Logement social : la Fondation Abbé Pierre dresse un état des lieux
Interpellation des candidats, pétitions, lettres ouvertes, Nuit solidaire pour le logement jeudi prochain et publication hier par la Fondation Abbé Pierre de la liste des communes cancres qui refusent la construction de HLM. Le monde associatif multiplie les initiatives pour faire du logement un thème central de la campagne des municipales. Ses responsables appellent en des termes à peine voilés à battre les élus qui ne construisent pas. « Nous invitons les citoyens, y compris les très bien logés, à se demander où logeront demain leurs enfants, si le maire de leur commune ne bâtit rien », souligne Eric Pliez, président du collectif Alerte, qui regroupe les associations engagées dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Hier, Alerte a rendu public un texte d’interpellation des candidats aux élections municipales en Ile-de-France où la crise du logement est spécialement aiguë. « Dans votre ville que ferez-vous pour concrétiser le droit au logement pour tous ? » demandent les 142 associations signataires du texte, dont la liste publiée en annexe incitera sans doute de nombreux élus à prendre au sérieux l’initiative. Alerte rappelle aux maires qu’« en complément de l’effort national, il est de la responsabilité des collectivités locales […] d’animer une politique responsable et solidaire » en matière d’habitat.
Consignes. Responsabilité. Solidarité.
Ces principes n’ont manifestement pas cours dans toutes les communes de l’Hexagone au vu de l’étude dévoilée hier par la Fondation Abbé Pierre (FAP). Son « palmarès » des 736 communes soumises à la loi SRU (1) montre que seules 40 % d’entre elles ont atteint ou dépassé l’objectif de production de HLM, qui leur était assigné pour la période 2002-2006. Les autres (soit 435 communes) « n’ont pas respecté l’engagement fixé par la loi ». Parmi ces cancres, 67 villes « n’ont financé aucun logement social en cinq ans ! », pointe l’étude. Pour procéder à ce palmarès, la Fondation dit avoir eu recours à des « sources diverses », car « l’Etat ne diffuse pas ces chiffres. Il a mis le couvercle dessus », regrettait hier, le délégué général de la FAP, Patrick Doutreligne. Christine Boutin, ministre du Logement, s’est empressée de rappeler qu’elle avait donné, dès son arrivée au ministère, aux préfets des consignes de fermeté pour tancer les communes récalcitrantes. Mais cette omerta officielle sur le suivi de l’application de la loi SRU vise à ménager les élus récalcitrants au logement social. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce « palmarès » est dévoilé à moins d’un mois des élections municipales, comme le suggère cette citation de l’abbé Pierre en exergue de l’étude. « Faites pression sur les élus pour qu’aucun ne s’abaisse à cette indignité de ne pas respecter la loi ». Cette phrase fut prononcée le 24 janvier 2006, lorsqu’à bout de forces, l’abbé Pierre s’était rendu à l’Assemblée nationale, pour convaincre les députés UMP – qui s’apprêtaient à vider de sa substance la loi SRU – de pas toucher au fameux quota des 20 % de HLM. Après sa visite, la droite renonça effectivement à modifier cette loi. Le texte est sauf mais allègrement ignoré. Notamment dans certaines villes, situées dans des bassins d’habitat où la situation du logement est très tendue. La Fondation Abbé Pierre a ainsi inscrit à son « tableau de déshonneur » des communes comme Allauch (dans la banlieue de Marseille) qui ne compte que 2,6 % de HLM. Elle devait en réaliser 319 pour la période 2002-2006, elle n’en a fait aucun ! Zéro construction de logements sociaux aussi à l’Etang-la-Ville (en région parisienne) ou Saint-Jeannet dans le secteur de Nice. Trois villes parmi 69 autres s’obstinent à ne pas construire de logements HLM. La Fondation relève que certains élus font de la non-construction de HLM « un argument électoral » auprès de leurs électeurs focalisés sur la défense de leurs intérêts particuliers, citant le cas du maire de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne). Il lui incombait de construire 1 236 logements sociaux en cinq ans. Il n’en a fait que 30. Et encore il a fallu la pression du préfet.
Contraintes.
A contrario, dans son « tableau d’honneur », la FAP a inscrit Versailles, Annecy, Dijon, Montauban, Paris. Et aussi des plus petites villes comme Sangatte (Pas-de-Calais) ou Bois-d’Arcy (Yvelines). La Fondation fait observer que des communes comme Paris ou Versailles soumises pourtant à des contraintes très fortes (foncier rare, périmètres protégés…) sont même parvenues à dépasser leurs objectifs, en utilisant notamment l’outil de la préemption. Preuve que la construction de HLM dépend surtout de la volonté politique des équipes municipales qu’on s’apprête à élire.
(1) Votée en 2000, la loi SRU oblige toutes les communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en Ile-de-France) rattachées à une agglomération de plus de 50 000 habitants à atteindre progressivement un quota de 20 % de HLM, dans un délai de vingt ans.
Source : Tonino Serafini pour Libération
Jeudi 14 février 2008