CARRE BLANC !
Le 24 avril dernier, le chef de l’Etat lui-même s’est produit à la télé. Devant leur poste, les plus fragiles, les plus démunis d’entre nous n’avaient rien à attendre de si haut. Il ne se passe guère une semaine sans que soient remis en cause, les uns après les autres, leurs droits sociaux. Ce soir-là, ils savaient que, désormais, la solidarité, la répartition, ce ne serait plus pour eux, mais seulement entre eux. Depuis, la mobilisation des mouvements sociaux du mois de Mai leur laisse entrevoir d’autres façons de saisir leur destin…
Mais espérons au moins que, ce soir-là leurs enfants étaient couchés ou éloignés du message présidentiel car une phrase, plus encore cruelle que les autres, les atteignit en pleine figure. Celui qui représente la plus haute autorité du pays leur disait, droit dans les yeux, que ceux d’entre eux qui ne parviennent pas à lire sont ‘’fichus” ! Comment les enfants concernés par un tel propos, et leurs parents pouvaient-ils avoir encore envie de construire leur avenir ? Evidemment, il s’agissait de remettre en cause, une fois encore le travail des enseignants, déjà bien fragilisés aujourd’hui dans leur vocation personnelle et collective (11200 postes en moins cette année). Travaillant moi-même auprès des élèves en difficulté, je constate :
1) Que les enfants sont différents. Dans une même classe de CP (avec un même enseignant, une même méthode pédagogique), les élèves ‘’phonologiques” et les élèves ‘’lexicaux” ne mettent pas en œuvre les mêmes stratégies d’apprentissage de la lecture. Le travail des enseignants n’est donc pas en cause.
2) Que la dyslexie (difficulté d’accès au langage écrit) quant à elle, représente, certes, un réel handicap, tout comme les atteintes visuelle, auditive, motrice, ou mentale. Le devoir de notre République est de permettre à ces élèves handicapés de prendre toute leur place dans la société et non de leur dire qu’ils sont fichus !
Et nous, comme chrétiens, compagnons de cet homme de Nazareth qui a remis debout tant de non-conformes, tant de hors-normes, tant de non rentables pour le système dominant, nous ne pouvons que nous révolter devant une telle irresponsabilité éducative au sommet de l’Etat.
Un couple vivant de petits boulots, dans l’insalubrité et la grande précarité, avec deux petites filles dont une trisomique me disait, à propos de celle-ci :‘’on espère que, dans la vie, elle fera mieux que nous ! » Alors, non, Lucie, tu n’est pas fichue !
Ce soir là, sur l’écran de télé, il manquait au moins un carré blanc !
M.D. (juin 2008)