Nous sommes (aussi) l’Eglise, par Karim Mahmoud-Vintam
Bien au-delà d’une mouvance généralement et paresseusement qualifiée de contestataire, un nombre croissant de chrétiens s’interrogent sur la pertinence de leur affiliation à l’Eglise catholique. A vrai dire, la plupart ne s’étaient même jamais posé la question : ils étaient catholiques comme ils sont Français (ou Béninois, peu importe !), par héritage ou par convention, sinon par hasard. A travers ses propos littéralement planants (sur la contraception et le SIDA) et ses actions de réconciliation unilatérale (ces pauvres intégristes[1] n’avaient apparemment rien demandé…), sans même parler de l’affaire de Ratisbonne jadis ou de Recife naguère, Benoît XVI leur offre avec une insistance pour le moins singulière les raisons de s’interroger.
Faut-il pour autant quitter le navire, bruyamment ou sur la pointe des pieds, selon le tempérament, le degré d’exaspération ou de désespoir de chacun ? Imaginerait-on renoncer à sa nationalité pour cause de désaccord, même radical, avec le Pouvoir du moment ? Sans doute est-il plus essentiel que jamais de dire — et de faire entendre — que le Pape, quel qu’il soit, ne saurait parler au nom de tous les catholiques quand il quitte son rôle de garant de l’unité de l’Eglise pour s’aventurer dans l’énonciation d’une loi naturelle introuvable dans les textes comme dans les faits ; quand il déserte son rôle de gardien du dogme — dont le Symbole des Apôtres livre la quintessence — pour affirmer comme vraies et intangibles des constructions théologiques conjoncturelles et précaires qui font débat parmi les théologiens eux-mêmes ; quand il abandonne son rôle de pasteur pour endosser la robe du monarque de droit divin, sourd aux préoccupations réelles de ses fidèles, hermétique à l’idée même d’entrer dans un dialogue bienveillant et amoureux — ce qui ne signifie pas complaisant — avec les femmes et les hommes de son temps. Sans doute est-il plus essentiel que jamais de dire — et de faire entendre — que nous sommes (aussi) l’Eglise, et qu’en dehors des quelques points précédemment évoqués, nulle autorité n’a le droit de parler en notre nom, de brader au passage la crédibilité de notre foi aux yeux des non-catholiques, et d’obscurcir l’annonce de l’évangile de Jésus-Christ qui demeure le fondement le plus sûr de notre foi.
Quousque tandem abutere, Benedicte…
Une autre question agite nombre de chrétiens de confession catholique : faut-il réclamer la démission de Benoît XVI ? Là encore, on aurait tort de croire qu’il ne s’agit que de groupuscules contestataires — à moins de considérer comme tel un Alain Juppé qui affirmait récemment que « ce pape commence à poser un vrai problème » ! Laissons de côté la légitimité d’une telle revendication pour interroger son opportunité. D’abord, la crise que traverse l’Eglise ne date pas de l’élection de Benoît XVI. Sans remonter à Théodose, c’est sous le pontificat de Jean-Paul II que fut mené le détricotage méthodique des acquis du concile Vatican II — qui marqua une tentative inédite d’ouverture de l’Eglise aux préoccupations de son temps et de recentrage autour du peuple de Dieu. C’est sous son pontificat que fut menée la répression — orchestrée déjà par un certain Joseph Ratzinger — des théologiens qui entendaient interroger librement la foi chrétienne (Tissa Balasuriya au Sri Lanka, Hans Küng en Allemagne, Ivone Gebara au Brésil…), et l’on aurait tort de croire que seuls les théologiens dits de la libération étaient dans la ligne de mire car ce fut toute l’intelligence de l’Eglise qui fut contrainte à la censure — ou pire, à l’auto-censure — au service d’une restauration doctrinale et idéologique d’ampleur. C’est sous le pontificat de Jean-Paul II enfin qu’eut lieu la reprise en main méthodique des Eglises nationales (limogeage en France de Jacques Gaillot nommé évêque de Partenia, diocèse du désert algérien disparu au… VIIe siècle ; affaire d’Innsbruck en Autriche en 1995 qui suscita la Requête du Peuple de Dieu signée en quelques mois par plus de 500.000 personnes en Autriche et en Allemagne ; nomination d’évêques latino-américains ou africains signalés pour leur docilité à l’égard de l’Institution comme des pouvoirs en place) et le soutien sans faille à des mouvements dont le but affiché n’est pas le service de la société mais son noyautage et sa domination (Opus Dei, Légionnaires du Christ, Communion et Libération…). Benoît XVI n’est donc pas tombé du ciel, et les problèmes actuels dépassent très largement sa seule personne. Demander sa démission ? Soit, mais pour quel successeur après 30 années de créations de Cardinaux-électeurs majoritairement acquis aux thèses et orientations vaticanes actuelles ?
La sortie de crise, si elle existe (et elle existe forcément), est ailleurs. La porte est étroite et le chantier monumental. Mais il est aussi extraordinairement stimulant, l’essentiel n’étant pas d’arriver à une Eglise parfaite (quel orgueil et quelle naïveté !) mais de cheminer, de trébucher, de se relever, encore et encore, en direction d’une Eglise plus fidèle à celui dont elle se réclame, c’est-à-dire au service d’une humanité plus libre, plus juste, plus humaine. Nous sommes (aussi) l’Eglise, et il appartient à chaque chrétien(ne) de construire non pas une autre Eglise, mais une Eglise autre, moins pyramidale/cléricale et plus horizontale/laïque (au nom de l’égale dignité de tous les baptisés, hommes et femmes) ; soucieuse d’approfondir la foi qui la fait vivre et d’en rendre raison avec humilité ; engagée aux côtés de ceux qui souffrent partout où ils se trouvent plutôt que confite devant les autels et les bénitiers ; soucieuse de revenir inlassablement aux Evangiles, pour interroger encore et toujours le texte et se laisser interroger par lui ; une Eglise plurielle où toutes les sensibilités religieuses puissent s’exprimer (car il serait contradictoire de renverser un carcan dogmatique pour lui en substituer un autre) et communiquer dans le respect mutuel et la libre recherche ; une Eglise rassemblement de communautés diverses, dont la communion est garantie par le collège des évêques en général et l’évêque de Rome en particulier, cheminant en pensée et en action avec tous les Hommes de bonne volonté, quelle que soit leur religion — si tant est qu’ils en aient une !
Une telle métamorphose déconcertera ou rebutera plus d’un fidèle habitué à recevoir religieusement, d’en haut, le réconfort de ce qu’il faut faire, penser, croire. Mais la crédibilité de l’Eglise et sa fidélité à l’Evangile sont à ce prix. Plus que jamais, l’Eglise catholique a besoin de tous ceux, quelle que soit leur histoire, leur origine ou leur vie, qui ont soif de vérité et de justice, et sont en recherche de la force d’aimer et d’être aimé, cette force qui si souvent nous fait défaut et qui pourtant est la seule manifestation tangible de ce que nous chrétiens appelons Dieu, dans nos vies.
Auteur : Karim Mahmoud-Vintam, président de l’association Nous Sommes Aussi l’Eglise, éditeur (Temps Présent Editions, fondé entre autre par Ella Sauvageot, François Mauriac, et Jacques Maritain) et enseignant à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon.
[1] Intégristes qui, soit dit en passant, sont moins à condamner (quoi de plus facile d’ailleurs eu égard à la suffisante bêtise des propos de nombre d’entre eux — sans même parler du négationniste mitré Richardson !) qu’à plaindre pour leur inaptitude foncière à comprendre le monde et, finalement, à y vivre.
Ceci est le texte intégral de la tribune publiée par le quotidien Libération dans son édition du 13 avril 2009 sous le titre “Benoît XVI n’est pas tombé du ciel”.
Cher Président,
J’ai lu attentivement votre article “Nous sommes aussi l’Eglise” publié dans le numéro de Libération du 13 avril 2009. Le titre pouvait faire craindre de se trouver devant un plaidoyer verbeux comme en ont rédigé tant d’évêques.
Bien au contraire, c’est un texte clair qui ne recourt pas à la casuistique, même si certaines phrases peuvent prêter à discussion.
Votre comparaison entre l’appartenance à l’Eglise catholique et la nationalité n’est pas recevable, elle ne le serait que si l’Eglise catholique avait fait table rase de sa doctrine et des dogmes insensés qui la soutiennent et si la liberté de pensée et de croyance était réelle. J’ai été catholique par héritage, ma croyance ayant évolué, je n’adhère plus au Symbole des Apôtres, “quintessence de dogmes” auxquels je ne crois plus.
Je pense comme vous que “la crise ne date pas de l’élection de Benoît XVI. Elle remonte à plusieurs décennies et a pris naissance lors du Concile Vatican II quand, au sein de la Curie et autour d’elle, la stratégie du sabotage de ce concile est née. Je ne vois pas comment peut se réaliser la sortie de crise que vous préconisez. Comment pouvez-vous envisager, à partir de cette Eglise, “de cheminer vers une Eglise plurielle, plus fidèle à celui dont elle se réclame avec :
– les mêmes structures verrouillées dans l’absolutisme total,
– les mêmes individus convaincus du bien fondé de leur défense de la tradition et soutenus par une masse non négligeable de fidèles ?
Comment voulez-vous que l’Eglise catholique avec ses dix-sept siècles d’erreurs assumées, voire revendiquées, avec ses structures complètement inadaptées, puisse accueillir l’Eglise plurielle que vous souhaitez ?
“Renverser le carcan dogmatique”, ne constitue pas une réforme, c’est une révolution qui ne serait possible qu’avec une autre Eglise. Les protestants, avec des perspectives de changement plus limitées, l’avaient compris.
La porte est si étroite, l’ouverture si réduite que je crains qu’il n’y a que ceux qui réclament des réformes de surface, plus politiques que fondamentales, qui pourront s’en satisfaire.
Les autres qui, comme moi, ne veulent plus d’une Eglise qui, au cours de l’Histoire, a trop souvent trahi sa mission, ne peuvent pas se satisfaire de ce passage très aléatoire. Ils veulent une Eglise plus digne, plus ouverte au monde, plus fraternelle et plus inspirée par le message de Jésus.
Je suis d’accord avec vous pour penser qu’au bout du compte, ce sera la crédibilité d’une Eglise plurielle et sa fidélité à l’Evangile qui seront en jeu.
Michel PERRIN