Trois après-midi de débat réunissant des artistes, intellectuels et chercheurs, dont Alexandre Adler, Jean-Marie Apostolidès, Alain Badiou, Étienne Balibar, Enzo Cormann, Jean-Michel Déprats, Camille Dumoulié, Jean Gillibert, Jean-Louis Hourdin, Blandine Kriegel, Robin Renucci, Dominique Reynié, Daniel Sabbagh, Christian Schiaretti, Jean-Pierre Siméon, Jean-Pierre Vincent.
Cycle de débats, conférences, projections et lectures à Paris les lundi 8 et mercredi 10 décembre de 14h à 19h30 à la Cité Internationale Universitaire de Paris (Collège Franco-Britannique), le samedi 13 décembre de 13h à 18h au Théâtre Nanterre-Amandiers
Les sessions seront introduites par un extrait de Coriolan et animées par Gérald Garutti, conseiller littéraire et dramaturge du Théâtre National Populaire, autour du spectacle Coriolan de Shakespeare, mis en scène par Christian Schiaretti représenté au Théâtre Nanterre-Amandiers du 21 novembre au 19 décembre 2008
Prix du Syndicat de la Critique du Meilleur Spectacle. Un contrechamp organisé par le Théâtre National Populaire, en partenariat avec l’University of Chicago, la Cité Internationale Universitaire de Paris, le Théâtre Nanterre-Amandiers et Sciences Po.
Comment vivre ensemble quand on est différent ? La démocratie est-elle le pire des régimes à l’exception de tous les autres ? N’avons-nous le choix qu’entre la démagogie des tribuns et la tyrannie des hommes forts ? Faut-il préférer la sécurité à la liberté, et l’ordre à la justice ? Autant de problèmes abordés par Shakespeare dans son ultime tragédie, Coriolan. Située dans la Rome républicaine balbutiante (-488), écrite dans l’Angleterre moderne naissante (1607), cette pièce expose des enjeux d’une déchirante actualité pour nos démocraties en souffrance. Elle en exprime les conflits inexpiables, les déséquilibres perpétuels et les contradictions vertigineuses. À partir de Coriolan, seront ainsi interrogés les fondements et les fins, les failles et les crises de la démocratie actuelle, selon trois axes : le pire régime, le règne de la représentation, le héros et la masse.
Entrée libre sur réservation obligatoire au 01 46 14 70 10 ou par email à spectateurs@amandiers.com
Cité Internationale Universitaire de Paris, Collège Franco-Britannique, 9 boulevard Jourdan, 75014 Paris, RER Cité Universitaire.
Théâtre Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso, 92000 Nanterre, RER Nanterre-Préfecture.
PROGRAMME
1. Le pire régime
Lundi 8 décembre de 14h à 19h30 à la Cité Internationale Universitaire de Paris (Collège Franco-Britannique)
• 14h00-14h45 : Coriolan ou la démocratie en question
par Gérald Garutti, dramaturge
• 14h45-15h15 : Une brève histoire de la démocratie
par Pierre Manent, pensée politique
• 15h15-17h15 : Pourquoi la démocratie ?
avec Blandine Kriegel, philosophe, Pierre Manent, chercheur en pensée politique, et Jean-Pierre Vincent, metteur en scène.
• 17h30-19h30 : Le régime des crises
avec Alexandre Adler, historien, Etienne Balibar, philosophe, et Jean-Louis Hourdin, metteur en scène.
2. Le règne de la représentation
Mercredi 10 décembre de 14h à 19h30, à la Cité Internationale Universitaire de Paris (Collège Franco-Britannique)
• 14h00-14h45 : Représentation politique et représentation théâtrale
par Jean-Marie Apostolidès, chercheur en sciences humaines.
• 14h45-16h45 : Le pouvoir en représentation
avec Jean-Marie Apostolidès, chercheur en sciences humaines, Jean-Pierre Siméon, écrivain, et Dominique Reynié, chercheur en sciences politiques.
• 17h00-19h00 : Les exclus de la représentation
avec Enzo Cormann, écrivain, Robin Renucci, comédien, et Daniel Sabbagh, chercheur en sciences politiques.
3. Le héros et la masse
Samedi 13 décembre de 13h à 18h au Théâtre Nanterre-Amandiers
• 13h00-13h30 : Le héros impossible
• 13h30-15h15 : Qu’est-ce qu’un héros ?
avec Jean-Michel Déprats, traducteur, Jean Gillibert, écrivain et metteur en scène, et Camille Dumoulié, chercheur en littérature comparée.
• 15h30-17h30 : La dégénérescence du héros
par Alain Badiou, philosophe.
• 17h30-18h00 : Du théâtre à la Cité
par Christian Schiaretti, metteur en scène.
——————————————————————————————-
Tragique démocratie
par Gérald Garutti
Comment vivre ensemble malgré les différences et les différents ? La démocratie est-elle le pire des régimes à l’exception de tous les autres ? N’avons-nous le choix qu’entre la démagogie des tribuns et la tyrannie des hommes forts ? Faut-il préférer la sécurité à la liberté, et l’ordre à la justice ? Autant de problèmes abordés par Shakespeare dans Coriolan. Située dans la Rome républicaine balbutiante (-488), écrite dans l’Angleterre moderne naissante (1607), cette tragédie politique brasse des enjeux d’une déchirante actualité pour nos démocraties en souffrance.
1. La lutte des classes. Un spectre hante Rome : le spectre de la guerre civile. À l’arrogance des patriciens tout puissants s’oppose le ressentiment des plébéiens sans droits. Contre cette noblesse qui l’opprime, le peuple finit par s’insurger. Le conflit se cristallise entre les tribuns, tout juste institués pour défendre la plèbe, et Coriolan, patricien extrêmiste, général héroïque et, bientôt, consul élu.
2. La crise perpétuelle. Ballotée par des forces centrifuges, écartelée entre des options politiques concurrentes, la république souffre d’une instabilité permanente : révolte populaire, révolution sociale, compromis réformiste, paternalisme conservateur, répression militaire, délégation tribunicienne, union sacrée vite évanouie… Tout est possible – surtout le pire.
3. Le pire régime. Rome oscille entre trois régimes décadents : une démocratie rêvée (souveraineté du peuple) qui vire à la démagogie (domination des tribuns); une aristocratie effective (primat du sénat) mâtinée d’oligarchie militaire (suprématie des généraux); une pente tyrannique (ascension de Coriolan) qui rappelle la monarchie exécrée (expulsion des rois vingt ans auparavant).
4. Un bestiaire fratricide. “Rome et ses rats vont se livrer bataille”. De Rome, mère affligée, les monstres déchirent le sein : hydre démocratique aux mille têtes, loups aristocratiques chassant en meute disparate, et tigre tyrannique dont les blessures aiguisent la fureur. Tous descendent en droite ligne du couple originel fratricide – Romulus et Rémus, fils de la Louve.
5. La dissension infinie. Une Cité, deux classes, trois régimes… et mille factions. Contradictions et divergences travaillent chaque clan, et même chaque groupe : généraux (factieux vs légitimistes), sénateurs (modérés vs radicaux), citoyens (révolutionnaires vs réformistes), familles (mère abusive vs fils indigne).
6. La corruption fatale. Sénateur “ami du peuple” s’évertuant à concilier les contraires, le médiateur Ménénius vise une impossible concorde civile. Par ses ondoiements et revirements incessants, il exprime les inévitables compromis et compromissions de la démocratie, par essence toujours frustrante, défaillante, imparfaite – introuvable.
7. Le salut par l’impérialisme. Là comme ailleurs, “la guerre [extérieure], c’est la paix [intérieure].” (Orwell) Seule la menace étrangère impose l’unité nationale : face à l’invasion volsque, la survie romaine exige la mobilisation générale. Matrice cannibale de l’empire à venir, peuple en fusion dès l’origine, Rome écrase son ennemi avant de l’absorber.
8. L’expulsion du héros. Cette république qui se nourrit de conquêtes pousse l’ingratitude à bannir ses conquistadors. Le sauveur de la Cité déchoit, de l’élection à l’éviction. Bien que héros consacré par la patrie et consul légitimé par l’élection, Coriolan est chassé par le peuple, dans le silence complice d’une noblesse peut-être également soulagée d’évincer ce tyran militaire en puissance. Ce sacrifice du bouc émissaire favorise une réconciliation de façade entre factions.
9. Une bureaucratie désenchantée. Rescapée de la monarchisation, Rome vire en démocratie parlementaire routinière. La mystique dégénère en politique, le mouvement militant en parti de gouvernement, l’aspiration révolutionnaire en exercice gestionnaire. Avec les tribuns pour maîtres, la machine politique tourne à vide, dans l’illusion d’une paix sociale.
10. Le règne de la représentation. Coriolan refuse de jouer la comédie du pouvoir démocratique. Il rejette toute représentation, simulacres politiques (les tribuns) et simagrées théâtrales (les rites). Lors de l’élection, sa mère Volumnia lui avait pourtant prêché les vertus du masque en politique — en vain. Par son triomphe, cette reine-mère et vierge avatar d’Elisabeth Ier marque la victoire d’une conception machiavélienne d’un pouvoir tenté par l’absolutisme sous des dehors conciliateurs. La politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens.