Trois mois après la guerre, qui se souvient de Gaza ?, par Michel Bôle-Richard
Trois mois après la fin de la guerre, le 18 janvier, la bande de Gaza est retombée dans l’oubli. Pour les 1,5 million d’habitants, la situation est exactement la même que celle qui prévalait au lendemain de l’opération “Plomb durci”. Les points de passage restent hermétiquement fermés. La frontière avec l’Egypte est close. Chaque jour, les autorités israéliennes permettent l’approvisionnement de produits de première nécessité au moyen d’une centaine de camions ainsi que le transfert de carburant pour que la population puisse survivre.
Selon un rapport de l’ONU, “la qualité et la quantité sont insuffisantes au regard des besoins. Le fioul industriel et le gaz pour la cuisine ne représentent respectivement que 70 % et 25 % des besoins”.
Face aux protestations des Etats-Unis et de l’Union européenne, Ehoud Olmert, alors premier ministre, avait décidé que certaines denrées alimentaires – fromage, pommes de terre, jus de fruit, pâtes – pourraient désormais être autorisées à franchir l’imperméable clôture de sécurité.
En raison de la dégradation de la situation, John Ging, directeur de l’Unrwa, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, a lancé, le 3 avril, un appel pour la réouverture des frontières, estimant que “les quantités qu’Israël laisse entrer sont absolument et totalement inadaptées”. “Cela a un effet particulièrement dévastateur sur l’état physique et l’état d’esprit de la population“, avait-il ajouté.
Dans le compte rendu hebdomadaire de l’Office de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) pour la semaine du 8 au 14 avril, il est indiqué que 132 000 personnes n’ont toujours pas accès à l’eau courante. Parmi elles, 100 000 ne peuvent s’approvisionner que tous les deux ou trois jours et 32 000 n’ont aucun accès. Les diarrhées et les hépatites virales ont considérablement augmenté au cours des quatorze premières semaines de cette année.
De surcroît, les matériaux de construction, le ciment, le fer, les pièces détachées ne peuvent toujours pas pénétrer dans la bande de Gaza. Ce qui signifie qu’après trois semaines de bombardements, les choses sont restées en l’état, qu’aucune reconstruction n’a pu être entreprise, que les sans-abri vivent toujours sous des tentes. Quatre mille maisons ont été détruites et des milliers d’autres endommagées. On estime à environ 120 000 le nombre de personnes directement affectées par les destructions massives. L’activité économique est totalement paralysée.
Les Gazaouis attendent toujours que les choses bougent. Mais depuis la conférence de Charm el-Cheikh, le 2 mars, au cours de laquelle 80 pays et organisations ont adopté un plan de reconstruction pour lequel 4,5 milliards de dollars d’aide ont été promis, rien ne s’est produit. “Nous appelons à l’ouverture immédiate, totale et inconditionnelle de tous les points de passage“, avait pourtant enjoint le communiqué final de cette conférence.
Israël a posé deux conditions : la libération du caporal Gilad Shalit, séquestré depuis le 25 juin 2006, et le refus que cette aide internationale soit versée au Hamas qui détient le pouvoir dans la bande de Gaza depuis la mi-juin 2007.
Les tentatives de réconciliation entre le mouvement islamiste et son rival du Fatah ont jusqu’à présent échoué en dépit des efforts du médiateur égyptien.
Une troisième réunion entre le Fatah et le Hamas pourrait avoir lieu, fin avril, mais les positions des deux frères ennemis sont toujours très éloignées l’une de l’autre et la constitution d’un gouvernement d’unité nationale pouvant permettre la reconstruction et la préparation d’élections législatives et présidentielle, au début de 2010, apparaît pour le moment totalement illusoire. Les deux camps s’accusent mutuellement de pourchasser, d’emprisonner et de torturer les militants. Ils se renvoient les accusations d’intransigeance.
Pendant ce temps, les Gazaouis se demandent jusqu’à quand va se poursuivre leur descente aux enfers. Depuis la victoire du Hamas aux élections du 25 janvier 2006 et l’imposition de sanctions par Israël et la communauté internationale, le blocus n’a cessé de se renforcer et les conditions de vie n’ont cessé de se dégrader. Il y a toujours des accrochages meurtriers entre soldats israéliens et les membres des organisations armées. Mais les tirs de roquettes en direction du sud d’Israël se sont considérablement espacés. La situation s’est stabilisée.
Après trois mois de vie clandestine, Ismaïl Haniyeh, premier ministre du Hamas, a fait, vendredi 17 avril, sa première réapparition publique. Le signe d’une normalisation ? Mais quelle normalisation ? Le jour même de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, le 18 janvier, six chefs d’Etat et de gouvernement européens dont Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et Gordon Brown s’étaient retrouvés pour un dîner à la résidence de M. Olmert, à Jérusalem, après un sommet improvisé à Charm el-Cheikh.
M. Olmert les avait félicités pour “leur soutien extraordinaire et leur préoccupation pour la sécurité d’Israël“. Tout le monde s’était réjoui de la fin des combats. Tout le monde avait souhaité une nouvelle donne. On l’attend toujours.
Auteur : Michel Bôle-Richard, correspondant pour Le Monde à Jérusalem
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