Femmes et Eglise, deux mots qui se repoussent ?, par Anne Soupa, présidente du “Comité de la jupe”
Oui, à la suite des propos de Mgr André Vingt-Trois sur l’admission de femmes au ministère de lecteur, nous avons porté plainte devant l’Officialité de Paris. Nous l’avons fait parce que l’offense subie était insupportable. Des excuses ont été faites, la page est tournée (lire La Croix du 5 et du 8 décembre) . Mais cet incident est riche en enseignements. Beaucoup ont pris leur plume. Lettres ouvertes, missives personnelles ou collectives, menaces de «grève des femmes». Nous sommes heureuses que notre démarche ait été décisive. Et nous croyons que si elle a impressionné et s’est acquis des suffrages, c’est d’abord en raison de son caractère ecclésial.
En effet, elle s’appuie sur cette recommandation de Jésus d’exercer, lorsque la communion est mise en péril, la correction fraternelle dont l’Église offre le privilège à tout baptisé. Elle n’entame pas l’unité, mais au contraire, elle la régénère.
Mais – et le plus important est là – l’ampleur des réactions nous appelle à réfléchir, à partir de la question de la femme. D’où vient que tant de gens se soient plaints ? Que tant de femmes aient pensé «Trop, c’est trop» ? Malaise dans l’Église. Certains aimeraient faire croire que la responsabilité en revient aux seules femmes, qui seraient en mal de reconnaissance… Quelle subtile manifestation du machisme ordinaire ! C’est tout l’équilibre des relations hommes-femmes dans l’Église qui est à reconsidérer : lorsqu’un membre du corps souffre, tout le corps souffre, dit saint Paul.
L’Église est largement composée de femmes : dans le service liturgique, dans la catéchèse, dans les sphères de la formation, dans les aumôneries. Leurs capacités n’ont rien à envier à celles des hommes et les défauts des uns et des autres sont, sans la moindre intervention de quotas, à leur naturelle parité… Mais les responsabilités – ministères ordonnés et institués, prédication, participation aux synodes de l’Église “universelle” (!) et aux conclaves – sont, elles, exclusivement masculines. Que peut penser aujourd’hui une femme – et même un homme – au spectacle de ces somptueuses assemblées vaticanes où les robes tiennent lieu de jupes, sinon que leur Église est mutilée de sa moitié ? Où se tenir, alors ? Rester muets et parier que la foi sera la plus forte ? Ou bien déserter, non sans honte ni tristesse, et « sur la pointe des pieds », comme on l’a trop souvent constaté. Bientôt les religieuses apostoliques aussi auront disparu du paysage ecclésial. Se demande-t-on pourquoi ? Qui fera l’histoire de cette monstrueuse et inutile hémorragie féminine, entamée au XXe siècle et que rien ne freine aujourd’hui ?
« Femmes » et « Église » , sont-ce là deux mots qui se repoussent ? La première conséquence de cette désertion est que l’Église s’est appauvrie de forces qui auraient dû lui être acquises, car Jésus a appelé les femmes autant que les hommes. Il faut en effet un bel entêtement pour croire que la masculinité de Jésus prive « de facto » les femmes de responsabilités éminentes dans son Église.
Comme beaucoup a déjà été dit sur cette obstination à ne pas voir les bienfaits de la différence (pourtant prônée), j’en viens à l’autre conséquence, bien plus grave, de cette confiscation masculine. Aujourd’hui, dans une société où droits et devoirs sont identiques pour tous, l’Église ne peut pas, de son seul hémisphère masculin, assurer la transmission de l’Évangile. Qu’importent alors « la cause des femmes », la reconnaissance de leur identité et de leurs mérites, ou même la réparation des dommages subis, dès l’instant où c’est le message évangélique, ce bien commun que nous chérissons tous, qui risque de se perdre ? Pourquoi refuser d’ouvrir les yeux ? Comment ne pas vouloir tout mettre en œuvre pour se prémunir d’un tel malheur ? Hommes et femmes doivent aujourd’hui, poussés par l’amour du Christ, dans l’honnêteté et l’humilité, se hâter de chercher les conditions d’une transmission féconde de l’Évangile. Si « vivante est la Parole », elle doit jaillir d’une Église vivante, constituée, comme s’en réjouissait déjà l’auteur de l’ Épître à Diognète (IIe siècle), d’hommes et de femmes « se conforment aux usages locaux pour (…) la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires (…) de leur république spirituelle ».
Voilà les réalités actuelles sur lesquelles le groupe que nous avons spontanément constitué va tenter de réfléchir. Puisque nos évêques disent avoir à cœur d’entendre ce que les femmes peuvent apporter à la transmission de l’Évangile, pourquoi ne pas en faire un thème de la prochaine Assemblée de leur Conférence ? Il y a si longtemps que la question n’a pas été à l’ordre du jour… Nous sommes évidemment prêtes à apporter à ce projet notre contribution, même modeste.
L’Église ne peut pas, de son seul hémisphère masculin, assurer la transmission de l’Évangile.