Benoît XVI, un pape « pour penser »…, par Jean Debelle
A défaut de recueillir partout un large soutien, les propos de Benoît XVI ont au moins souvent le mérite de susciter de larges débats, y compris au sein de l’Eglise catholique.
Je crois très utile d’encore revenir à sa réponse à la question sur l’usage du préservatif, question posée dans l’avion, lors de son vol vers l’Afrique.
Deux aspects de la controverse qui a suivi me semblent devoir être approfondis .
– Tout d’abord, la place très (trop) grande accordée dans les médias aux paroles du pape.
Cela est certes inévitable, vu la visibilité de sa fonction ainsi que l’objet de son propos relatif au sexe, matière dont les médias sont friands.
Mais il faut sans cesse le redire.
La Hiérarchie dans l’Eglise n’en est qu’une des composantes, et non la principale.
Elle n’est pas le corps entier, elle n’est pas « le peuple de Dieu ».
Vaste ensemble non formellement structuré, celui-ci ne dispose pas de système particulier de communication qui lui permette d’exprimer son point de vue avec l’audience dont bénéficie le Vatican.
Il faut toutefois se réjouir de constater que beaucoup de voix se sont cette fois fait entendre, même dans l’Eglise, pour contester les récents propos de Benoît XVI sur l’usage du préservatif ; c’est un pas précieux vers une culture de débats ouverte au pluralisme, à l’opposé de toute forme de « pensée unique ».
Vatican II avait d’ailleurs déjà retenu l’importance de l’opinion des fidèles (« sensus fidelium ») dans la « réception » des enseignements du Magistère.
– Un autre aspect – trop peu souligné, à mon sens – retient davantage encore mon attention.
L’Eglise catholique a-t-elle pour mission de se prononcer sur des questions éthiques, et plus particulièrement sur des questions d’éthique sexuelle, ce que les papes font très régulièrement ?
Ma réponse est franchement négative !
Bien sûr, le message chrétien des Evangiles et de la Tradition est porteur de valeurs morales importantes – la justice, la solidarité, la sollicitude à l’égard des plus démunis, la liberté, le respect des personnes, etc… – Mais ce sont là des valeurs universelles, promues depuis toujours par beaucoup de courants philosophiques ou religieux.
Le cœur du message chrétien me semble en amont de cette éthique sociale.
Pour moi, Jésus de Nazareth – et son message – est venu nous révéler le visage de Dieu, un Dieu d’amour tellement soucieux des humains qu’il s’est fait homme et est venu « habiter parmi nous », faisant du coup de toute l’humanité les membres d’une même famille, avec tout ce que cela implique au niveau relationnel, c’est-à-dire avec ces exigences de solidarité, d’amour fraternel, de respect de toute personne quels que soient sa race, son sexe, son statut social.
Quant aux mœurs, notamment celles qui touchent à la sexualité humaine, elles sont très variables dans le temps et l’espace et relèvent de multiples facteurs sociologiques et culturels, sans cesse en évolution.
« Les actions et les comportements que l’amour commande, permet ou recherche, ne relèvent pas de l’objectivité et du général. Ils ne doivent pas être regardés du dehors et jugés abstraitement, mais replacés dans le climat qui les a vus naître, d’où ils tirent leur raison et leur justification. » (Marcel Légaut dans « L’homme à la recherche de son humanité »)
Je ne vois vraiment pas en quoi la Hiérarchie catholique est habilitée à se prononcer là -dessus, sauf à vouloir – très abusivement et très indûment – contrôler, régenter des pratiques privées particulières qui sont du ressort d’une part des collectivités humaines et d’autre part de la liberté et de la conscience individuelles des personnes.
Ce qui s’est passé en 1968 lors de l’encyclique très controversée sur la régulation des naissances – Humanae Vitae – a particulièrement mis en lumière cette intrusion inadéquate et très controversée de la Hiérarchie catholique dans un domaine où elle n’a pas, je pense, de compétence spécifique.
Reste à se demander ce qui amène les Autorités ecclésiastiques – essentiellement des hommes âgés célibataires et censés abstinents – à vouloir ainsi exercer un tel contrôle sur la sexualité humaine.
Enjeu de pouvoir ? Méfiance ancienne et profonde à l’égard de l’humanité , notamment quant à sa manière de vivre la sexualité ?
Sans doute les deux ![1]
Que dire de plus à cet égard que les exigences fondamentales de liberté, de respect, requises dans toute relation.
Cette contestation pourrait sembler futile si l’enjeu réel n’était pas de libérer le message évangélique originel de ce qui lui est étranger et qui finit par l’occulter au point de le rendre de moins en moins crédible à nos contemporains.
Je conclus en citant les propos sévères de ce grand théologien allemand du siècle passé, Karl Rahner, peu suspect d’hétérodoxie : « Cela fait partie de l’histoire tragique et difficile de l’histoire de l’Eglise : dans la pratique comme dans la théorie, celle-ci défendit toujours des maximes morales par de mauvais arguments, découlant de convictions et de préjugés incertains, liés au contexte historique (…). Si l’histoire spirituelle de l’Eglise est si pesante, c’est parce que toujours, ou du moins souvent, elle concerne des questions qui touchent à la vie concrète des hommes, parce que ces maximes erronées qui n’eurent jamais de valeur objective imposèrent néanmoins aux hommes des contraintes que rien dans la liberté des Evangiles ne justifie.»
[1] Cf. à ce sujet « Morale sexuelle et autorité dans l’Eglise catholique . A corps perdu ou accord perdu ?», Feuilles familiales et Editions Vie Ouvrière, 1998, 96 p.
Auteur : Jean Debelle, de la paroisse Libre de Bruxelles
Source : Le Soir de Bruxelles, 12 avril 2009