Un conte de Noël : l’étoile d’or-la Folie
Écoute bien ça mon frère ! Ce matin-là, Monsieur M’Bo Amadé a vu la Vierge.
Il était cinq heures quarante cinq. Il attendait son bus comme tous les matins. Comme tous les matins, il songeait à cette épouse qu’il avait laissée depuis trop longtemps au pays. Belle et grasse, elle s’occupait à merveille de ses enfants, elle préparait le mafé comme aucune femme jusqu’à présent ne l’avait préparé et, Inch’ Allah, elle faisait toujours ses prières.
La Vierge, elle s’était présentée à Amadé dans la nuit noire de cet hiver, quand surgissent tout à coup les petits vents froids tapis là, dans un coin. Elle était toute auréolée de petites lumières d’or.
Voilà comment ça s’est passé :
Monsieur M’Bo Amadé attendait donc le bus, sous son arrêt de bus. Arrêt La Folie. Il était encore dans les brumes de son trop court sommeil. Soudain devant sous ses yeux, deux longs fils venus du ciel descendirent à quelques mètres au dessus du sol. Au bout de ces fils, une barre horizontale. La barre s’arrête de descendre et déroule un long boubou de lin blanc, comme un écran. Et alors, la Vierge apparait sur le boubou. Comme je te le dis, mon frère. La Vierge ! Et alors elle lui dit :
« – Amadé ! Ô Amadé ! va au-delà de la ville, et laisse-toi guider par l’Etoile. Va et écoute la rumeur des hommes. Écoute la nouvelle.
– Mais, Madame, je descends à Sevran-Baudottes RER !…»
En fait, il bredouillait, Amadé. Il était perdu. Il ne comprenait pas vraiment ce qui lui arrivait. Imagine ! le pauvre ! La sainte vierge qui te tombe dessus comme ça au petit matin et frrrrtt !… qui s’envole et disparait dans la nuit.
Monsieur M’Bo a retiré son bonnet, il s’est gratté le crâne. Il a baissé la tête. Il n’a rien dit.
Alors, une étoile d’or est venue se poser au dessus de lui. Elle s’est mise à gigoter, à tortiller. Et puis elle a commencé à s’éloigner. Amadé l’a suivi. Il s’est enfoncé dans la nuit.
Il est allé au-delà de la ville.
D’habitude, son bus l’emmène tout droit devant lui et chaque matin il le dépose à son travail. Ce matin-là, Amadé s’est laissé guider, il a pris un chemin de traverse.
En marchant dans la nuit, il revenait à lui. Il songeait à ce qui venait de se passer, sans trop comprendre qui était venu le visiter. Va savoir : il avait vu la Vierge ? Mais c’était peut-être un ange, un messager ailé, ou encore un clip céleste. Peu importe : quand faut y aller, faut y aller. Au dessus de sa tête, l’étoile continuait sa route et il la suivait.
Il songeait. Il songeait à son épouse bien-aimée qui était au pays, à ses enfants dont les cris et les piaillements là-bas s’étaient envolés pour lui tomber directement chaque soir dans son oreille, jusque dans son cœur. Et puis il pensait aussi à ce nouveau patron qu’il avait depuis quelques jours, à toutes ces palettes qu’il devait charrier du matin au soir, à ce mandat -bien maigre ce mois-ci- qu’il enverrait au pays. Il sentait même parfois un grand vide en lui-même, se demandant si tout ce combat qu’il menait depuis tant d’années valait vraiment le coup, s’il n’aurait pas dû rester tranquillement chez lui à regarder passer les ânes.
Son cœur clandestin, pensait-il, était balayé par les vents, c’était une sorte de corridor où rien ne tenait, rien ne restait, rien, sinon le chagrin et la peur.
L’étoile d’or était maintenant haute dans le ciel et Amadé était loin. Il avait marché longtemps, des jours et des nuits. Pendant sa course, l’étoile n’avait cessé de se tortiller afin de se rappeler à son bon souvenir. Soudain, elle s’arrêta, puis amorça un mouvement de descente. Elle s’approcha d’Amadé, passa sous un porche et vint se poster au dessus de la porte d’un immeuble. Amadé la suivait toujours. Il pénétra dans le hall, se laissa entraîner dans les caves et c’est là qu’il entendit un vagissement. Un tout petit vagissement.
Il saisit l’étoile qui se laissa bien volontiers attraper, la mit au creux de sa main comme dans un écrin puis la glissa au fond de sa poche. Il se laissa alors guider par ce bruit, cette « rumeur d’homme ». Il approcha d’une porte, l’entrouvrit. C’est alors, qu’il vit la chose la plus incroyable qui lui fut donnée de voir, mon frère: dans un fatras de vêtements, de sacs en plastique, de bidules en tout genre, une femme était là, allongée, à moitié somnolente, la tête posée sur son bras étendu. Elle tenait quelque chose tout près de son ventre. Une chose qui vagissait tout doucement. Amadé se dit que c’était le jour des grandes visions et que décidément les esprits ne l’avaient pas ménagé aujourd’hui. Un bébé ! Un bébé dans cette cave! Le premier réflexe d’Amadé fut aussitôt de se retirer dans le couloir et de refermer la porte. Il se gratta le crâne, baissa la tête, prononça dans le fond de sa gorge quelques paroles dont il a le secret, puis revint sur le seuil et resta planté là à contempler ce spectacle qui l’étonnait tout autant qu’il le ravissait.
La mère – car c’était, vous l’aurez compris, son enfant – ouvrit les yeux et se laissa envelopper par le regard d’Amadé.
– Que faites-vous là madame ? demanda gauchement ce dernier.
– Je viens d’accoucher, répondit-elle à peine.
– Dans cette cave ?
Elle ne répondit pas.
– Vous êtes toute seule ?
– Youssouf, il est allé chercher à manger chez Liddl.
Amadé s’approcha, s’accroupit près de la femme, puis il resta comme ça, silencieux.
Youssouf entra, un petit sac en plastique au bout des doigts. Il ne semblait ni effarouché ni même surpris par la présence d’Amadé.
– Tiens, Meryem, c’est pour toi, je t’ai apporté tes gâteaux que tu aimes : des roulés à la confiture.
– Oh merci mon Youyou.
– Et pour le dîner, ce soir, j’ai pris une boite de raviolis.
– Tu as pu prendre des yaourts ?
– Ben non, avec les roulés ça faisait trop…
Meryem n’eut pas la force d’aller plus loin.
Amadé farfouilla dans sa poche, puis il s’agenouilla devant l’enfant et déposa l’étoile d’or. Quand il eut fini son offrande, il se tourna vers Youssouf et glissa dans sa main un billet.
– Tiens, pour les yaourts.
Amadé se dirigea vers la porte. D’un petit signe de tête, il salua ses hôtes, puis il sortit. Le jour s’était levé. La nouvelle de cette étrange naissance s’était propagée dans toute la cité et même au-delà.
Une petite montagne près de la porte s’était formée, constituée de toutes sortes de choses utiles pour un bébé et d’autres totalement inutiles, comme de la myrrhe et de l’encens.
Amadé sentit dans son cœur comme un grand vent chaud, et qui venait de loin.
Auteur : Laurent Seyral