Les religions appelées à l’humilité dans leur dialogue avec la société
Dans cet espace très contemporain du Centre-Cité de Lyon, la 83e réunion des Semaines sociales de France a posé une question clé pour notre temps : « Les religions sont-elles une menace ou un espoir pour nos sociétés ? »
Près de 5.000 personnes sont venues tenter d’y répondre vendredi 21 novembre et durant tout le week-end. La formulation obligeait les intervenants à un regard introspectif sur la pratique des croyants, mais invitait aussi chacun à s’évaluer en tant que simple citoyen.
C’est ce qu’ont fait notamment, dimanche matin, huit représentants des communautés lyonnaises, donnant à entendre un message fort. « Le principe de séparation du politique et du religieux est pour nous un préalable et une condition à toute vie religieuse et politique apaisée », a dit le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon. Le grand rabbin Richard Wertenschlag a rappelé « le caractère sacré de tous les êtres humains et de la vie ». Et Kamel Kabtane, recteur de la Grande mosquée de Lyon, a souligné que « l’homme ne saurait être réduit à un consommateur économique ».
Ces grands principes et de multiples autres sujets concernant le « vivre-ensemble » ont été longuement visités, analysés, travaillés, soit en conférences, soit dans des ateliers. Une idée maîtresse revenait souvent dans les propos des uns et des autres : l’urgente nécessité de faire preuve d’humilité dans le dialogue entre religion et société, ainsi qu’entre les religions elles-mêmes.
« Pourquoi le dialogue interreligieux ne se nourrit-il pas un peu plus de tous nos problèmes de société ? »
Agnes von Kirchbach, dans une intervention très remarquée sur « L’universel à l’épreuve du pluralisme », samedi matin, l’a exprimé de manière très explicite : « Chaque religion doit prendre en compte le mal dont elle est la cause et porter un regard critique sur elle-même pour se transformer. Si on se situe dans l’inachèvement de l’humain, les religions pourront alors entrer en partage. » Selon cette pasteure de l’Église réformée de France, c’est la réparation de cet inachèvement par le souci de l’autre et de son bien-être qui ouvre une piste à l’humanité, d’où sa certitude que « la difficulté du dialogue est liée à l’injustice sociale ». Aussi, le point de départ de ce dialogue consiste-t-il en une « attitude humble ».
Lors d’une table ronde animée dimanche matin par François Ernenwein, rédacteur en chef à La Croix, Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne, a choisi de poser des questions provocantes : « Pourquoi le dialogue interreligieux ne se nourrit-il pas un peu plus de tous nos problèmes de société ? », s’est-il interrogé, avant d’évoquer les dangers du fondamentalisme et de ce qu’il qualifie « d’archaïsmes » lorsque, par exemple, « les Églises chrétiennes résistent devant la contraception qui s’impose face à la pandémie du sida en Afrique ».
À ses côtés, Élisabeth Guigou, ancienne ministre et habituée des Semaines sociales, a fait sourire l’assemblée en la remerciant de lui permettre de « s’évader », allusion aux tribulations du Parti socialiste… L’anecdote n’est pas sans intérêt, les propos qu’elle a tenus ensuite montrant à quel point la politique peut et doit dépasser, elle aussi, les intérêts particuliers : aujourd’hui, a-t-elle rappelé en dénonçant les travers de la société, « on glorifie tellement la réussite qu’on oublie la solidarité. Il n’y a pas d’émancipation individuelle sans collectivité. » Selon l’ancienne garde des sceaux, les religions ont le mérite de toujours reposer « la question du sens ». Et de rappeler ce mot de Sœur Emmanuelle à ceux qui la rencontraient : « Est-ce que, aujourd’hui, tu as aimé ? »
« L’Église se fait conversation »
Dans l’un des ateliers de samedi après-midi, consacré aux « religions et sociétés face aux sciences et aux dilemmes éthiques » et animé par Hubert Chicou, directeur général délégué de Bayard, le professeur Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique, a lui aussi montré la nécessaire humilité des religions face à la science et le danger qu’elles couraient à se montrer trop orgueilleuses : « Nous resterons toujours à la périphérie de la connaissance. La pire des croyances est de croire qu’on pourra s’approcher un jour de l’inconnaissable. »
Pourtant, estime le professeur Sicard, « si la religion a le droit d’interroger la science, elle doit être prudente par rapport à sa méfiance. La science et la religion n’ont pas à faire de concessions mais, d’abord, soyons humbles. » Un participant s’interrogeant sur la sélection des enfants à naître, la réponse de ce médecin a été radicale : « La religion doit en effet poser question à la science, dans certains cas de façon très dure et très polémique. »
Humilité encore lorsque, samedi matin, le Frère Enzo Bianchi, prieur de la Communauté de Bose, a avancé que « la nouvelle évangélisation ne devait pas signifier l’imposition de l’Évangile ». Il a notamment rappelé l’une des injonctions exprimées à partir de Vatican II : « L’Église se fait conversation ». « L’Évangile doit donc se nourrir de dialogue », a martelé le fondateur italien. Une invitation vibrante à davantage d’ouverture sur la diversité des sociétés.
Auteur : Louis DE COURCY, à Lyon
Source : La Croix
23 novembre 2008