Vatican: une unité cher payée (Source : L’Express)
En s’apprêtant à réintégrer les intégristes, Benoît XVI alimente la polémique et donne une inflexion ouvertement conservatrice à son pontificat. Ce geste-là risque de rester en travers de la gorge de bien des catholiques français et d’une partie de leurs évêques.Au nom de l’unité de l’Eglise – et parce qu’il veut aller vite en raison de son grand âge – Benoît XVI est sur le point d’ouvrir grands les bras aux intégristes, des chrétiens anti-modernistes, anti-juifs et musulmans, anti tout ce qui n’est pas catholique ni en accord avec l’ordre moral, version XIXeme siècle. Dans le quarteron de prélats bientôt blanchis se trouve même un négationniste des chambres à gaz, l’évêque britannique Richard Williamson. Une réconciliation familiale cher payée.
D’autant que les Lefebvristes retranchés dans la Fraternité Saint Pie X n’ont, pour l’heure, rien lâché sur ce qui reste à leurs yeux l’essentiel: le refus du concile Vatican II (1962-1965). Ces trois années de réunions intensives entre évêques du monde entier constituèrent un moment historique dans l’histoire du catholicisme moderne, puisque c’est à l’issue de cette longue parenthèse de réflexion que l’Eglise prit ouvertement le parti de s’ouvrir sur le monde et d’instaurer un dialogue avec la société contemporaine.
Les brebis sulfureuses de feu Monseigneur Lefebvre ont-elles fait secrètement la promesse au pape de ne pas contester ses propos ni d’attaquer à coups de boutoir les fondements de cette Eglise post-Vatican II, comme elles s’y adonnent voluptueusement dans leurs cénacles confidentiels ? Peut-être. Mais sur le fond, Benoît XVI ramène au bercail des fidèles en totale rupture idéologique avec l’Eglise d’aujourd’hui. Curieuse unité !
Une négociation secrète
Ce “grand pardon” surprend d’autant plus que les intéressés se sont distingués, ces deux dernières années, par leur intransigeance. En juin dernier, Monseigneur Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité Saint Pie X, avait même refusé une sorte de “protocole d’accord” proposé par Benoît XVI en préalable à la levée des excommunications d’évêques. Officiellement, du moins. Dans les couloirs du Vatican, on sait que le pape possède une lettre que lui a adressé à cette époque Mgr Fellay. Son contenu n’a jamais filtré, mais, selon toute vraisemblance, la missive évoquait les concessions que les intégristes étaient prêts ou non à consentir. Il n’est donc pas impossible qu’une négociation secrète se soit nouée ces derniers mois.
Une clé, plus personnelle celle-là, permet aussi d’analyser le geste de Benoît XVI. Lorsqu’il était préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Joseph Ratzinger fut chargé par Jean-Paul II de ramener à la raison le réfractaire évêque Marcel Lefebvre. En vain, comme l’on sait. Ratzinger ne s’est jamais remis de n’avoir pas pu ou su éviter le schisme de 1974, vécu comme “une blessure personnelle”, d’après ses proches. Son élection lui a donné l’occasion de clore enfin ce chapitre.
Reste que cette réconciliation tonitruante offre de solides arguments à ceux qui voient dans Benoît XVI un pape ontologiquement conservateur. Depuis son élection, le pontife, grandi dans une foi très traditionnelle, n’a eu de cesse d’opposer le dogme aux réalités sociales d’aujourd’hui. Les divorcés n’ont jamais été aussi loin de pouvoir communier, les homosexuels, d’être écoutés, et les prêtres mariés, de trouver leur place dans l’Eglise. Pendant ce temps, les catholiques attendent toujours une encyclique sociale – texte pontifical – promise depuis des mois.
Si les seules ouvertures que Benoît XVI est prêt à envisager sont à l’image de cette réconciliation surprise avec les intégristes, ses fidèles encore attachés à l’esprit de Vatican II ont de quoi avoir le blues.
Auteur : Claire Chartier
Source : L’Express, 23/01/2009