Qui sommes-nous ? Un portrait de Jean-Pierre Macrez
Jean-Pierre, avant de revenir sur ton parcours et tes engagements, peux-tu te présenter succinctement ?
Je suis jeune retraité de l’Education Nationale, je suis marié et j’ai 2 enfants. J’ai eu la chance dans ma famille de côtoyer les deux milieux : laïque et catholique.
Après un parcours scolaire secondaire un peu chaotique : Collège d’Enseignement Général en banlieue parisienne, une année au Centre d’apprentissage chez Renault, un retour difficile en filière longue lycée technique, le bac Math et Technique, et l’intégration à l’Ecole Nationale d’Ingénieurs de Metz , je suis devenu professeur sur statut secondaire en Génie Mécanique à l’université de Lille 1.
Quelles sont les grandes étapes, les temps forts de ton parcours de vie qui ont motivé tes engagements ?
Je dirais que mes engagements chrétiens ont mûris de manière classique pour l’époque, par l’aumônerie scolaire de l’école laïque et par l’esprit JEC (Jeunesse Etudiante Catholique). Une particularité, qui sera à l’origine de la création, avec quelques copains, de ce qui deviendra la mission étudiante à l’université de Metz alors naissante.
Avec et après 68, j’ai eu un engagement militant progressif dans le milieu étudiant messin : à l’Unef et à la Mnef, puis politique à la section locale du PSU. Ce militantisme aura pour conséquence un service militaire en Allemagne malgré l’obtention d’un poste de coopérant à Madagascar par l’intermédiaire de la Coopération Catholique !
J’ai dès le début eu des difficultés à « comprendre » la structure hiérarchique de l’église catholique, sa culture « à part » par rapport au monde.
Après une adhésion à la CFDT développant à cette époque le thème de « l’autogestion », j’ai eu une phase militante en creux avec l’entrée dans la vie professionnelle et l’apprentissage du dur métier d’enseignant, particulièrement à ses débuts. Mon activité syndicale s’est poursuivie durant toute ma carrière à l’Université des Sciences et Technologiques de Lille : j’ai été trésorier puis secrétaire adjoint de la section SGEN de Lille 1. J’ai été élu sur liste syndicale aux Service Commun d’Action Sociale et au CA de l’université ainsi qu’au conseil de direction de mon UFR.
Tu as l’opportunité dans ton métier d’enseignant de pouvoir partager avec tes étudiants de l’Université de Lille ce qui te tiens à cœur dans certains de tes engagements. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ces conférences de sensibilisation, animées par tes soins ?
En effet, plus récemment je me suis investi dans le domaine culturel, où j’ai essayé d’innover par une sorte de « service » culturel engagé. Comment en suis-je arrivé là ? Je dirais, par des lectures (je pense à au journal Témoignage Chrétien), des échanges avec des collègues chrétiens, par une conférence d’Alain Touraine qui mettait en évidence des difficultés (difficultés ressenties aussi au sein de ma famille) des jeunes à se construire eux-mêmes par manque de repères ( école, Eglise…) et à cause de l’individualisme ambiant.
J’ai tenté par cette expérience une sorte de « diaconat laïc » ( bien entendu non reconnu par l’Eglise ) pour tenter d’apporter quelques modestes pierres aux étudiants afin de les aider à se construire. Le moyen a été la mise en place de conférences de sensibilisation (prise de conscience, réflexions, engagements…) avec deux collègues catholiques membres de « Chrétiens dans l’enseignement public » vers les étudiants et ceci dans le cadre de l’Espace Culture de l’université.
Les thèmes développés d’années en années ont été les suivants : mondialisation, engagement politique de base, laïcité, altermondialisation, non-violence, bien être/mal être, solidarité internationale, utopie et altermondialisme en association avec différents partenariats locaux ou nationaux et dernièrement, les chemins d’humanisation ainsi que les valeurs universelles. Soit près de 40 conférences et deux journées d’études mises en place au sein du service culture de l’université.
L’altermondialisme semble constituer une référence majeure de tes espérances. Ce mouvement a-t-il pour toi une cohérence et une force suffisante pour pouvoir apporter des solutions réelles aux crises majeures, écologiques et sociales, que nous commençons à traverser ?
Cette question est vaste, ma réponse personnelle ne pourra qu’être partielle et très limitée. Je terminerai par quelques références de personnes plus compétentes que moi qui ont pu s’exprimer lors de mon invitation à la journée d’études sur le thème de « l’utopie et l’altermondialisme ».
D’un point de vue chrétien, il me semble que si l’on prie « en esprit et en vérité » comme Jésus nous l’a demandé dans cette phrase qu’il nous a apprise pour nous adresser à son Père (« Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite »), nous devons nous poser la question : qu’est ce que cela veut bien nous dire aujourd’hui dans notre contexte et dans l’esprit du Sermon sur la montagne ?
Si l’on part du principe que Dieu nous a créé(e)s libres et responsables et que l’esprit de Jésus est l’instauration du Royaume de Dieu qui est justice et paix, alors nous pouvons agir dans la confiance en Dieu.
Nous avons là exhortation à vivre la justice, la promesse d’un monde à venir qui est à bâtir dans l’esprit des valeurs définies dans ce royaume. Jésus nous appelle à une espérance inouïe : une foi dans l’avenir. « Que ton règne vienne » dans notre cœur … et dans le monde. Cela doit nous aider à participer activement à l’organisation d’une vie sur terre avec d’autres.
Pour ma part, au niveau cohérence, je pense qu’un parallèle existe entre ce royaume à construire pour nous chrétiens et le mouvement altermondialiste qui m’apparaît comme « un signe des temps ». Cette utopie (au sens de ce qui peut se réaliser, ce qui est possible) : construire un autre monde plus juste, plus humain est commune aux hommes. « Tout ce qui monte converge », disait Thédore Monod.
La tenue lors du 7e forum social et du deuxième forum de la Théologie de la Libération me semble être révélatrice d’une prise de conscience de ce « signe des temps ». Ce royaume est à construire avec d’autres, non chrétiens. Nous pouvons y apporter notre participation et notre espérance chrétienne. Le mouvement altermondialiste évolue et se développe mondialement, certes avec ses hauts et ses bas en France notamment, mais son influence s’accroît de manière positive. Ceci a été mis en évidence lors de la journée d’études en 2007/2008 sur le thème de ” l’utopie et l’altermondialisme”.
On peut retrouver l’analyse des difficultés, des forces et des faiblesses en France du mouvement ATTAC avec l’intervention du jeune chercheur R. Wintrebert mais aussi les perspectives positives du vieux routier altermondialiste qu’est Gustave Massiah.
En référence au thème de notre Assemblée Générale de l’année 2007 (“Faire de nos engagement s dans le monde un chemin de foi”), j’ai envie de te demander comment pour toi tes engagements dans le monde deviennent un chemin de foi.
Au fil du déroulement de ma vie, j’ai le sentiment qu’une foi évaporée, non incarnée dans le monde fait fausse route. C’est un chemin difficile qui est à réinventer aujourd’hui. Jésus nous a donné des pistes (le service du prochian à travers l’image forte du lavement des pieds, le fait souvent difficile d’aimer son prochain, la priorité de se réconcilier avec son frères avant d’aller au temple…), les chemins de foi passent donc par les chemins de vie. Nous sommes libres, responsables et en dialogue dans la prière. L’Esprit nous appelle à construire un monde nouveau. Sur ce sujet, permettez-moi de renvoyer à l’article de l’évêque émérite d’Amiens Jacques Noyer paru dans TC et présent sur le site de NSAE : « Où souffle donc l’Esprit ? ».
Qu’est ce qui a motivé ton désir de te former en théologie ? A la suite de ton cycle d’étude, quels regards nouveaux portes-tu sur ta foi ?
C’est vrai que j’aime dire que je suis passé de la technologie à la théologie pour montrer que tout un chacun peut le faire, la plupart des chrétiens ayant fait ce parcours, d’après une enquête réalisée, en sont très satisfaits. « Un vrai régal » est l’expression qui me reste à l’esprit d’un membre interviewé.
La recherche de l’intelligence de la foi constitue la base recherchée lors de l’entrée en études de théologie, certes, mais aussi très vite se pose la question « comment servir aujourd’hui en théologie ? ».
Il est possible de se former en théologique universitaire dans une faculté de théologie sur place (Paris, Lille, Lyon, Toulouse, Angers, Strasbourg (faculté d’état) ) ou par internet (Strasbourg, Lyon) ainsi que les dominicains qui aussi se lancent et sont en attente de reconnaissance du diplôme canonique.
Durant mes études en théologie à Lille, j’ai adhéré et pris des responsabilité à l’Association pour la Formation Théologique Universitaire des Laïcs (A.For.T.U.L) née en 1978. Un questionnement « existentiel » sur cette association : l’aujourd’hui par rapport à ses origines s’est traduit par un mémoire qui m’a permis de relater l’originalité de cette association : « autogestion de cette formation théologique », ce qui montre assez le dynamisme et la responsabilité des fidèles laïcs chrétiens dans l’esprit de la suite du Concile Vatican II!
Vis-à-vis de la foi, les études en exégèse historico-critique peuvent être perturbantes mais pour moi c’est un chemin vers une foi adulte. Cela m’a permis de décanter, de retrouver l’essentiel du message biblique, de relativiser certaines formes de la tradition qui ont des origines historiques mais aussi d’ouvrir de nouvelles questions et de retrouver les paroles fortes du message. Faire de la théologie aujourd’hui c’est tenter d’adapter le message du Christ à notre temps et de relativiser certaines traditions liées aux contextes historiques successifs.
Mais gardons à l’esprit que la théologie est un outil, même si cette pensée théologique est incontournable, ce n’est pas la foi. Il faut rester humble. La théologie n’est qu’une approximation et elle doit garder en permanence le sens de son inachèvement. Les grandes synthèses du passé sont toutes passées. Il y a donc des théologies et c’est à nous de « construire la théologie de nos pratiques » telle que l’a exprimée l’AG 2007 de NSAE .
Tu as travaillé sur le thème : “l’avenir des laïcs formés en théologie universitaire ; vouloir “servir” en théologie, une utopie ?” Comment penses-tu, toi personnellement “servir” en théologie ?
De fil en aiguille : après l’intelligence de la foi, le deuxième des objectifs de cette association A.For.T.U.L était comme je l’ai souligné de « servir en théologie comme laïc ». Cette question : ” l’avenir des laïcs formés en théologie universitaire : Vouloir « servir » en théologie une utopie ou une espérance ? ” était donc ouverte ! Il n’y a pas une seule réponse mais une multitude de réponses personnelles adaptées au « type » de catholiques que l’on est. C’est ce qui ressort de l’enquête menée : ” Que sont devenus les premiers formés ? “, ont-ils pu «servir » ? Quels sont les conditions nécessaires à ce service ?
De mon point de vue et encore pour faire court, il y a mise en cause de l’ecclésiologie actuelle par son inadéquation à répondre aux besoins (signes des temps) et à prendre en compte les mentalités d’aujourd’hui. « Servir » en théologie pose la question du type d’Eglise que nous voulons.
Un long chemin reste à faire pour que la théologie redevienne un service de tous vers tous après avoir été confisquée longtemps par ceux qui en ont fait un pouvoir. De nombreux croyants se forment en théologie universitaire ou sur le terrain (Action Catholique), ils sont maintenus dans un rôle subalterne mais l’avenir de l’Eglise passe par des laïcs formés et adultes.
« Servir » en théologie c’est pour moi : devenir adulte dans la foi, ouvrir de nouveaux chantiers de résistance pour envisager et créer des déplacements. Démystifier, tenter de discerner ce qui est important, relativiser, prendre conscience, comprendre le contexte historique actuel : la stratégie de restauration que nous subissons depuis la fin de Vatican II est associée à cette crainte d’aller jusqu’au bout de la réflexion de chrétiens progressistes. La formation théologique, c’est donc un bel outil de réflexion sur l’ecclésiologie pour comprendre par exemple pourquoi les belles paroles de Vatican II ne se concrétisent pas !
Vaste chantier, mais là les ouvriers sont potentiellement nombreux car la théologie est aujourd’hui accessible à tous. Ce qui constitue une grande espérance !
Qu’est-ce qui t’a amené à adhérer à NSAE ?
Cette adhésion est le fruit d’un cheminement : comment dépasser la simple critique non constructive envers son Eglise ? J’ai refusé de « partir sur la pointe des pieds ». C’est par l’Eglise que j’ai reçu la foi et je considère que l’institution reste nécessaire.
Comment faire alors ?
Il est possible, grâce à NSAE, aux réseaux du Parvis, et au mouvement international « Nous Sommes Eglise » de travailler à l’avènement d’une Eglise « autre »: c’est une véritable espérance !
Nos responsables dans l’Eglise ne nous consultent pas, les structures de dialogue, d’échanges n’existent pas, il n’y a pas appel au « sensus fidelium » (le “sens des fidèles”). Ils ne prennent pas leurs responsabilités face à la crise actuelle. La plus grande part de leur énergie est consacrée au maintien du statu quo des structures tridentines de la chrétienté (2) alors que le monde bouge.
Il nous faut devenir des chrétien(ne)s adultes dans notre relation à notre Eglise. Notre expérience militante syndicale, politique, associative et culturelle dans notre pluralité nous montre que seul un engagement collectif – ici ecclésial – peut permettre d’espérer faire « bouger » et de ne pas tomber dans une forme de désespoir qu’entraîne une vision individualiste.
Même si la situation ecclésiale actuelle est bloquée à court terme, nous avons le devoir et la responsabilité de réagir pour tenter de montrer qu’une Eglise « autre » est possible. NSAE semble être l’un des lieux où émerge cette Eglise « d’en-bas ». Ce courant d’Eglise, en réseau national et international, me semble porteur d’espérance et correspond à mon attente en tant que catholique : une Eglise plus évangélique.
Une autre Eglise est-elle possible pour toi ? Si oui, quel visage lui donnerais-tu ?
La question se résume à : quelle Eglise voulons-nous ? Prenons conscience de ce que nous vivons une époque de transition : nous allons d’une manière incontournable vers une Eglise post-tridentine et même post-vaticane, mais aux contours non encore définis. Notre responsabilité consiste à devenir acteurs de ce passage, de pouvoir exprimer qu’une Eglise « autre » est possible, recherchant toujours à être plus évangélique, cela dépend de nous. Ouvrir des espaces de réinvention, quel programme ! Notre engagement ne peut se faire qu’en lien avec sa dimension internationale. “Nous sommes Eglise” cité plus haut est une chance à saisir.
Pour finir, reprenons à notre compte les paroles prophétiques suivantes et mettons-les en pratique : « N’ayez pas peur » (2), « tous responsables dans l’Eglise ? » (3) pour que cette Eglise « autre », plus évangélique vienne !
Propos recueillis par Christophe Breysacher en décembre 2008.
(1) Structures héritées du Concile de Trente, le dix-neuvième concile œcuménique reconnu par l’Église catholique romaine. Convoqué par le pape Paul III en 1542, en réponse aux demandes formulées par Martin Luther dans le cadre de la Réforme protestante, il débute le 13 décembre 1545. Il se déroule en dix-huit ans, sur vingt-cinq sessions, cinq pontificats ( Paul III, Jules III, Marcel II, Paul IV et Pie IV ) et trois villes. En réaction aux progrès de la Réforme protestante, il définit le péché originel, la justification, une autorité de la Bible spécifique au catholicisme romain et confirme les sept sacrements, le culte des saints et des reliques ainsi que le dogme de la transsubstantiation. Sur le plan disciplinaire, il crée les séminaires diocésains, destinés à former les prêtres. Trente est l’un des conciles les plus importants de l’histoire du catholicisme ; il est le plus abondamment cité par le concile Vatican II. L’historienne Régine Pernoud présente ce concile comme la coupure entre l’Église médiévale et l’Église des temps classiques
(2) Jean-Paul II en 1978.
(3) Synode des évêques de France en… 1973 !