Les Etats-Unis décrivent leur futur affaiblissement
L’ère Bush est terminée. Domination unilatérale, obsession du terrorisme, volonté de remodeler le Moyen-Orient, ces trois piliers de la politique étrangère des Etats-Unis depuis 2001 ne sont clairement plus en vigueur dans l’analyse stratégique qui se fait jour à Washington. Le National Intelligence Council – organe synthétisant les analyses géopolitiques des services de renseignement américains – estime qu’en 2025 « les Etats-Unis ne seront plus que l’un des principaux acteurs sur la scène mondiale, même s’ils resteront le plus puissant ».
Cette observation est un des points clés du rapport publié le 19 novembre par cet organisme et qui vise à décrire les paramètres qui caractériseront la société planétaire en 2025 ( Global Trends 2025). Un tel rapport est établi tous les cinq ans par le Council pour éclairer le cadre dans lequel s’inscrit la politique étrangère des Etats-Unis. Le document décrit un monde instable mais multipolaire, où « la contraction des capacités économiques et militaires des Etats-Unis pourrait les pousser à un arbitrage difficile entre les priorités intérieures et celles de la politique étrangère ».
Cette nouvelle vision correspond assez bien au discours politique de Barack Obama. Le rapport a cependant été élaboré bien avant son élection, durant un travail de consultation d’experts et de discussions qui a duré plusieurs mois. Etonnamment vivant, le document décrit les hypothèses qui, selon lui, définiront le monde en 2025 :
Glissement du pouvoir économique de l’Occident à l’Orient : la Chine deviendrait l’acteur économique majeur. Avec elle, l’Inde, la Russie et le Brésil pèseraient autant que les pays de l’actuel G7. Les pays du golfe Persique seraient renforcés du fait de la hausse du prix du pétrole.
Pic pétrolier et pénurie d’eau : sans employer l’expression, le document raisonne clairement sur l’hypothèse d’un prochain pic de production du pétrole et du gaz. Le déclin des ressources en hydrocarbures qui s’ensuivra entraînerait un bouleversement du système énergétique. Or « les nouvelles technologies énergétiques ne seront probablement pas commercialement viables et répandues en 2025 ». En particulier, « la capacité de l’énergie nucléaire à couvrir la demande serait virtuellement impossible ». Par ailleurs, la pénurie d’eau touchera une cinquantaine de pays.
Démographie contrastée : la population mondiale continuera de croître jusqu’à 8 milliards d’humains en 2025, mais avec de forts contrastes. Le rapport complète l’image classique d’un Occident et d’une Russie vieillissant par l’observation du vieillissement proche de la Chine (à partir de 2015) ou de l’Iran. Il souligne le contraste démographique entre l’Inde du Sud et des métropoles à la faible croissance et une Inde du Nord très féconde.
Terrorisme en retrait, Etats faibles, nouveaux dangers : le terrorisme ne disparaît pas, mais son importance est relativisée. Le rapport s’inquiète davantage de la multiplication des Etats faibles et des agents non étatiques, ainsi que des tensions nouvelles créées par la concurrence pour l’accès à l’eau ou à l’énergie. Il souligne aussi que la prolifération nucléaire est redevenue une préoccupation de première importance.
Le risque d’un déséquilibre climatique irréversible : le rapport observe que le changement climatique « devrait exacerber les pénuries de ressources ». Il aurait aussi un effet majeur sur la production agricole. Dans un scénario « surprise », les auteurs reprennent l’hypothèse de « l’effet de seuil », c’est-à-dire l’idée que l’émission de gaz à effet de serre pourrait dépasser un seuil tel que le climat ne pourrait plus retrouver son équilibre.
Très intéressant, ce rapport l’est aussi par ses limites, en ce qu’il pense de manière conventionnelle sur des questions cruciales. Il prend ainsi pour acquis la poursuite d’une croissance élevée, alors qu’il insiste sur les contraintes énergétiques, climatiques et sur l’eau, contraintes dont il ne montre pas comment elles pourraient être desserrées.
L’analyse de la crise écologique se limite au changement climatique, ignorant la crise de la biodiversité et la dégradation des systèmes océaniques. De même, l’agriculture est traitée de façon très marginale, alors même que le document observe que, si l’urbanisation se poursuivra, les populations rurales resteront très nombreuses. Mentionnant le phénomène majeur de l’inégalité sociale au sein des pays – et notamment des Etats-Unis -, le rapport n’en tire aucune conséquence, comme si cela ne devait pas être un facteur supplémentaire de tension.
Hervé Kempf
Source : Le Monde, édition du 23 novembre 2008