NOUS SOMMES (AUSSI) L’EGLISE, par Karim Mahmoud-Vintam
Bien au-delà d’une certaine mouvance généralement et paresseusement qualifiée de « contestataire », un nombre croissant de chrétiens s’interrogent sur la pertinence de leur affiliation à l’Eglise catholique. A vrai dire, la plupart ne s’étaient même jamais posé la question : ils étaient catholiques comme ils sont Français (ou Allemands ou Béninois, peu importe !), par héritage ou par convention, sinon par hasard. A travers ses propos littéralement planants (sur la contraception et le SIDA) et ses actions de réconciliation unilatérale (ces pauvres intégristes[1] n’avaient apparemment rien demandé…), sans même parler de l’affaire de Ratisbonne jadis ou de Recife naguère, le pape Benoît XVI leur offre avec une insistance pour le moins singulière les raisons de se poser la question.
Faut-il pour autant quitter le navire en toute hâte, bruyamment ou sur la pointe des pieds, selon le tempérament, le degré d’exaspération ou de désespoir de chacun ? La réponse sera sans doute aisée pour celles et ceux qui se considèrent aujourd’hui catholiques par convention — culturelle ou familiale — ou par hasard. Mais qu’en sera-t-il pour tous ces autres chrétiens de confession catholique par choix, par projet ? Imagineraient-ils par exemple un seul instant renoncer à leur nationalité parce qu’ils seraient en désaccord, même de façon radicale, avec le chef de l’Etat ou le Gouvernement du moment ? Sans doute est-il plus essentiel que jamais de dire — et de faire entendre — que le Pape, quel qu’il soit, ne saurait parler au nom de tous les catholiques quand il quitte son rôle de garant de l’unité de l’Eglise pour s’aventurer dans l’énonciation d’une « loi naturelle » introuvable dans les textes canoniques comme dans les faits (alors que dans le même temps les défis sociaux, économiques, écologiques, culturels et spirituels s’accumulent) ; quand il déserte son rôle de gardien de la foi du Peuple de Dieu pour affirmer comme vrais et intangibles les fruits de constructions théologiques conjoncturelles et précaires qui font débat parmi les théologiens eux-mêmes ; quand il abandonne son rôle de pasteur universel et d’inspirateur du peuple de Dieu — que nul catholique n’aurait idée de lui dénier — pour endosser la robe du monarque de droit divin, sourd aux préoccupations réelles de ses fidèles, hermétique à l’idée même d’entrer dans un dialogue bienveillant et amoureux — ce qui n’a jamais signifié complaisance — avec les femmes et les hommes de son temps. Sans doute est-il plus essentiel que jamais de dire — et de faire entendre — que nous sommes (aussi) l’Eglise, et qu’en dehors des quelques points précédemment évoqués, nulle autorité n’a le droit de parler en notre nom, de brader au passage la crédibilité de notre foi aux yeux des non-catholiques, et d’obscurcir l’annonce de l’évangile de Jésus Christ qui demeure le fondement le plus sûr de notre foi.
Quousque tandem abutere, Benedicte…
Une autre question agite un nombre croissant de chrétiens de confession catholique : faut-il réclamer la démission de Benoît XVI ? Là encore, on aurait tort de croire qu’il ne s’agit que de groupuscules catholiques « contestataires » — à moins de considérer comme tel un Alain Juppé qui affirmait récemment que « ce pape commence à poser un vrai problème » ! Laissons de côté la légitimité d’une telle revendication pour interroger son opportunité. D’abord, la crise profonde — institutionnelle, politique, morale et spirituelle — que traverse l’Eglise ne date pas de l’élection de Benoît XVI mais bien de celle de Jean-Paul II. C’est sous le pontificat de ce dernier que fut mené le « détricotage » méthodique des acquis du concile Vatican II — qui marqua une tentative inédite d’ouverture de l’Eglise aux préoccupations de son temps et de recentrage de cette même Eglise autour du « peuple de Dieu ». C’est sous son pontificat que fut menée la répression — aussi efficace que discrète — des théologiens qui entendaient interroger librement la foi chrétienne ; orchestrée par le Cardinal Joseph Ratzinger (avant qu’il ne devienne Benoît XVI) alors Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi avec la bénédiction de Jean-Paul II, cette répression eut lieu sur tous les continents (Tissa Balasuriya au Sri Lanka, Hans Küng en Allemagne, Ivone Gebara au Brésil…), et l’on aurait tort de croire que seuls les théologiens dits « de la libération » étaient dans la ligne de mire car ce fut toute l’intelligence de l’Eglise qui fut contrainte à la censure — ou pire encore, à l’auto-censure — au service d’une « restauration » doctrinale et idéologique d’ampleur. C’est sous le pontificat de Jean-Paul II enfin qu’eut lieu la reprise en main méthodique et parfois bruyante des églises nationales (limogeage en France de Jacques Gaillot nommé évêque de Partenia, diocèse du désert algérien disparu au… VIIe siècle ; affaire d’Innsbruck en Autriche en 1995 qui suscita la « requête du Peuple de Dieu » signée en quelques mois par plus de 500.000 personnes en Autriche et en Allemagne ; nomination d’évêques latino-américains ou africains signalés pour leur docilité à l’égard de l’Institution comme des pouvoirs en place, dont l’évêque de Recife est exemplaire…) et le soutien sans faille à des mouvements d’église dont le but affiché n’est pas le service de la société mais son noyautage et sa domination (Opus Dei, Légionnaires du Christ, Communion et Libération…). Benoît XVI, sauf son respect, n’est donc pas « tombé du ciel », et les problèmes actuels dépassent très largement sa seule personne. Demander sa démission ? Soit, mais pour quel successeur après 30 années de « créations » de Cardinaux-électeurs majoritairement acquis aux thèses et orientations vaticanes actuelles ?
La sortie de crise, si elle existe (et elle existe forcément), est ailleurs. La porte est étroite, la voie difficile, le chantier monumental et à certains égards surhumain ; mais il est aussi extraordinairement stimulant, l’essentiel n’étant pas d’arriver à une Eglise parfaite (quel orgueil et quelle naïveté !) mais de cheminer, de trébucher, de se relever, encore et encore, d’un cœur joyeux, d’un esprit confiant, d’une volonté raffermie, en direction d’une Eglise plus fidèle à celui dont elle se réclame, c’est-à-dire au service d’une humanité plus libre, plus juste, plus humaine. Nous sommes (aussi) l’Eglise, et il appartient à chaque chrétien(ne) de construire non pas une autre Eglise, mais une Eglise autre, moins pyramidale/cléricale et plus horizontale/laïque (au nom de l’égale dignité de tous les baptisés, hommes et femmes) ; soucieuse d’approfondir la foi qui la fait vivre et d’en rendre raison avec humilité ; engagée aux côtés de ceux qui souffrent partout où ils se trouvent, au cœur du monde plutôt que devant les autels et les bénitiers ; une Eglise d’hommes et de femmes debout, adultes et responsables de leurs actes comme de leur foi (ce qui devra sans doute nous amener à reconsidérer le baptême des jeunes enfants, pratique inconnue des premiers chrétiens) ; une Eglise soucieuse de revenir inlassablement aux Evangiles, pour interroger encore et toujours le texte et se laisser interroger par lui, en communauté ; une Eglise plurielle où toutes les sensibilités religieuses puissent s’exprimer (car il serait contradictoire et regrettable de renverser un carcan dogmatique pour lui en substituer un autre) et communiquer dans le respect mutuel et la libre recherche, autour de ce point d’unité qu’est la Tradition et dont le Pape est signe et serviteur ; une Eglise rassemblement de communautés diverses, dont la communion est garantie par le collège des évêques en général et l’évêque de Rome en particulier ; une Eglise enfin en communion de pensée et d’action avec tous les hommes et femmes de bonne volonté, quelle que soit leur religion — si tant est qu’ils en aient une !
Une telle métamorphose, n’en doutons pas, déconcertera ou rebutera plus d’un fidèle habitué à recevoir religieusement, d’en haut, le réconfort de ce qu’il faut faire, de ce qu’il faut penser, de ce qu’il faut croire. Mais la crédibilité de l’Eglise et sa fidélité à l’évangile sont à ce prix. Plus que jamais, l’Eglise catholique a besoin de toutes les fois, de toutes les intelligences, de toutes les énergies, de tous ceux, d’où qu’ils viennent, quelle que soit leur histoire ou leur vie, qui ont soif de vérité et de justice, et sont en recherche de la force d’aimer et d’être aimé, cette force qui si souvent nous fait défaut et qui pourtant est la seule manifestation tangible de ce que nous chrétiens appelons Dieu, dans nos vies.
Karim Mahmoud-Vintam
[1] Intégristes qui, soit dit en passant, sont moins à condamner (quoi de plus facile d’ailleurs eu égard à la suffisante bêtise des propos de nombre d’entre eux — sans même parler du négationniste mitré Richardson !) qu’à plaindre pour leur inaptitude foncière à comprendre le monde et, finalement, à y vivre.
Hum… beaucoup de choses étaient inconnues des premiers chrétiens : double nature / trinité / Canon du Nouveau Testament etc. Sans même parler du ministère de communion romain, que vous soutenez pourtant.Faut-il pour autant les rejeter ? Je ne suis pas sûr.
A mon sens, le pédobaptisme est d’abord un engagement des parents : oui, je souhaite, et je m’efforcerai de faire en sorte que, mon enfant reçoive ma foi et soit éduquée dedans. Après cela, apparaît la confirmation, qui permet justement, adulte, d’affirmer que la foi que mes parents (mes éducateurs) m’ont transmis, je l’ai recu et je souhaite continuer à en vivre.
Sans compter que le baptême est signe de l’amour (les protestant disent grâce) de Dieu, quelquesoit l’âge. Enfin, le baptême des enfants à une fonction sociologique, c’est un “rite de passage”, qui n’est pas à négliger. Bien souvent d’ailleurs, les baptêmes d’enfants sont une occasion à saisir pour parler à des gens qui n’ont pas l’occasion d’entendre un message chrétien.