Vous êtes maintenant le peuple de Dieu, par Mgr Pierre Raffin
Monseigneur Pierre Raffin a été nommé évêque de Metz en 1987, dans la continuité de 30 années de vie dominicaine dans les communautés de Paris. Au sein de la Conférence des Évêques de France, il a travaillé à la Commission de la Vie consacrée et à la Commission des ministères ordonnés, dont il a été président. Il est membre du Conseil pour les Questions canoniques. À Rome, il est membre de la Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et les Sociétés de Vie apostolique.
QU’EST-CE QUE LE PEUPLE DE DIEU ?
« Autrefois vous n’étiez pas son peuple, mais aujourd’hui, vous êtes le peuple de Dieu (laos Theou) », 1ère lettre de Pierre, chapitre 2, verset 10
Ces mots sont tirés de la Première Lettre de Pierre, adressée sans doute de Rome par l’apôtre, entre 50 et 64, à des chrétiens dans l’épreuve et guettés par le découragement. Bien que de portée surtout pratique, cette Lettre constitue un riche résumé de la théologie chrétienne commune à l’époque apostolique. Son intérêt tient surtout à ce qu’elle fonde entièrement le comportement chrétien sur le baptême, à tel point que certains y ont vu l’abrégé d’une catéchèse ou d’une homélie baptismale. Ce n’est pas pour rien que le cycle annuel des lectures bibliques de l’Office de lecture propose la lecture de la Première Lettre de Pierre au cours de la semaine pascale qui est une semaine essentiellement baptismale.
La version originale grecque Laos Theou (= peuple de Dieu) mérite d’être citée parce que le mot laos donnera notre mot français laïc que l’on pourrait définir comme le membre d’un peuple. Être laïc chrétien, disons-le dès maintenant, c’est un très beau titre, puisque c’est affirmer son appartenance au peuple de Dieu.
La Première Lettre de Pierre a connu au 2ème Concile du Vatican une grande fortune puisque, pour présenter le mystère de l’Église, le Concile n’est pas parti de sa constitution
hiérarchique, comme dans les traités antérieurs, mais de la notion biblique de peuple de Dieu. L’Église universelle, affirme la constitution dogmatique Lumen Gentium ,apparaît « comme un peuple rassemblé dans l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit Saint » (n°4). Le chapitre II va expliciter cette ap pellation et il s’intitule précisément « Le Peuple de Dieu ».
L’enseignement conciliaire doit beaucoup aux travaux du grand théologien dominicain le cardinal Yves Congar, et en particulier à son livre, Jalons pour une Théologie du Laïcat (1954). Un dominicain américain, Paul J. Philibert, vient de réactualiser avec bonheur cet enseignement, dans Le Sacerdoce des Baptisés (Éditions du Cerf, 2007). Il vaut la peine, pour notre propos, de présenter brièvement l’apport du Concile : « À toute époque, à la vérité, et en toute nation, Dieu a tenu pour agréable quiconque le craint et pratique la justice. Cependant, il a plu à Dieu que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel ; il a voulu au contraire en faire un Peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté. C’est pourquoi il s’est
choisi le Peuple d’Israël pour être son Peuple avec qui il fait alliance et qu’il a progressivement instruit… Tout cela cependant n’était que pour préparer et figurer l’Alliance nouvelle et parfaite qui serait conclue dans le Christ… C’est là la Nouvelle Alliance dans son sang, appelant un Peuple, venu des Juifs et des païens, à se rassembler dans l’unité, non pas selon la chair, mais dans l’Esprit » (Lumen Gentium, n°9).
Un Peuple guidé par Jésus Christ
Quelles sont les caractéristiques de ce Peuple qui le distinguent nettement de tous les groupements religieux, ethniques, politiques ou culturels de l’histoire ?
– Il est le Peuple de Dieu, c’est-à-dire qu’il est, selon l’expression de 1 P 2, 9-10, un peuple que Dieu s’est acquis (populus acquisitionis, dit le texte latin) et qui lui appartient : « Autrefois, vous n’étiez pas son peuple, mais aujourd’hui vous êtes le peuple de Dieu ».
– On devient membre de ce Peuple non pas par la naissance physique comme c’était le cas dans la première Alliance, mais par « la naissance d’en haut, de l’eau et de l’Esprit » (Jn 3, 3-5), c’est-à-dire par la foi au Christ et par le baptême.
– Ce peuple a pour tête Jésus le Christ, c’est-à-dire Jésus l’Oint ou le Messie, et de ce fait ce Peuple qui, par les sacrements du baptême et de la confirmation a part à l’onction du Christ, est le Peuple messianique.
– La condition de ce Peuple, c’est la dignité de la liberté des fils de Dieu ; dans leurs coeurs, comme dans un temple, réside l’Esprit Saint.
– Sa loi, c’est le commandement d’aimer comme Jésus lui-même nous a aimés. C’est la « loi nouvelle » de l’Esprit Saint.
– Sa mission, c’est d’être « le sel de la terre et la lumière du monde » (Mt 5, 13-16).
– Sa destinée, c’est le « Royaume de Dieu, commencé sur la terre par Dieu lui-même, Royaume qui doit se dilater de plus en plus, jusqu’à ce que, à la fin des temps, il soit achevé par Dieu lui-même » (Lumen Gentium, n°9).
Dans la continuité de la Première Lettre de Pierre, Lumen Gentium explique que par le baptême, le chrétien participe à la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ : « Jésus Christ est celui que le Père a oint de l’Esprit Saint et qu’il a constitué prêtre, prophète et roi, affirme le Catéchisme de l’Eglise Catholique. Le Peuple de Dieu tout entier participe à ces trois fonctions du Christ et il porte les responsabilités de mission et de service qui en découlent » (n° 783).
La Liturgie : célébration de notre Filiation divine
Pourquoi rappeler cet enseignement au début du Carême, sinon parce que le Carême est essentiellement un temps baptismal : « Le temps de Carême, rappellent les Normes
universelles de l’année liturgique, est ordonné à la célébration de Pâques : la liturgie du carême dispose en effet les catéchumènes, par les divers degrés de l’initiation chrétienne, et les fidèles, par la commémoration du baptême et par la pénitence, à célébrer le mystère pascal » (n°27).
La réforme liturgique de la Vigile pascale, commencée en 1951 avec le pape Pie XII, a remis les trois sacrements de l’initiation chrétienne (baptême, confirmation, eucharistie) au coeur de la Vigile, avec la rénovation des promesses baptismales. La vigile pascale est redevenue de la sorte, selon l’expression de saint Augustin, « la mère de toutes les saintes
veillées » (Sermon 119).
Le premier Dimanche du carême, au cours du rite de l’appel décisif, l’évêque appelle les catéchumènes qu’il baptisera au cours de la vigile pascale et, dans la mesure du possible, il les accompagnera tout au long du carême en célébrant avec eux les scrutins (3e, 4e et 5ème Dimanches). Et, ce faisant, il rappelle aux baptisés qu’ils ont aussi à se préparer à la
rénovation des promesses de leur baptême.
L’effort du Carême, recommandé par l’évangile du Mercredi des cendres ( Mt 6, 1-18), « faire l’aumône, prier et jeûner dans le secret » concourt au renouvellement de la conscience baptismale des chrétiens.
Notre véritable anniversaire, rappelait un jour un de nos grands aînés (le Père Camelot) dont la communauté (de Dijon) voulait fêter ses 90 ans, c’est le jour de notre baptême. « Le saint baptême, affirme le Catéchisme de l’Eglise Catholique, est le fondement de toute la vie chrétienne, le porche de la vie dans l’Esprit et la porte qui ouvre l’accès aux autres sacrements. Par le baptême, nous sommes libérés du péché et régénérés comme fils de Dieu, nous devenons membres du Christ et nous sommes incorporés à l’Eglise et faits participants à sa mission » (n° 1213).
Naître dans l’Esprit Saint
L’inscription du pape Sixte II gravée sur l’architrave, qui réunit les huit colonnes de porphyre du baptistère de Saint-Jean-de-Latran, nous le redit avec une densité et une
plénitude que seul permet le latin chrétien du Ve siècle :
« Ici naît pour le ciel un peuple de race divine,
engendré par l’Esprit fécondateur de ces eaux.
La Mère Église enfante en ces ondes le fruit virginal,
Conçu par la vertu du Saint Esprit.
Ô vous, qui renaissez en ces fonts, espérez le royaume des cieux.
La béatitude ne reçoit pas ceux qui n’ont qu’une naissance.
Ici est la source de vie qui lave tout l’univers,
jaillissant de la plaie du Christ…
Il n’y a aucune différence entre ceux qui renaissent :
ils sont un par un seul baptême, un seul Esprit, une seule foi… »
Traduction liturgique de la Bible : ©AELF – Paris – Tous droits réservés.
Les évangiles nous donnent le témoignage qu’un homme né d’une fille-mère, adopté par un père laïc charpentier. Cet homme sera reconnu comme l’accomplissement de la promesse messianique, et pourtant s’opposera jusqu’à la croix aux autorités religieuses, les prélats de son temps.
Jésus-Christ a choisi comme apôtres de simples laïcs, jusqu’à des femmes (Marie-Madeleine). Son enseignement mettait en garde contre toute forme de hiérarchie entre ces disciples. Il recommandait de ne pas s’appeler Père, ou Maître.
Toutes les fonctions dans l’église devraient donc être orientées vers cette exigence christique première de veiller à ce que le moindre puisse être entendu, et que sa voix ne soit pas rendu inaudible à cause des discours des premiers.
N’est ce pas dans le moindre que la simplicité de l’évangile s’exprimera avec le plus de clarté ?
Malheureusement, nous héritons d’une situation inversée, le moindre ne peut être entendu qu’à condition qu’il répète à sa manière ce que dit sa hiérarchie, ce qu’il a appris à penser dans les grandes écoles théologiques, ce qu’il faut penser, et faire sans dévier … préceptes tenus comme enseignements divins.
Même les saints retenus par les autorités comme témoignages de notre foi … sont scrupuleusement sélectionnés pour ne pas risquer de remettre en question les discours théologiques dominants.
à proposde l’article de Mgr Raffin sur “le Peuple de Dieu” :
Celui-ci écrit : La version originale grecque Laos Theou (= peuple de Dieu) mérite d’être citée parce que le mot laos donnera notre mot français laïc que l’on pourrait définir comme le membre d’un peuple. Être laïc chrétien, disons-le dès maintenant, c’est un très beau titre, puisque c’est affirmer son appartenance au peuple de Dieu.
Cela signifie-t-il que ce Peuple est composé de Laïcs d’une part, et de prêtres et d’évêques d’autre part ? C’est restreindre d’une drôle de façon les enseignements de Vatican II ?