communautés ecclésiales de base » et les grandes inspirations de la théologie de la libération refont surface. La mission prophétique et sanctificatrice des laïcs est reconnue.
José Comblin relève également d’importantes lacunes dans le texte des évêques. Il remarque, par exemple, que dans le deuxième chapitre où il est question de la situation réelle de l’Amérique latine, « le document ne va pas jusqu’à condamner le capitalisme ni le système actuel de globalisation, bien qu’il en ait montré tous les vices ». D’une façon générale on n’y trouve aucune analyse des structures et il évite soigneusement de parler des conflits. De même, l’humanité du Christ est présentée hors de son contexte historique. L’Esprit Saint – et la critique vaut pour toute l’Eglise occidentale, y compris Vatican II – est mentionné uniquement « pour renforcer l’énoncé fait par la hiérarchie ou par le clergé en général […] On ne se risque pas à prier pour que l’Esprit Saint vienne illuminer notre esprit ». Qui sait où cela pourrait nous conduire !
Enfin, question cruciale, qui va être capable de mettre en œuvre ce programme radical ? « L’histoire montre que tous les changements profonds dans l’Eglise furent réalisés par des personnes nouvelles, formant des groupes nouveaux et créant un nouveau style de vie ; et ce toujours à partir d’une option de vie dans la pauvreté. Ce ne furent jamais celles établies dans le leadership ni dans les structures installées ». Comblin n’hésite pas à nous faire part de sa longue expérience personnelle : « je crois que les futurs missionnaires capables de changer la physionomie de l’Eglise seront des laïcs, des missionnaires laïcs ». Il est persuadé que le changement ne pourra se faire que du bas vers le haut.
Le commentaire de Bernard Lestienne recoupe celui de Comblin tout en présentant le texte sous un jour un peu différent. Il en rappelle les trois thèmes principaux : la vie en plénitude, le disciple et la mission. « Le cœur du message est une Eglise en permanente attitude de mission, composée de disciples défenseurs et promoteurs de la vie en abondance. […] La mission mène au cœur du monde ». L’Eglise, qui n’a pas le monopole de la charité, de la justice et de la paix, devra s’ouvrir et travailler avec d’autres organisations ou institutions de la société civile. « Les grandes villes sont des laboratoires de la culture contemporaine.[…] L’annonce de l’Evangile ne peut faire fi de la culture actuelle, qui doit être connue et, en un certain sens, assumée par l’Eglise ». Le document reconnaît enfin l’importance du rôle des femmes et plaide pour « une véritable présence de la femme dans les ministères que l’Eglise confie aux laïcs, au niveau de la planification comme de la décision ».
Bernard Lestienne formule, lui aussi, quelques critiques importantes notamment sur l’ecclésiologie sous-jacente à ce document : « Tout tourne autour des évêques, comme s’ils étaient eux l’Eglise ». C’est bien ce dont nous souffrons également en Europe !
Malgré ces restrictions et quelques autres, ce document épiscopal est un événement imprévu dont l’importance réside surtout dans « les pratiques nouvelles qu’il engendre à tous les niveaux ».
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Cette rapide présentation voudrait susciter l’envie de lire attentivement ces documents en leur entier. Ils devraient passionner ceux et celles d’entre nous qui se posent les mêmes questions et expérimentent déjà des célébrations eucharistiques porteuses de sens pour les femmes et les hommes d’aujourd’hui. Le rapport des Dominicains (qui comporte une réflexion théologique très importante qui n’a pas été reprise ici) a été largement distribué dans les paroisses hollandaises. Grâce à leur mise en ligne sur la toile, on peut se prendre à rêver que le projet de la Conférence épiscopale d’Aparecida et le rapport des Dominicains ne resteront pas lettre morte et provoqueront un nouveau sursaut au sein du Peuple de Dieu (lire à ce propos l’article publié dans le quotidien La Croix, ainsi que le rapport de l’Ordre des Dominicains en réaction au texte hollandais). En attendant ils nous apportent un souffle de fraîcheur dont nous avions grand besoin…