Les intouchables indiens : grands oubliés de Durban, par Ram Etwareea
Vif succès diplomatique pour le gouvernement indien à Durban II. Négocié depuis plus d’un an, finalisé in extremis vendredi dernier et approuvé de façon précipitée mardi 21 avril par les 140 pays présents à la Conférence sur le racisme à Genève, l’accord ne fait aucune référence au système en Inde qui pourtant exclut 250 millions de personnes, dites de caste inférieure, de la société, soit près d’un Indien sur quatre. Parmi eux, une autre catégorie sociale de quelque 170 millions d’êtres humains qui sont considérés hors caste et surnommés intouchables ou dalits.
“Il n’y a une aucune mention, même pas en bas de page, de ces victimes dont les droits les plus fondamentaux ne sont pas respectés dans la vie quotidienne, dénonce Vijay Parmar, coordinateur de la Campagne nationale pour les droits des dalits, présent au Palais de Nations. L’ONU nous autorise juste à distribuer de la documentation et à organiser des séminaires en marge de la conférence. (…) L’Inde est une voix forte à l’ONU alors même qu’il s’agit d’un pays très pauvre, poursuit Vijay Parmar, lui-même un dalit et avocat de profession. Le pays veut bien inscrire des sujets généraux comme les droits de la femme, les migrants ou encore le travail des enfants, mais il n’accepte pas de sujets spécifiques qui le mettraient sur le banc des accusés.”
Les autorités indiennes font comprendre que la Constitution ainsi que diverses législations prévoient des mécanismes pour aider les minorités. Après l’indépendance en 1947, le père de la nation, le Mahatma Gandhi, a chargé Bhim rao Ramji Ambedkar, un intouchable devenu brillant avocat dans des circonstances exceptionnelles, de rédiger la Constitution. Celle-ci réserve en effet une centaine de sièges du Parlement national aux dalits. Des places leur sont également attribuées d’office dans les universités et dans la fonction publique. Résultat, plusieurs milliers d’intouchables ont réussi dans les affaires. D’autres ont accédé aux postes prestigieux de l’Etat. En 1997, Kocheril Raman Narayanan est devenu le premier intouchable à être élu par le Parlement président de la République, pour cinq ans.
Après plusieurs siècles de discrimination et soixante ans après l’indépendance, l’état d’esprit en général sur les minorités n’a pas fondamentalement changé en Inde. Les intouchables vivent toujours à l’extérieur des villes et des villages, sont cantonnés dans le nettoyage, sont considérés comme impurs et ne peuvent pas aller dans les mêmes temples que le reste de la population. Et ils n’ont droit à aucune propriété.
“Nous voulons montrer l’injustice et l’humiliation que nous subissons au monde, poursuit Vijay Parmar. Une certaine pression internationale est nécessaire pour contraindre le gouvernement indien à accélérer les réformes. L’Inde est certes un grand pays émergent ainsi qu’une puissance nucléaire, mais c’est aussi un pays qui ne respecte pas les droits de ses minorités.” Pour l’avocat indien, il n’est pas question de revendiquer une quelconque faveur, mais la justice et l’égalité. Il constate que les pays occidentaux sont de plus en plus conscients du sort des dalits et certains d’entre eux leur financent des projets de développement, mais ils n’apportent pas de soutien politique à leur cause.
Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a quant à lui enquêté à plusieurs reprises sur les discriminations contre les minorités en Inde, mais ne parvient pas, face à l’intransigeance de New Delhi, d’inscrire le castéisme sur l’agenda international. En revanche, le Pakistan et le Népal, qui comptent des minorités intouchables, se disent prêts à internationaliser la question.