” Et la lumière fut ! “, ou comment une petite ONG transforme la vie des plus démunis
Martine et Eric Charlet sont arrivés en août 2000 sur le Larzac. Martine est, depuis mars dernier ajointe, à l’urbanisme de la commune de Creissels. Eric travaillait à EDF jusqu’à sa pré-retraite, en 2003. Depuis deux ans, il consacre une grande partie de son temps à l’association Electriciens sans frontières, ONG de solidarité internationale née en 1986.
Gardarem lo Larzac : Quelles sont les activités d’Electriciens sans frontières ?
Eric Charlet : Nous intervenons dans les communautés villageoises de plusieurs pays du Sud pour apporter un peu d’électricité dans les sites hors réseau, et nous oeuvrons aussi pour l’adduction d’eau. La philosophie générale est bien sûr d’améliorer le quotidien des populations, mais aussi de dégager une source de revenus, par exemple en permettant le fonctionnement d’une machine de type moulin ou autre. Le but est que les populations puissent faire face, financièrement, à l’entretien et à la maintenance des installations.
GLL : Combien êtes-vous ?
E.C. : Nous sommes 800 bénévoles dans toute la France, répartis en organisations régionales. En Languedoc- Roussillon, nous sommes une cinquantaine. La plupart des membres de l’organisation sont issus d’EDF, et la majorité sont retraités.
GLL : Quelles sont les sources d’énergie électrique ?
E.C. : Suivant les ressources locales, soit l’hydroélectricité, soit le photovoltaïque. Nous avons aussi le projet de développer l’éolien.
GLL : Et quelles sont les utilisations principales ?
E.C. : La priorité va à l’éducation (électrification des écoles) et à la santé (dispensaires). Suivant les demandes locales, on peut aussi électrifier les maisons individuelles, mais le plus souvent, il s’agit de petites puissances, d’environ 50W, ce qui permet juste un peu d’éclairage, qui revient beaucoup moins cher pour l’usager que les bougies ou les lampes à l’huile, mais demande d’anticiper financièrement sur les pannes futures et le remplacement des batteries. On ne pousse pas à la consommation. Ainsi, s’il y a une demande de télévision, on suggère de l’installer dans une salle commune pour tout le village. Même chose pour le réfrigérateur.
GLL : Du projet à la réalisation puis au suivi, quel est le cheminement ?
E.C. : Nous avons souvent connaissance d’une demande particulière d’eau et/ou d’électricité par l’intermédiaire d’une autre ONG, type Médecins sans frontières. L’instruction se fait d’abord par écrit avec l’organisation locale (association, collectivité locale, gouvernement), puis nous partons en mission d’étude, pour rencontrer les populations concernées et vérifier la cohérence du projet avec les politiques menées régionalement et nationalement. Ensuite se fait la partie la plus longue et la plus ardue : la recherche de financement, notamment auprès des entreprises, dont la Fondation d’EDF, des collectivités locales, des institutions internationales, etc. Enfin le projet est mis en route, ce qui peut prendre un à trois ans, voire plus.
GLL : Et le suivi ?
E.C. : C’est un point crucial. Il ne s’agit pas d’amener l’eau ou l’électricité sans se préoccuper du devenir des installations, à la fois financièrement et techniquement. Par exemple, au Sénégal, l’électrification d’écoles et de dispensaires se fait en partenariat avec les centres de formation professionnelle de la région et les lycées techniques. Au Laos, où nous installons des « picoturbines » (microcentrales hydroélectriques), nous associons un centre laotien de formation pour électriciens. Outre le souci de générer des activités nouvelles, nous accompagnons les populations dans la création d’associations ou comités destinés à la gestion des installations (collecte de redevance, gestion des pannes et des remplacements de matériels). Dans les années qui suivent l’installation, nous faisons des missions d’évaluation, mais on a encore des progrès à faire sur le suivi dans la durée. D’autant que nous sommes aussi confrontés à un contexte économique mondial. Ainsi, la brutale hausse des prix de l’alimentation se traduit parfois par un choix : entre l’entretien de l’installation électrique et la nourriture, c’est bien sûr cette dernière qui prime. C’est pourquoi je pense qu’il faut se concentrer sur quelques projets bien conçus, réalisés et suivis, et pratiquer des synergies entre ONG, plutôt que de zapper d’un bout à l’autre de la planète.
GLL : Toutes les actions de solidarité internationale se font à sens unique. Nos sociétés occidentales opulentes n’ont-elles pas aussi à apprendre des cultures du Sud, habituées à la sobriété, à la débrouillardise, à l’autoproduction ?
E.C. : Certainement. Je reconnais que, même en ayant toujours en tête le souci de faire avec les gens sur place et non pour eux, nous devons toujours assumer notre statut d’occidentaux riches. La seule chose qui prouve notre bonne foi, c’est notre inscription dans la durée, avec cependant un effet pervers possible : si nous revenons fréquemment sur place pour assurer le suivi, cela n’incite pas les populations à prendre en main l’entretien des installations.
GLL : Le photovoltaïque s’accompagne nécessairement de batteries. Est-ce que le remplacement et le recyclage des batteries est prévu ?
E.C. : Pour le remplacement, cela fait partie de nos préoccupations quant à la solvabilité des populations dans la durée, par le développement de nouvelles activités permises par l’électricité ou l’adduction d’eau. Pour le recyclage des batteries, on n’est sans doute pas encore au point, en raison des infrastructures défaillantes de la plupart des pays où nous intervenons.
GLL : Localement, y a-t-il des financeurs de votre ONG ?
E.C. : Les régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées financent nos projets. Localement on peut citer la Chambre de commerce et d’industrie de Millau, la communauté de communes du Saint-Affricain, ainsi que certaines entreprises (à noter l’exemple de la menuiserie Combes à Millau, où les salariés donnent des heures supplémentaires pour une autre association oeuvrant à Madagascar).
GLL : Quelles sont les compétences requises pour participer à Electriciens sans frontières ?
E.C. : Elles sont multiples. Il faut réaliser les dossiers, les présenter en allant à la rencontre des autorités et des financeurs. Bien sûr, il faut des compétences techniques pour la conception et la réalisation sur place, et il faut aussi pouvoir voyager et résider dans des régions où les conditions de confort sont souvent spartiates. On manque encore d’une dimension sociale, par exemples d’ethnologues, pour garantir une appropriation des projets par les habitants.
GLL : Attends-tu des Larzaciens une aide quelconque ?
E.C. : Il y a sur le Larzac de nombreuses personnes et associations (APAL, Larzac Solidarités, etc.) qui ont des liens approfondis avec des populations du Sud (Palestine, Kurdistan, Amérique latine, Afrique etc.). Peut-être pourrions-nous croiser nos compétences pour apporter un regard original sur nos activités et nos méthodes, et pourquoi ps proposer de nouveaux projets.
Propos recueillis par Thomas LESAY
Lu dans « Gardarem lo Larzac » (n°283 septembre-octobre 2008.) par Ingrid Augot