Combattre la crise de l’eau, une urgence pour l’ONU
Une crise planétaire des ressources en eau menace. Si rien n’est fait, le développement humain, économique et la stabilité politique de nombreuses régions du monde seront en péril. Tel est en substance le message des Nations unies, qui publient, jeudi 12 mars, le troisième rapport mondial sur les ressources en eau, à quelques jours du Forum mondial de l’eau, qui rassemblera quelque 15.000 personnes à Istanbul, à partir du 16 mars.
Sous l’égide de l’Unesco, vingt-six agences de l’ONU ont travaillé sur ce document, publié tous les trois ans avant chaque forum. Pour la première fois, le ton est alarmant. “En dépit du caractère vital de l’eau, le secteur souffre d’un manque chronique d’intérêt politique, d’une mauvaise gouvernance, et de sous-investissement, affirme en préambule du texte Koïchiro Matssura, le directeur de l’Unesco. Il faut agir d’urgence pour éviter une crise globale.”
Démographie
La croissance de la population mondiale, de 80 millions de personnes par an, augmente les besoins en eau de 64 milliards de mètres cubes chaque année. Facteur aggravant, cette croissance est concentrée dans les villes, dont l’approvisionnement sera l’un des grands défis à venir.
Besoins
La part de l’eau potable dans les besoins reste cependant faible. C’est pour l’agriculture, la production d’énergie et le développement économique que les exigences sont les plus importantes. En matière agricole, l’évolution des habitudes alimentaires pèse lourdement. “La croissance économique dans les pays émergents conduit à l’apparition d’une classe moyenne consommatrice de lait, de pain, de viande“, relève le texte. La production d’un kilo de blé nécessite de 400 à 2.000 litres d’eau, selon les régions, et celle d’un kilo de viande de 1.000 à 20.000 litres.
Industrie
L’énergie est le deuxième secteur utilisateur. La lutte contre les émissions de gaz à effet de serre stimule le développement de l’hydroélectricité, qui assure aujourd’hui 20 % de la production électrique mondiale, et des agrocarburants. Or 2.500 litres d’eau sont nécessaires à la fabrication d’un litre de carburant “vert”. Une ressource abondante est aussi indispensable au refroidissement des centrales thermiques et nucléaires. Les entreprises, en particulier dans les secteurs du textile, de l’électronique, de l’agroalimentaire, des mines et de la métallurgie, ont elles aussi besoin de grandes quantités d’eau pour fonctionner.
Changement climatique
Dans le même temps, les régimes hydrologiques sont déréglés par le réchauffement. Les modèles climatiques s’accordent à prévoir des sécheresses plus longues et des inondations plus nombreuses. Dans les régions alimentées par des glaciers ou des neiges, la fonte est plus précoce, rendant l’eau disponible au printemps et non en été, au plus fort des besoins.
Ecosystèmes dégradés
De multiples facettes de la crise de l’eau sont visibles. Les conflits entre utilisateurs, les tensions entre pays se multiplient. Les écosystèmes, surexploités, se dégradent. “Dans certaines régions, la réduction des stocks et la pollution ont atteint un point de non-retour“, affirment les auteurs du rapport. Certains grands fleuves, comme le Colorado, le Nil, ou le fleuve Jaune, n’atteignent plus la mer. L’assèchement des zones humides, la baisse des nappes souterraines, la pollution par les rejets industriels, agricoles, ou urbains, la prolifération d’algues nocives n’ont pas seulement des conséquences graves pour la biodiversité, elles hypothèquent la capacité des écosystèmes à fournir une eau saine aux générations futures.
Impact économique
Les sécheresses survenues en Australie, en Chine, en Californie, aboutissent à une limitation de la production agricole et à des pertes économiques. Au Kenya, l’impact combiné de la sécheresse et des inondations subies entre 1997 et 2000 a été évalué à 4,8 milliards de dollars (3,8 milliards d’euros), soit 16 % du produit intérieur brut (PIB).
Santé
La crise de l’eau a des conséquences sanitaires dramatiques. Dans les pays en développement, 80 % des maladies sont liées à l’eau. Elles causent 1,7 million de morts par an. L’absence d’accès à une eau saine, et surtout le déficit d’infrastructures d’assainissement sont en cause. L’épidémie de choléra au Zimbabwe, qui a fait plus de 4.000 morts depuis août 2008, due à la déliquescence des infrastructures hydriques du pays, en est une illustration.
Enjeu politique
“Après des décennies d’inaction, les problèmes sont énormes et ils s’aggraveront s’ils ne sont pas traités, affirme le texte. Mais si les défis sont importants, ils ne sont pas insurmontables.” Le premier impératif est de cesser de penser la ressource comme inépuisable, et de refonder une gestion jusque-là “non durable et inéquitable“. Il faut “utiliser mieux ce que nous avons“.
Le déficit de financement des infrastructures (d’approvisionnement, d’assainissement ou de stockage) a longtemps été considéré comme le principal obstacle. “Les ressources consacrées à l’eau sont minuscules comparées aux sommes investies dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ou la crise financière“, constatent les auteurs. Selon eux, “un meilleur équilibre” devrait être trouvé entre la lutte contre le changement climatique et l’adaptation à ses effets. Cependant, c’est la prise de conscience politique qui fait surtout défaut. “L’eau devrait être au coeur des politiques agricoles, énergétiques, de santé, d’infrastructures, d’éducation, affirme Olcay Unver, coordinateur du rapport. Les gestionnaires de l’eau sont convaincus, mais ce ne sont pas eux qui prennent les décisions. C’est aux chefs d’Etat et de gouvernement de s’emparer du sujet.”
Les pénuries à venir
2030
A cette date, 47 % de la population mondiale vivra dans des régions exposées aux pénuries.
Secteurs
Agriculture : 70 % des volumes consommés (jusqu’à 90 % dans certains pays en développement).
Energie et industrie : 20 % des besoins.
Eau potable : 10 %.
Inégalités
Si la tendance se poursuit, 90 % de la population mondiale aura accès à l’eau potable en 2015, avec de très fortes disparités régionales. Quelque 340 millions d’Africains en sont privés. A la même échéance, 2,4 milliards de personnes ne disposeront pas d’un service d’assainissement minimal.
Dégradation
Un dollar investi dans les infrastructures d’eau et d’assainissement rapporte de 4 à 12 dollars (de 3 à 9,5 euros).
Les pertes économiques dues au déficit d’infrastructures en Afrique sont estimées à 28,4 milliards de dollars par an (22,4 milliards d’euros). Celles liées à la dégradation des ressources en eau au Moyen-Orient et en Afrique du Nord sont évaluées à 9 milliards dollars par an (7 milliards d’euros).
Sur le Web : www.worldwatercouncil.org
Auteur : Gaëlle Dupont
Source : Le Monde, édition du 12.03.09