Voilées ou non, les jeunes musulmanes s’émancipent
Alors que le parquet va faire appel du jugement de Lille, «La Croix» (2 juin 2007) a enquêté sur l’évolution des mœurs chez les jeunes musulmanes. Ce qui suit en est la synthèse journalistique, effectuée par Bernard Gorce.
Asma, 24 ans, termine sa dernière année de fac de pharmacie. Comme certaines de ses amies étudiantes, la jeune femme d’origine syrienne a choisi de porter un voile discret. Cette aînée d’une famille de quatre enfants habite toujours chez ses parents mais revendique sa liberté. « Je peux sortir quand je veux, souligne-t-elle. La seule chose que mes parents me demandent, c’est du sérieux dans mes études. » Certes, Asma espère un jour se marier mais sa priorité, pour l’heure, c’est le travail.
Il n’empêche. Son regard sur les évolutions de la société demeure, lui aussi, libre. L’affaire de l’annulation du mariage de Lille a encore une fois jeté sur la place publique la question de l’émancipation des filles de tradition musulmane, regrette-t-elle. Et de nouveau, observe Asma, ce débat très mal engagé menace de partir en vrille. Elle trouve « dommage la position du mari ». Mais, précise-t-elle aussitôt, « j’estime aussi qu’on n’a pas le droit de le juger. La chasteté, c’est à chacun de voir si c’est une chose essentielle ou non. »
Stéréotypes
La jeune femme qui n’en dira pas plus déplore la médiatisation de l’affaire qui oblige les musulmanes à opter pour le rôle de la traditionaliste arriérée ou celui de la moderniste athée. La réalité de la vie des étudiantes musulmanes dans la France du début du XXIe siècle ne se réduit pas à ces deux stéréotypes, affirme Asma. Un témoignage que corroborent les études de la sociologue Dounia Bouzar.
« Les jeunes filles musulmanes nées en France ont appris à lire et à dire “je”. Elles savent vérifier dans le Coran les textes et le sens des textes. En l’occurrence, la plupart des jeunes femmes savent très bien que la virginité ne fait pas partie des commandements de l’islam. » Ces dernières années, plusieurs publications ou conférences ont notamment montré que les musulmans de France peuvent évoquer sans tabou des questions liées à la sexualité.
Auteur d’une thèse sur l’émergence de nouvelles élites islamiques en Occident, Amel Boubekeur estime que les polémiques sur le port du voile ont dissimulé un processus d’inculturation plus complexe qu’il n’y paraît. « Entre bricolages religieux sur la question de l’amour et invention d’une nouvelle identité féminine détachée de la tradition, l’apparition d’une population d’étudiantes voilées en France est un enjeu nouveau dans le paysage matrimonial de l’islam de jeunes », écrit la sociologue dans la revue Projet (juillet 2005).
Le problème des cités
L’auteur cite l’exemple de cette Algérienne qui invoque la foi de son ami sénégalais et l’Oumma (la communauté des croyants) pour convaincre ses parents d’accepter une union extra-communautaire.
Toutes les jeunes filles issues de l’immigration n’ont pas la chance de faire des études ni de s’émanciper de l’autorité familiale. Pour la sociologue Leïla Babès, le problème concerne les cités où les jeunes filles vivent sous le contrôle permanent « des parents, des grands frères ou des prédicateurs ».
D’origine algérienne, l’universitaire relève au passage un paradoxe. Alors que l’ensemble des pays maghrébins connaît un lent mais irrésistible mouvement d’ouverture des mœurs, c’est en Occident que de vieilles pratiques réapparaissent. « Dans les grandes villes du Maghreb, note Leïla Babès, les mariages arrangés disparaissent. En France, au contraire, on voit maintenant se multiplier les mariages au bled qui avaient disparu il y a vingt ans. »
Responsable de la Cimade (Association œcuménique d’entraide) à Montbéliard (Doubs), Simone Joly confirme être de plus en plus confrontée à des problèmes de mariages arrangés dans cette région ou vit une forte communauté maghrébine. « La plupart du temps, cela finit mal car les problèmes de langue et les écarts culturels sont trop grands », indique la militante.
Le rôle des réseaux fondamentalistes
Leïla Babès dénonce encore le rôle des réseaux fondamentalistes. Profitant du désarroi des familles face à la libéralisation des mœurs, les prédicateurs entretiennent « une dramatisation de cette question de la virginité de la femme », assure Leïla Babès.
Ancien membre du Haut Conseil à l’intégration, Hanifa Chérifi porte pour sa part un regard moins catastrophiste sur le phénomène. Peu soupçonnable de complaisance envers les dérives intégristes, Hanifa Chérifi a fait partie de la commission Stasi qui s’était prononcée pour l’interdiction totale du voile à l’école. Mais, selon elle, cette « réislamisation » que l’on observe est un mouvement de réaction à la modernité qui touche une minorité.
« Dans l’ensemble, on observe chez les filles d’origine maghrébine une évolution comparable à toutes les petites Françaises. Autour de moi, je constate que les choses évoluent même en une génération. Je connais des parents qui ont marié leur fille aînée, à 17 ans, puis qui ont laissé les petites sœurs choisir. »
Un cliché archaïque
Optimistes ou pessimistes, les sociologues se retrouvent sur le danger d’un traitement particulier de l’islam au regard de la laïcité. « Les pouvoirs publics sont embarrassés car ils ont toujours peur d’être taxés d’islamophobie, estime Leïla Babès. Il y a quelques années, on a ainsi vu à Lille la municipalité aménager des horaires réservés aux femmes dans les piscines. C’est un très mauvais message que l’on envoie aux jeunes musulmanes. »
Comme elle, Hanifa Chérifi et Dounia Bouzar considèrent le jugement de Lille comme une caution donnée à une lecture fondamentaliste de l’islam. « Le juge n’aurait jamais fait cela avec un couple chrétien ou juif, remarque Dounia Bouzar. On enferme l’islam dans un cliché archaïque, au détriment des femmes qui, ici, tentent d’interpréter la religion à partir de leur vécu. »
Bernard GORCE, La Croix, 2 juin 2008
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