Une réaction canadienne à la note du théologien Hervé Legrand o.p.
Avant tout, il faut situer l’intervention des dominicains hollandais dans ce climat d’urgence pastorale que Rome entretient en refusant de modifier les règles d’accession à la présidence de l’eucharistie. Leur but n’était pas d’écrire un traité de théologie, mais de sortir de l’impasse actuelle en proposant des moyens adaptés aux circonstances, de pallier le manque de prêtres et la raréfaction de la célébration eucharistique dans leur pays. Leur reprocher leur faiblesse dans l’art de la communication ou leur recours à des arguments massifs, ne change rien au sérieux de leur démarche. Leur Rapport a eu dans la presse un large écho en dépit de ses faiblesses formelles présumées.Les auteurs du Rapport n’ont pas été sanctionnés par Rome, du moins pas encore. Serait-ce par pure bonté? Doit-on conclure que Rome commence à se fatiguer d’agiter les foudres de la condamnation et préfère laisser aux supérieurs religieux le soin de le faire à sa place? S’il s’agit là de stratégie, le geste ne doit pas être perçu comme un gain important pour l’avenir. La discipline tient toujours et le fr. Legrand a été choisi pour la rappeler, pour ” administrer la correction fraternelle “.
La réponse de Legrand se base sur l’autorité de la Tradition telle qu’interprétée par la tradition romaine, c’est-à-dire par l’autorité romaine. Célébrer l’eucharistie de manière ” contraire à la tradition ” appelle des sanctions disciplinaires pour ” encouragement au schisme ” et pour éloignement de la seule tradition valable et admissible. Tradition = Église = tradition romaine exclusive. Cercle vicieux ou abus de pouvoir, la tendance n’est pas près de s’inverser. Les mêmes principes ont permis à Rome dans le passé de condamner les progrès de l’exégèse biblique et de multiplier les interdits à l’égard des théologiens soupçonnés de remise en cause de la théologie officielle.
Devant la perception ecclésiologique de plus en plus pauvre des fidèles soulignée par le Rapport, Legrand répond en limitant son argumentaire au manque d’esprit critique des auteurs. On s’étonne que ce théologien reproche aux auteurs leurs lacunes dans l’art de communiquer, comme si cet aspect était primordial. Le second reproche qui touche à leur refus de dialogue apparaît également immérité, quand on considère que Rome refuse toute remise en question de ses positions traditionnelles depuis le dernier Concile. Legrand avait toutefois affirmé dès son 1er commentaire que le dialogue est présent dans l’Église depuis les temps apostoliques et que cette initiative s’inscrit dans une volonté de le susciter : il faut croire qu’aujourd’hui le principe demeure, mais qu’il est risqué de le mettre en pratique.
Car c’est là toute la question. Legrand souligne la présence chez les auteurs d’un préjugé défavorable à l’égard de l’autorité et d’un second, favorable, à l’égard de la base. Renverser la pyramide ne réglerait rien, dit-il. Bien sûr, mais entre-temps que faire? laisser les agneaux sans pasteurs par eugénisme doctrinal? Laisser péricliter ce qui reste des structures communautaires en perpétuant des schèmes traditionnels comme s’ils étaient éternels et ne pouvaient évoluer? Ce n’est pas ce que pense Legrand, puisqu’il ouvre la porte en conclusion à l’ordination d’hommes mariés entérinée par la pratique de l’Église et Vatican II. La base n’est sans doute pas unanime, mais disons que l’autorité l’est, et centralisée en plus. On ne doit pas attendre d’elle une remise en question.
On ne manquera pas de souligner le ton condescendant employé par le fr. Legrand lorsqu’il affirme : un peu de familiarité avec les sciences humaines aurait pu éviter au Rapport de manifester à la base un ” crédit ” qui relève beaucoup plus de la croyance ou de l’idéologie que d’une analyse scientifique. Précisons que si le peuple a résisté aux théories de Darwin et de Pasteur, comme il l’affirme, il a suivi en cela l’enseignement de l’autorité romaine qui a condamné les positions de Darwin jusqu’à tout récemment (Jean-Paul II a admis du bout des lèvres que la théorie de Darwin était sans doute plus qu’une théorie), et qui n’a pas permis l’usage de la vaccination dans les États pontificaux en 1815. La base est bien obéissante lorsqu’elle est inorganisée ou impuissante face à un exercice idéologique du pouvoir religieux aussi étendu et contraignant.
L’argument voulant que les évêques soit également le peuple de Dieu est à la fois admissible et spécieux. Il est inutile de jouer sur les mots. L’évêque est membre du peuple de Dieu au plan théologique, mais au plan de la gouvernance, son statut est d’autorité. Les évêques exercent et doivent exercer une autorité enracinée dans la tradition, mais qui mériterait d’être revalorisée et renforcée par rapport à celle du pontife romain. C’est un euphémisme d’affirmer que ce pouvoir des évêques, affirmé par la Tradition, voit son exercice entravé et sévèrement encadré par le Saint-Siège. Or aujourd’hui, un organisme d’un milliard de fidèles, fût-il Église, est devenu proprement ingouvernable à moins de le priver de tout dynamisme de renouvellement et de neutraliser toutes les forces susceptibles de le provoquer. Les évêques n’en sont à leur tour que de simples rouages. C’est ce désir de faire bouger les choses qui est à la base des revendications des auteurs du Rapport et que Legrand s’empresse de réduire à un dialogue interne à l’Ordre dominicain.
En somme, les critiques formulées, bien qu’éclairantes, apparaissent circonstancielles et ne touchent pas à l’essentiel. Le fond du débat est évacué, sauf peut-être sur la question de la recommandation de ne pas attendre la sanction de l’évêque pour choisir des célébrants. La suggestion du Rapport reste discutable, mais elle souligne en même temps que le seul obstacle à la célébration de l’eucharistie par des laïcs choisis par la communauté reste la timidité des assemblées épiscopales nationales vis-à-vis des consignes romaines.
Les auteurs du Rapport ont mis l’accent sur un blocage évident découlant de la lourdeur de cette Église pyramidale: l’ingérence vaticane comme frein à la recherche des solutions à un problème touchant en particulier les catholicités européennes avec leurs traditions anciennes et leurs cultures respectives. Cela apparaît à Rome comme déstabilisant et constituant une menace à l’autorité centrale de l’Église jalousement protégée. On préfère opter comme toujours pour le statu quo. Cela se paye par la récession religieuse. Quand on manque de médecin, ce n’est pas le moment de disserter sur la médecine d’autrefois. De même, devant la pénurie de pasteurs, il n’est guère le temps de discourir théologiquement sur le sacrement le plus important parmi les sept. Il faut voir à ce qu’il soit célébré.
Raymond Légaré, pour le Réseau Culture et foi
Si Rome se garde d’intervenir directement et de sanctionner les auteurs de la publication qui a reçu l’aval du chapitre de la province dominicaine néerlandaise, c’est parce que :
1- devant l’ampleur de la réaction de la base, elle veut voir venir avant d’agir
2 – elle sent bien qu’elle ne peut pas faire appliquer les règles immuables de “la tradition” et dans le même temps elle ne veut reconnaître aucune transgression.
Qu’elle arrive à résoudre, même partiellement le problème du manque de prêtres (récupération des prêtres intégristes, prêtres des mouvements caritatifs) et elle se lancera dans la répression comme elle a su si bien le faire dans le passé.
Tout le débat d’H. Legrand est à base d’arguties, de formalisme et invoque le respect de “la tradition” au milieu d’une certaine logorrrhée. Beaucoup de mots pour “noyer le poisson” et éviter d’aborder le problème de fond : la signification de l’Eucharistie pour des chrétiens du XXIème siècle.