Lors de la rencontre du Réseau Européen  » Eglise et Liberté  » qui s’est tenue à Madrid du 5 au 8 mai 2005, s’est déroulée une journée d’étude des communautés de base espagnoles, consacrée à l’élaboration collective des trois rapports donnés ci-après.
Rapport n°1
Analyse de la conjoncture de la société espagnole
(ses problèmes et ses défis)
La modernisation accélérée de la société espagnole dans les derniers 50 ans non seulement ont supposé des changements matériels importants (urbanisation, industrialisation et développement de la production et de la consommation) et politiques (constitution démocratique de 1978, entrée dans la Communauté Européenne en 1986, incorporation en douceur comme pays central dans les rapports avec la périphérie du système mondial…), mais aussi l’expansion d’un système des valeurs et un style de vie assujettis à la logique du marché capitaliste. Ce qui est vendu a de la valeur, même les personnes, et l’existence en général s’est convertie dans un grand marché d’achat -vente afin d’obtenir des bénéfices.
- Le fondamentalisme de la religion de marché a réussi à imposer l’idéologie de l’individualisme, de la compétitivité, de l’inégalité et de la soumission ; avec les plus grands niveaux de développement économiques connus en Espagne, coexistent la pauvreté, l’exclusion et le manque d’avenir pour des générations entières d’enfants et des jeunes, devant l’insensibilité ou l’assoupissement des consciences de la grande majorité de notre société.
- L’Enquête Financière, menée par la Banque d’Espagne en 2004, a permis de connaître avec précision l’extraordinaire inégalité de la distribution de la richesse en Espagne : 10% des familles les plus riches accumulent 16 fois plus de patrimoine que les 50% des familles avec le moins de rente.
- Ils donnent la préférence aux rapports sociaux basés sur des énoncés particuliers, communisants ou excluants (corporatives, partisans, nationalistes, tribales…) au détriment du respect et de la reconnaissance des droits humains et sociaux de toutes les personnes.
- On a cédé le passage à une démocratie très dévaluée, avec une crise profonde de la conscience de citoyenneté. Les professionnels de la politique ont perdu le respect de la vérité et ils utilisent habituellement les arts de la tromperie, la manipulation de l’information et les abus pour parvenir ou se maintenir au pouvoir.
- Les moyens de communication sociale marquent l’agenda politique et social: ce qui n’est pas publié dans les grandes publications n’existe pas. Derrière l’apparence de liberté d’expression, qui nettoie la face d’un système injuste, existe un mur de verre pour la plus part, qui ne peuvent pas accéder aux dits moyens. La stratégie informative est dirigée par des grands corps d’entreprises et des finances qui traitent de changer le produit dans une marchandise, en donnant lieu à un journalisme banalisé. Spectaculaire et qui encourage artificiellement la dualité en exagérant les différences et en excluant des tiers (Eglise/Etat, Parti Socialiste/Parti Populaire, derbys sportifs, etc.).
- La publicité renforce les modèles et les valeurs dominantes en canalisant les aspirations et les désirs les plus profonds des personnes vers la consommation des marques et des marchandises. Par exemple, une annonce qui apparaît ces jours-ci à la télévision reconnaît avec insolence le manque de liberté des gens dans la société actuelle pour offrir de suite la conduite d’une voiture comme signe de liberté :  » Les gens sont moins libres que ce qu’ils croient. Tu es assujettis au travail, tu dois payer ton appartement et t’habiller et penser comme ton entreprise t’impose… La liberté n’est pas facile. Cela va être dur. Avec l’Opel-Golf, tu peux l’essayer ! «Â
- Tandis que l’école publique éprouve une détérioration notable dans les résultats académiques et s’adapte avec difficulté à la réalité multiculturelle de l’immigration, l’école privée est de plus en plus élitiste.
- Les politiques néo-libérales qui prévalent tant dans le gouvernement espagnol que dans l’Union Européenne et dans les organismes internationaux, favorisent la privatisation des services publiques et cèdent le pas à un croissant dualisme en fonction de la capacité acquisitive des familles. Les hauts fonctionnaires du gouvernement justement, responsables des services publiques, se trouvent parmi les principaux usagers des allocations privées, plus élitistes mieux ça vaut !. C’est comme si nous avions des  » évêques athées « , des personnes qui ne croient pas à la fonction qu’ils mènent.
- La conjoncture espagnole actuelle a des défauts plus négatifs dans quelques secteurs de la population, parmi lesquels les jeunes, les femmes, les enfants et les immigrants provenant du Tiers Monde.
- Les jeunes générations ont devant elles un panorama difficile dû à la précarité des emplois et à l’augmentation des prix du logement. Pour atteindre l’autonomie ils n’ont qu’à se discipliner au travail, sans montrer leur désaccord et s’hypothéquer pendant de longues années pour payer leur logement (dans la communauté de Madrid il faut consacrer 51% des revenus de la famille pour payer une hypothèque de type moyen).
- Les femmes, en accédant à un emploi rémunéré, trouvent beaucoup de difficultés pour concilier la vie de famille et de travail ; c’est pourquoi elles mettent en second, ou renoncent parfois, à la maternité. Dans les entreprises prime le critère de l’efficacité et les collègues hommes continuent d’adopter des attitudes machistes dans le foyer ; c’est pourquoi les femmes sont surchargées de travail et souvent finissent stressées et en soufrant d’autres perturbations physiques et psychiques.
- Les enfants qui appartiennent à des secteurs sociaux appauvris sont les plus lésés dans la situation actuelle étant donnée leur fragilité et l’impossibilité de se défendre. Au lieu de favoriser des conditions de travail et éducatives qui renforcent les institutions essentielles de la famille et de l’école (père-mère, enseignants), on élargit les institutions de contrôle des familles et de tutelle et de répression des enfants (en incluant diverses manières de torture et mauvais traitements, protégées par la législation actuelle sur  » des mineurs « ).
- La plupart des immigrants en provenance des pays périphériques se trouvent forcés à passer une première étape d’irrégularité administrative, ce qui les oblige à travailler dans l’économie parallèle et les empêche de se défendre juridiquement devant les abus et les discriminations dont ils sont l’objet. En 2004 plus de la moitié des étrangers résidait en Espagne sans papiers.
- Le tableau décrit jusqu’ici n’empêche pas de reconnaître que dans l’histoire d’Espagne existe aussi une tradition de résistance et des luttes pour la justice qui remontent aux siècles précédents et qui survit actuellement. Depuis la moitié du XIXème siècle, les historiens font état de la confrontation entre les deux Espagne, une conservatrice- bourgeoise, rejointe par la hiérarchie catholique, et l’autre socialiste-républicaine, qui est à l’origine de la guerre civile de 1936-39 suivie par la dictature franquiste, d’une durée de 40 ans.
- L’opposition au franquisme, dans laquelle quelques mouvements catholiques ont eu une place relevante et des secteurs d’Eglise influencés par le Concile Vatican II, a réussi à mettre fin à la dictature de Franco, ont donné pied aux pactes de la transition qui ont instauré une monarchie parlementaire de type démocratique mais en gardant l’économie de marché capitaliste qui était en vigueur dans les pays voisins de l’Europe. A la base ce consentement de la transition fut assumé tant par les partis parlementaires de gauche que par les deux syndicats majoritaires.
- Depuis lors l’Espagne a vécu deux étapes : une première de signe progressiste, que supposa une relative consolidation de l’état de bien-être et de la société de consommation, et une autre d’orientation néo-libérale, dans laquelle une partie importante de l’emploi est devenu précaire, ont augmenté les inégalités sociales et les politiques de privatisation, de répression et de contrôle sociale en se prévalant sur les politiques sociales, préventives et de promotion des droits sociaux et des citoyens.
- Aussi bien ceux qu’on a appelé les « nouveaux mouvements sociaux », et qui ont surgi dans les années 70, que le mouvement anti-globalisation, de la fin du XXème siècle, ont été présents dans la plupart des villes et des villages d’Espagne, bien qu’avec une capacité d’articulation plutôt faible face au système de domination en vigueur, sauf quelques cas isolés (comme la grève générale de 1988 contre la réduction de l’emploi de la jeunesse ou les mobilisations contre la guerre d’Irak et la politique pro-américaine du gouvernement Aznar, qui expliquent, en dernier ressort, la victoire de Zapatero dans les dernières élections générales de 2004). Beaucoup de vieux lutteurs ont l’impression que leurs efforts n’ont servi à rien et, que pour se maintenir à flot, ont doit nager avec une énergie qui parfois leur fait défaut.
- Il y a, par contre, des nombreux symptômes dans les sphères sociales les plus diverses qui visent à une transformation : journalistes et photographes de presse qui dénoncent des injustices et des cas de corruption ; des moyens de communication alternatives (Diagonal, des réseaux libres d’Internet comme  » Eclesalia « ) ; des enseignants qui travaillent pour une éducation libératrice ; des volontaires et des professionnels qui critiquent une politique sociale subsidiaire de l’état et dénoncent les lois et les pratiques injustes des institutions ; des associations de voisins qui maintiennent une tradition de participation directe dans le cadre local ; des réseaux anti-globalisation dans lesquels participent activement des groupes de chrétiens de base; départ d’expériences de dialogue inter-religieux, poussé depuis la base à partir des expériences comme celle du 11 septembre 2001 ou le 11 mars 2004 ; etc.
- Parmi les défis qui se posent aux mouvements sociaux critiques, nous signalons les suivants :
- Rebâtir une culture de la citoyenneté, une conscience civique commune, basée sur la reconnaissance fondamentale des droits humains, qui se situe par dessus de n’importe quel principe ou valeur social (droits nationaux, lois du marché, religions,…).
- Face à l’individualisme et à la soumission conformiste, il est nécessaire de raviver l’espérance qu’un autre monde est possible et que nous devons le construire par l’articulation des mouvements sociaux au niveau local, européen et international.
- Passer de la cooptation ou la coopération avec les institutions injustes à leur dénonciation et à la recherche de formes d’intervention sociale alternatives.
- Penser à nouveau le système éducatif à partir de la reconnaissance comme quelque chose de précieux de la diversité de genre, nationalité ou culture, en affirmant la solidarité et la participation démocratique de tous les agents éducatifs.
- Arriver à définir une nouvelle éthique avec des axes d’action basique avec le respect au milieu environnant, l’équilibre de rôles entre homme et femme, etc.
- Chercher de nouvelles formes d’économie sociale et coopérative, qui soit opposé à la logique mercantile capitaliste.
2. Position de l’Eglise hiérarchique devant la société espagnole (schéma initial)
- Face aux problèmes de fond de la conjoncture espagnole actuelle, la hiérarchie ne se prononce pas. Leurs interventions sont anecdotiques, parfois provoquent le rire et ils se centrent sur de sujets de troisième ordre, presque toujours des questions qui les touchent et devant lesquelles ils prennent une attitude défensive. Lorsqu’on les questionne, ils sont glissants comme de la gélatine.
- Dans une perspective historique, les évêques espagnols ont connu une évolution par rapport aux années 70, sans doute due aux changements survenus au Vatican et à la nomination d’évêques conservateurs.
- La pratique des évêques actuels est éloignée de leurs déclarations. Ils disent qu’il faut accueillir les pauvres mais ils accumulent leurs biens et propriétés et ils ne les répartissent pas avec ceux qui en ont le plus besoin. Leur idéologie est fréquemment réactionnaire, ce qui les en fait des alliés de la droite conservatrice et des ennemis des mouvements sociaux alternatifs.
- Ils sont sourds et aveugles pour percevoir l’éloignement généralisé de l’église, surtout de la part des jeunes. Ils continuent à comptabiliser les fidèles en fonction du nombre des baptêmes et des mariages, qui diminuent aussi. Cependant, les incroyants sont de plus en plus nombreux ainsi que ceux qui, en se considérant chrétiens, ne pratiquent pas la religion et se sentent loin de l’église officielle.
- La femme continue à être exclue a l’intérieur de l’église hiérarchique, ce qui représente un anachronisme injustifiable dans la société actuelle, dont les évêques ne tiennent même pas compte. Plus encore, parfois on culpabilise la femme comme étant la principale responsable de la crise de la famille (traditionnelle).
- Les finances de la hiérarchie ne sont pas publiques et de temps en temps nous assistons à des scandales financiers dans lesquels certains évêques sont impliqués.
- La participation des laïcs au sein de l’Eglise est marginale et les évêques se réservent toujours le dernier mot. Dans le synode du diocèse de Madrid on a exclu expressément les communautés et mouvements de base. Ils ne tolèrent pas la dissidence dans l’Eglise et ils se méfient de la liberté des chrétiens et des communautés qui ne sont pas encadrées dans un schéma rigidement hiérarchique.
- Le social de l’Église (à travers surtout le Secours Catholique) est utilisé plus comme un matelas social tranquillisant plutôt que comme voie de dénonciation sociale. On promeut beaucoup plus un volontariat paternaliste qu’une militance active dénonçant les injustices et promouvant les valeurs chrétiennes.
- Les récentes polémiques entre la hiérarchie et le gouvernement socialiste, stimulées par la presse, se sont centrées sur des questions particulières qui touchaient le pouvoir et les privilèges sociaux de l’Eglise (cours de religion, enseignement de l’Eglise, mariages homosexuels, financement du clergé…). Il s’agit, non pas de libérer les opprimés de la société, mais de maintenir leur baraque. Leur lieu social est la sécurité, ils sont confortables sous leur cloche de verre et ils ne veulent pas changer.
- En opposition avec ce qui précède, entre les chrétiens espagnols on peut voir une grande pluralité de situations et de positions idéologiques, qui est le reflet du pluralisme social.
- Pour les chrétiens les plus critiques, le défi consiste à maintenir le message d’espérance de l’évangile de Jésus dans un milieu hostile, tant social qu’intra-ecclésiale.
Rapport n° 2
Position des chrétiens de base face à quelques défis de l’actualité
Bien que l’objectif indiqué par les organisateurs pour cette deuxième équipe était initialement celui de clarifier l’  » identité, organisation et position de l’Eglise de Base face aux défis du moment présent « , les membres de cette équipe, en constatant que nous n’étions pas toutes et tous dans des Communautés et groupes de l’Eglise de Base, ont vu la nécessité d’élargir le sujet pour inclure aussi les personnes qui, individuellement ou en collectivité, partagent la même sensibilité et essayent de faire face, à partir de leur propre situation, aux mêmes défis. En conséquence, nous allons faire référence par la suite à un  » sujet chrétien plus large « . Un sujet pas toujours ni dans tous les cas coordonné, mais qui, cohérent avec sa foi, participe et partage les mêmes soucis qui touchent à toute la base ecclésiale. Dans ce même sujet élargi nous croyons nous trouver, malgré les distances et les différents contextes socioculturels et religieux, avec nos sÅ“urs et frères européens. En accord avec la psychologie et les soucis de ce nouveau sujet, notre apport cherche fondamentalement ces deux objectifs : montrer quelques défis qui se présentent comme étant plus décisifs et apporter quelques clefs pour y répondre en chrétiens.
I. Quelques défis actuels
En faisant une lecture approfondie des apports riches et nuancés de cette deuxième équipe, il nous semble que les défis les plus urgents et les plus présents aujourd’hui à tous les chrétiens peuvent se situer par rapport à deux crises qui, si elles ne sont pas abordés honnêtement, vont affecter très sérieusement la vie chrétienne dans le futur. Ces crises que nous considérons vraiment profondes sont les suivantes.
D’une part,  » la crise de la signification propre de la foi chrétienne « . Crise de signification qui concerne, principalement les chrétiens en Europe (et, bien sûr , sur les chrétiens en Espagne) et qui est en train de causer des ravages tout particulièrement dans les générations les plus jeunes. Et, d’autre part, la crise de signification et de crédibilité de l’Eglise elle-même qui est en train d’engendrer le phénomène (que, n’ayant pas un autre mot plus approprié, nous désignerons avec un barbarisme) la  » dés-ecclésialisation  » de la foi.
Avant d’entrer dans le développement de ces deux phénomènes, laissez-nous cette brève parenthèse. Nous croyons que l’un des dangers de l’  » euphorie  » médiatique à laquelle nous avons assisté (ou que nous avons subie) pendant ces dernières semaines, est celui de cacher la gravité de ces deux crises que nous venons de signaler. On nous a offert l’image d’une Eglise triomphante que nous croyons honnêtement erronée et irréelle. D’autre part, même si ces deux crises peuvent être parfaitement distinctes, (et que nous distinguerons pour des motifs pédagogiques), nous pensons cependant, qu’elles sont toutes les deux étroitement liées et, d’une certaine façon se rétro-nourrissent entre elles.
1. La crise de signification de la foi
Nous croyons qu’elle est étroitement en rapport avec plusieurs défis de différentes natures qui, sans prétention d’être exhaustifs, nous allons énumérer :
- Le défi que représente l’injustice actuelle avec ses abîmes d’inégalité croissante et intolérable. A notre avis, la  » faible réponse  » donné, par nos églises – en général – à ce défi réduit les possibilités de crédibilité et signification au fait chrétien dans notre société. Comme il a été dit – avec raison –  » l’injustice cache la face du Dieu chrétien « . Et il a été dit aussi que  » l’injustice est le rocher de l’athéisme moderne « . Nous ne pouvons pas oublier, comme le souligne la meilleure théologie actuelle, que la question de la justice est, dans une large mesure,  » la question de Dieu « . Ce qui équivaut à dire que le défi de l’injustice a non seulement une dimension éthique, mais aussi strictement théologique. Pour cette raison nous pensons que le futur du christianisme va dépendre en grande mesure de la réponse donnée à ce défi par nos églises en Europe (et dans le reste du monde) . Pour en venir aux aspects concrets (dont notre rencontre fut très riche), la portée de cette injustice actuelle est mieux perçu quand on regarde des situations si criantes comme la faim qui est la cause de beaucoup des morts précoces, l’émigration obligée, la discrimination blessante de la femme dans tous les secteurs, la marginalisation et jusqu’à l’exclusion sociale pour des raisons de race, ethnie, orientation sexuelle (gays, lesbiennes, transsexuels), etc.
- Le défi que représente la nouvelle situation culturelle, analysée par l’exercice de la raison critique moderne et postmoderne, qui, avec le développement actuel des sciences, a introduit le soupçon de la possibilité même d’être aujourd’hui raisonnablement croyant et chrétien. Dans une bonne partie de la société domine l’idée que la foi chrétienne est dépassée par cette nouvelle situation, manquant des réponses valables pour accompagner les personnes dans leur processus actuel de réalisation. Ceci explique que les générations plus jeunes en Espagne, dans une proportion très élevée, affirment qu’ils ne reçoivent pas des messages d’intérêt venant de l’Eglise.
- Le défi que représente, pour la prétention de la foi à être universelle, plus spécifiquement catholique, le pluralisme existant de cultures et des confessions chrétiennes et religieuses en général. Il nous semble que la peur qu’on observe dans nos églises à faire face à ce défi contribue aussi à grandir cette crise de foi dont nous faisons mention.
2. La crise de signification de nos églises catholiques
Cette deuxième crise, nous la croyons liée, parmi d’autres, aux causes suivantes :
- L’excessive hiérarchisation existante dans les églises actuelles ; hiérarchisation qui gêne la participation active et responsable de tout le peuple croyant.
- Le manque de reconnaissance des droits humains dans son propre sein ; manque qui concerne les groupes les plus réprimés actuellement : les femmes en général, les homosexuels, les prêtres mariés, les divorcés, etc.
- Le manque de liberté qui se traduit dans des nombreuses peurs : – peur de repenser d’une façon critique la foi et la moral chrétienne en dialogue honnête et critique avec la culture séculière moderne et avec les découvertes des différentes sciences :
- peur de la recherche historico-critique de la Bible ;
- peur du pluralisme légitime d’interprétations théologiques et de leur expression publique ;
- peur du processus d’insertion ou d’incarnation de l’Evangile dans les différentes cultures ;
- peur de l’avance Å“cuménique et du dialogue interreligieux ;
- peur de la démocratisation réelle et légitime de l’institution ecclésiale ;
- peur de réviser en profondeur la compréhension et l’exercice de tous les ministères dans l’église et la façon concrète des nominations ;
- peur d’exercer sa tâche prophétique, critique et libératrice dans la société à partir de la solidarité réelle avec la cause des pauvres et des exclus de cette terre.
- L’incapacité à comprendre les limites de leur présence publique dans la société, douloureusement encore liée à des étapes dépassées de chrétienté.
- L’utilisation des langages très intemporels, peu connectés avec les soucis, demandes, souhaits et problèmes réels des gens (spécialement des nouvelles générations), trop catégoriques et dogmatiques (même arrogants), très conceptuelles, excessivement orientés à l’endoctrinement, peu sapientiaux ou fondés sur l’expérience vivante de la foi, peu suggestifs et imaginatifs, très critiques et fréquemment éculés, atteints (parfois) de la prétention d’être chargés de vérité et, même, de toute la vérité.
II. Quelques réponses
Devant l’impossibilité de donner des réponses détaillées aux défis présentés, nous nous limitons à offrir quelques règles ou clefs fondamentales dont nous estimons que ces réponses devraient intégrer :Â
1) Le retour à Jésus de Nazareth, à sa vie et son message, conduirait sans doute à récupérer avec vigueur sa suite, clef fondamentale du vécu chrétien personnel et communautaire. Ce retour comprend l’option pour les pauvres traduite en solidarité réelle et effective avec leur cause. Tout en considérant la pauvreté économique comme fait majeur, nous ne devons pas exclure de cette option toutes les autres formes de pauvreté et de faiblesse, qui sont sources permanentes de marginalisation et d’exclusion sociale. Cette clef, ainsi formulée, nous semble indispensable pour penser et vivre aujourd’hui la foi chrétienne de façon crédible et significative.
2) Le dialogue honnête et critique avec la réalité actuelle et les différents savoirs autonomes fournis par les différents champs du savoir humain (philosophie, sciences humaines, empiriques, techniques, etc.) en rapport avec les différents niveaux et sous-systèmes qui configurent cette réalité. Le dialogue franc et honnête avec les nouvelles sensibilités des jeunes nous semble particulièrement urgent. Un dialogue qui doit être également s’éloigner du retranchement sur des positions doctrinales déjà dépassés, ou d’une adaptation difficile à ce qui est nouveau ; un dialogue soigné pour maintenir la fidélité à la foi et obtenir pour elle crédibilité et signification. En plus nous considérons aussi urgent un dialogue sincère et sans préjugés avec les différentes églises chrétiennes et avec les différentes confessions religieuses et laïques existantes.
3) La nécessité d’encourager et de fortifier le mouvement communautaire de base afin de fournir des références communautaires valables et faciliter des témoignages significatifs. Nous sommes convaincus que le témoignage, aussi petit qu’il soit, a, comme le grain de blé, la petite lumière sur la lampe ou le même ferment dans la masse, la force irrésistible du  » geste valable et crédible « . Nous ne pouvons pas oublier que la dimension joyeuse et festive d’une communauté de base rend fréquemment plus crédible le message du Royaume que la simple annonce orale de la foi. Et la présence, dans une culture furieusement individualiste, d’une communauté, enracinée dans les valeurs évangéliques » donne toujours à penser « .
4) Finalement, nous croyons que tous les chrétiens et chrétiennes de base nous devons faire de plus grands efforts pour une plus grande et meilleure coordination. Nous faisons référence non seulement à la coordination entre tous les groupes, mais aussi aux différents moyens d’expression dont nous disposons. La coordination en réseau et, si cela était possible, l’unification des moyens seraient une voie importante pour transmettre tant aux églises qu’à la société un discours alternatif, bâti sur les grandes valeurs humaines et évangéliques dont on remarque aujourd’hui l’absence : la justice, l’égalité radicale, la solidarité réelle, la paix, etc.
Rapport n°3
Quelles voies de sortie avons-nous ?
« Là où l’Eglise perd l’aire de la fraternité elle restera sans répit ;
là où elle perd le chemin de la fraternité, elle cessera d’être espérance pour les déshérités ;
là où elle cessera d’être miroir de fraternité, elle restera sans chants pour les derniers »
(J. GarcÃa Roca)
Nous vivons des temps dans lesquels : Respirer n’est pas facile, ce qui est commun est plutôt l’asphyxie et l’étouffement par la pression de la pensée unique, de la rigidité des institutions et des lois du marché et de la la politique sécuritaire qui s’imposent avec succès.
Des temps dans lesquels nous expérimentons avec douleur que, dans la grande partie de son chemin, notre Eglise ne partage pas les recherches, les inquiétudes, ni les espoirs des gens les plus exclus de notre monde ni de ceux les plus inquiets, mais plutôt « coupe le chemin ».
Des temps dans lesquels il est difficile de faire croire que l’Eglise est le miroir de fraternité, étant donnés les styles, pratiques, structures excluantes qu’elle maintient dans son sein et qu’elle légitime socialement et politiquement.
Mais il existe aussi une Eglise de la frontière; nous en faisons partie; nous ne partons pas de zéro; nous participons de sa sagesse historique, de sa capacité de propositions et de résistance. La frontière est limite et séparation, mais aussi connexion et communication. Dès la frontière nous sommes pressés et pressées à être et à faire des ponts qui permettent l’accès entre des réalités distancées et qui résistent et freinent la dynamique excluante du système.
Nous nous identifions avec :
- Une Europe qui n’aspire pas à être une forteresse enfermée en elle même, qui ne veut pas faire partie du club de l’abondance et nous luttons pour cela, dès ses entrailles mêmes, en assumant la propre contradiction d’être Eglise du premier monde et donc notre complicité avec l’exclusion des troisième et quatrième mondes, en même temps que notre engagement militant avec eux.
- Une Europe qui n’est pas d’accord avec les politiques économiques, bellicistes et de sécurité qui s’accordent au Nord et qui forcent des milliards des personnes du Sud à cet exode saignant qu’est l’immigration.
- Une Europe aussi de portes ouvertes, qui ne se défende pas de ces nouveaux voisins et des voisines qui réclament leur droit à la citoyenneté universelle et cherche le métissage et l’interculturalité.
- Une Europe qui comprend que le mot liberté a été apprivoisé par le néolibéralisme, et l’impérialisme de Bush pour légitimer leurs fins, en se vidant de son contenu ; qui n’a pas de valeur s’il n’est pas synonyme de justice social, solidarité, passion par la reconnaissance et engagement avec un nouveau ordre mondial, dans lequel un  » Autre monde soit possible « .
Nous sommes conscients que l’utopie sociale et ecclésiale qui nous soutient se trouve dans le même rapport de forces que David et Goliath ; pour cela il nous est nécessaire de chercher des stratégies concrètes pour faire face et chercher des sorties à la sagesse du mal qui prends corps dans les structures du péché.
Nous sommes aussi conscients que nous vivons un changement d’époque, marqué par les transformations qui supposent les nouvelles technologies et la globalisation, ce qui génère des situations de menace, risque, exclusion et mort pour des collectivités, peuples et continents entiers ; mais là où se trouve le problème, peut surgir aussi la solution ; là où nous apercevons des risques peuvent se trouver les osiers pour tisser les alternatives. Les menaces sont aussi fécondées d’espérance. Le système a aussi ses fissures où il faut se placer pour le fendiller.
Quelques menaces et possibles : quelles voies de sortie ?
1) La globalisation du secteur économique suppose que non seulement on globalise les problèmes, mais aussi les personnes
Voie de sortie : la globalisation de l’humain :
- Insister dans l’option pour les pauvres et la justice comme faisant partie de la foi en Jésus-Christ, une option qui n’est pas un principe théorique, mais qui se concrétise dans la façon d’être et se positionner socialement, politiquement et quotidiennement parmi ceux qui ont du mal dans notre organisation sociale.
- Soigner la présence, solidaire et proche, de voisinage avec les gens les plus exclus et leurs causes : en chômage, des prisonniers, des immigrants, des femmes, des jeunes et enfants de la rue, etc., parce que seulement dès cette rencontre et proximité avec les victimes, en participant de leurs histoires vitales et en les croissant avec les nôtres, nous pourrons apercevoir des propositions et des stratégies de résistance commune.
- Articuler les groupes de base, les paroisses et les communautés engagées dans les causes libératrices et proches des situations de risque et exclusion, chercher des coordinations adaptées et consacrer ses ressources à cela.
- Fortifier des alliances entre l’Eglise de Base et d’autres églises et religions qui se rejoignent dans l’engagement pour la justice, en cherchant ensemble des synergies pour dénoncer le système néolibéral.
- Intensifier la présence publique et politique des chrétiens et des chrétiennes dans la tradition de la gauche et dans les mouvements sociaux : féminisme, pacifisme, droits de la terre, globalisation alternative, mouvements identitaires, etc.
2. L’abîme des inégalités, la brèche entre le Nord et les Sud, entre le club des satisfaits et des exclus, et en même temps l’évidence que de telles inégalités peuvent être déracinées
Voie de sortie : le changement radical dans les agendas des églises :
- Un agenda qui donne priorité à se laisser interpeller par ce qui se trouve à l’extérieur d’elle même, ouverte au monde, ni peureuse ni intransigeante mais en dialogue permanent avec les nouveaux défis posés par la culture et la science et au service des grandes causes d’humanisation: droits humains, compromis pour la paix, la justice sociale, la solidarité, avec ou sans l’étiquette de chrétiennes, car l’Esprit n’a pas de noms et parce qu’une Eglise qui ne sert pas ne sert à rien. (Jacques Gaillot)
- Parier pour une perspective planétaire dans laquelle on globalise aussi le droit à la diversité et les identités propres, en assumant les risques que cela comporte et en collectant les apports des nationalismes humanistes et démocratiques comme oxygène indispensable dans un monde globalisé.
- Création de groupes de pression autour de sujets dans lesquels se trouvent en jeu la dignité des personnes et leurs droits humains et sociaux.
- Parier pour la laïcité de l’Eglise, pour une claire séparation entre religion et Etat.
- Dépasser le divorce Eglise – monde dont nous souffrons depuis des siècles.
- Abandonner les schémas pré-modernes dans lesquels une grande partie de l’Eglise se maintient ancrée et nous ouvrir au dialogue avec la modernité et la post-modernité, en reconnaissant et accueillant ses valeurs et son apport humanisant.
- Parier pour des manières ouvertes d’insertion et de présence de l’Eglise dans le monde, et non sur la condamnation préalable et le jugement moralisant, ni sur des manières de présence confessionnelles ou subreptices, mais dans le style du ferment dans la pâte.
- Insister dans la méthodologie essai-erreur comme manière dans nos engagements et pratiques ecclésiales, parce que l’Evangile a toujours plus d’essai, expérimentation, recherche, que de routine et stagnation.
- Vivre de telle manière qu’il vaille mieux courir le risque de nous tromper plutôt que ne pas nous salir les mains pour le Royaume.
3. Des rapports et des méthodes d’organisation qui excluent en uniformisant, qui dépersonnalisent ce qui est humain, en hiérarchisant les différences, et perpétuent des schémas discriminatoires et de pouvoir alors qu’en même temps, émerge l’horizontalité, la réciprocité, le droit à la différence comme proposition relationnelle et organisatrice.
Voies de sortie :
- Pari clair pour ce qui est Inter et tout type de métissage: interculturel, inter-genre, inter-religieux, inter-générationnel.
- Casser le stéréotype qui continue à être dominant dans le modelage de ce qui est humain : homme, blanc, occidental, et offrir d’autres modèles alternatives de référence : Dieu est noire, etc.
- Désoccidentaliser et dé-masculiniser nos conceptions, langages, pratiques, en nous ouvrant et nous croisant avec d’autres paradigmes culturels plus holistiques et intégrateurs.
- Réhabiliter l’Eglise comme communauté d’égaux en bannissant toute discrimination pour des questions comme le genre ou l’identité sexuelle, une Eglise de ministères et de communion Å“cuménique, en développant les intuitions du Vatican II qui sont encore sans épousseter.
- Pratiquer des modes d’organisation plus circulaires et démocratiques où le dialogue, le respect du pluralisme et le droit à diverger et proposer soit reconnu comme un mode de vivre la coresponsabilité dans l’Eglise et non pas comme une menace.
- Eviter de dépenser des énergies dans des batailles internes, mais plutôt ne pas cesser dans le dialogue et la recherche de propositions et des initiatives pour que le droit à la différence et le pluralisme dans l’Eglise soient possibles devant la crise de signifiance salvatrice que traverse l’Eglise et les besoins de sens, et de félicité que continue à désirer l’humanité dans ses entrailles.
- Récupérer et témoigner la joie de la foi, dépasser le syndrome des plaintes qui nous menace en permanence dans l’Eglise et entonner la prophétie du chant, de l’évangile comme un projet générateur de félicité et plénitude de l’humain où il est possible concilier compromis et plaisir, fête et lutte, éthique et beauté, Spiritualité et corporéité, résistance et proposition, réalisme et utopie.
- Identifier les besoins de salut manifesté par notre culture et en fonction d’eux réaliser les changements nécessaires dans l’Eglise pour pouvoir être une proposition alternative face aux succédanés qui sont offerts par le système (culte au pouvoir et à l’argent, spiritualités tranquillisantes, individualistes, a-critiques, désincarnées).
- Démonter la catégorie de Dieu et du christianisme en usage;
- Montrer d’autres images de Dieu, d’autres expériences d’Eglise, d’autres modes d’existence chrétienne qui puissent être des références pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui.
- Remplacer ce qui est discursif par ce qui est narratif dans notre pratique ecclésiale. Récupérer le caractère narratif de l’Evangile et racheter de notre tradition les histoires concrètes des hommes et des femmes dont leur vie ont une capacité de séduire et contaminer, d’être de références.
- Raconter et faire visible les saints et les saintes de notre siècle et qui ont cheminé à nos cotés.
- Eduquer les générations plus jeunes en leur donnant le goût de l’intériorité et de la mystique du compromis comme plaisir, fête et rencontre.
- Soigner l’accueil, la chaleur, l’accompagnement et la procédure dans l’incorporation des personnes qui apparaissent par la première fois dans les communautés chrétiennes.
- Montrer et faire visible l’Eglise de base dans d’autres enceintes plus larges et plurielles en favorisant le réengagement des gens qui restent en chemin et l’accompagnement du collectif chaque fois plus nombreux qui constituent les chrétiens et chrétiennes sans Eglise.
4. La crise des valeurs démocratiques et la conscience citoyenne et avec elle la passion pour la reconnaissance, et le besoin de tisser avec le divers.
Voies de sortie :
- Inciter à la création des tissus communautaires inclusifs et qui personnalisent tant au niveau ecclésial que social.
- Créer des forums alternatifs d’opinion (presse, publications, documents) qui montrent qu’une autre Eglise et autre monde sont possibles et nécessaires et qui contrecarrent les effets des déclarations de l’Eglise officielle.
- Inciter l’opinion publique à la critique ; faire des propositions, où le pluralisme et le droit à la différence aient droit de cité
- Etre des interlocuteurs dans le débat social et ecclésiale et retirer le monopole des évêques et des politiciens.
- Nous distancer publiquement des pratiques, opinions et styles de l’Eglise qui s’éloignent de l’esprit de l’Evangile.
- Gérer efficacement des réseaux entre les communautés chrétiennes et les mouvements alternatifs, en faisant confluer ressources, publications, moyens.
- Devant la situation de harcèlement et bousculade vécue par des personnes et communautés chrétiennes à l’intérieur de l’Eglise, créer des  » observatoires  » de ces situations pour pouvoir offrir un appui fraternel et des voies de dénonciation.