Les diplômes du Saint-Siège reconnus en France, par Jean Riedinger
Le décret d’application de l’accord France-Siant-Siège sur la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur est paru sous le numéro 0092 au Journal Officiel de la République Française du 19 avril 2009. Il est signé de Nicolas Sarkozy, François Fillon et Bernard Kouchner. Il permet l’application de l’accord du 18 décembre 2008 entre la France et le Saint Siège.
L’Observatoire Chrétien de la laïcité avait déjà attiré l’attention sur cet accord dans la mesure où il pose un certain nombre de questions de fond sur les conceptions de la laïcité qui président à sa signature, conceptions qui sont en pleine cohérence avec les idées du Président de la République Nicolas Sarkozy telles qu’il les a exposées dans son discours de Saint-Jean de Latran, au moment de son intronisation comme chanoine honoraire de cette basilique pontificale. Mais au-delà de ces prestations présidentielles maintes fois analysées, le décret se situe dans un cadre européen voire mondial qui réserve à l’Église catholique une place tout à fait particulière dans les rapports entre les institutions religieuses, les Etats et les autorités politiques en général. Ce sont ces questions de fond que je souhaite exposer.
I-Le contexte politique et juridique
L’accord du 18 décembre 2008 entre la République Française et le Saint Siège se situe comme conséquence de la Convention de Lisbonne (11 avril 1997) « sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur dans la région européenne » et du « processus de Bologne » pour « la construction d’un espace européen de l’enseignement supérieur en améliorant la lisibilité des grades et diplômes de l’enseignement supérieur délivrés par les établissements habilités à cet effet ».
Un des objectifs de cette convention et de ce processus est de faciliter le passage d’un système d’enseignement supérieur à un autre et d’accroître ainsi la mobilité des étudiants et des universitaires en vue de favoriser le « marché » de l’emploi dans le cadre européen. Cette volonté s’accompagne de la volonté de défendre le principe d’autonomie des universités comme le précise un des attendus qui introduisent la Convention de Lisbonne : « (…) attachant une grande importance au principe de l’autonomie des établissements et consciente de la nécessité de sauvegarder et de protéger ce principe, (les signataires), etc. »
Les objectifs de la convention ont en effet une dimension universitaire incontestable mais sont aussi en grande partie à visée économique en ce qu’ils concernent les liens entre formation, marché du travail et compétitivité économique de l’Europe au plan mondial. On peut donc aussi les analyser en fonction des objectifs de la « stratégie de Lisbonne » (printemps 2000) qui visent dans le cadre d’une pensée très libérale à faire de l’Europe une puissance capable de rivaliser avec les États-Unis et même de les dépasser. La C.O.M.E.C.E (organisation des évêques européens) avait encouragé ces orientations de la stratégie de Lisbonne. Certes, on peut s’interroger sur la pertinence de ces orientation à la lumière de la crise actuelle… Il y a là sujet à une analyse de fond. Mais j’en resterai pour le moment à l’étude de ce qu’a de particulier l’accord de la France avec le Saint Siège d’un point de vue plus juridique et concernant notamment la laïcité.
II-Les bases juridiques de la signature de l’accord entre un Etat souverain (La France) et le Saint Siège
-A- Un rappel qui peut être utile : la cité du Vatican est un Etat indépendant – le plus petit du monde entièrement enclavé dans l’Italie, à Rome. Il compte quelques centaines d’habitants. C’est un Etat reconnu mais non membre de l’ONU où il a néanmoins un statut d’observateur comme dans les institutions européennes. Il a aussi des ambassadeurs (nonces) dans la plupart des pays et auprès de l’Union européenne.
Il a été créé le 11 février 1929 comme représentation temporelle du Saint Siège (ensemble des institutions de l’Eglise catholique romaine), aux termes des accords du Latran signés par le cardinal Gasparini et l’Italie représentée par Mussolini.
On remarquera néanmoins que ce n’est pas l’Etat du Vatican qui signe les textes internationaux et donc en l’occurrence un accord avec la France, mais le Saint Siège. Voir par exemple cet article (respecté dans l’accord France-Saint Siège) : « Au moment de la signature ou du dépôt de son instrument de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion, ou à tout autre moment par la suite, chaque État, le Saint Siège, la Communauté européenne indiquent, à l’un des dépositaire de la présente Convention, quelles sont les autorités compétentes pour prendre les différents types de décision en matière de reconnaissance » (Article II-2 de la déclaration de Lisbonne).
Ce qui montre bien la confusion entre une institution religieuse de dimension mondiale de par son implantation à caractère supra-national et un État qui est souverain sur un tout petit territoire et quelques autres lieux qui ont comme les ambassades un caractère d’extraterritorialité : des basiliques romaines, l’université grégorienne, Castelgandolfo, Radio Vatican. Seule l’Église catholique, à ma connaissance, a un type de statut politico-religieux aussi singulier, source de confusions multiples et complètement anachronique !
-B- Si l’on en vient à l’accord entre le Saint Siège et la France on remarquera qu’il concerne évidemment l’enseignement supérieur catholique sur le territoire national Français et non les enseignements supérieurs confessionnels autres que catholiques – notamment protestant [1]. Ce qui établit de fait et avant même tout autre jugement sur l’accord une première discrimination dans le cadre français.
-C- En ce qui concerne tous les établissements d’ enseignement supérieurs privés, jusqu’à présent, les grades et diplômes qu’ils délivrent peuvent être reconnus selon des modalités qui respectent à la fois la laïcité et la fonction de l’enseignement supérieur public. La IIIe République a proclamé la liberté de l’enseignement supérieur en 1875. En 1880 elle a réservé l’attribution des titres universitaires aux seules universités publiques. En 1984, le Conseil d’État a estimé que ce principe du monopole d’État de la collation des grades universitaires s’imposait même au législateur. Actuellement pour conférer une licence ou un doctorat, les universités privées doivent soit passer une convention avec une université publique (une commission universitaire est chargée d’étudier et de décider la reconnaissance des diplômes), soit demander au Recteur d’académie d’organiser un jury d’État chargé d’évaluer leurs candidats… Par exemple, les diplômes d’ingénieur des écoles d’ingénieurs catholiques sont reconnus par la commission du titre d’ingénieur, car ils sont jugés de qualité par une telle commission publique. Ils n’ont donc pas besoin de cet accord du Vatican. Pourquoi donc un accord spécial ? Question : imaginons que le diplôme d’une école d’ingénieur d’une université catholique ait été refusé par la commission du titre d’ingénieur, est-ce que l’accord signé lui donnera l’équivalence, ce qui permettrait de se passer la commission ? Autrement dit, désormais, l’enseignement supérieur catholique et les diplômes qu’il confère sont ils reconnus par l’Etat par les seules vertus de l’accord Saint Siège-France ? Dans le protocole additionnel de l’accord il est précisé :
« Article 1 – Champ d’application du protocole additionnel
Le présent accord s’applique :
Pour l’enseignement supérieur français : aux grades et diplômes délivrés sous l’autorité de l’État par les établissements d’enseignement supérieur.
Pour les Universités catholiques, les Facultés ecclésiastiques et les établissements d’enseignement supérieur dûment habilités par le Saint-Siège : aux grades et diplômes qu’ils délivrent dans les disciplines énumérées dans le protocole additionnel. Une liste des institutions ainsi que des grades et diplômes concernés sera élaborée par la Congrégation pour l’Education catholique, régulièrement tenue à jour et communiquée aux Autorités françaises. »
A la suite d’une demande de la conférence des présidents d’université qui avait regretté que ce décret « ravive inutilement le débat sur la laïcité » et réclamé « que les diplômes profanes ne (soient) pas concernés par ce texte », les ministères des Affaires étrangères et de l’Enseignement supérieur avaient alors assuré que cet accord laissait la liberté aux universités de reconnaître ou non ce niveau de diplôme. Les deux ministère avaient alors affirmé que « sont visés par cet accord les diplômes canoniques délivrés par les universités catholique et les établissement d’établissement supérieur dûment habilités par le Saint siège ainsi que les diplômes ecclésiastiques directement délivrés par les facultés ecclésiastiques sous l’autorité du saint Siège » (AFP, 20 avril 2009). Mais dans le texte de l’accord les diplômes reconnus ne sont pas seulement les diplômes canoniques et ecclésiastiques… mais TOUS LES DIPLÔMES. Sont en effet reconnus : « (…) Pour les universités catholiques, les facultés ecclésiastiques et les établissements d’enseignement supérieur dûment habilités par le Saint-Siège : diplômes délivrés par les universités catholiques et les établissements d’enseignement supérieur dûment habilités par le Saint-Siège ; diplômes ecclésiastiques directement délivrés par les facultés ecclésiastiques sous l’autorité du Saint-Siège. » (extrait de l’article 2 du protocole additionnel)
Quant aux diplômes ecclésiastiques (en théologie ou en droit canonique par exemple) – sauf le cas des diplômes délivrés par l’université de Strasbourg, sous régime concordataire -, l’État ne les connaissait tout simplement par jusqu’à cet accord. Désormais ils sont reconnus automatiquement par l’Etat français dés lors que… le Saint Siège les reconnaît !!!
III-Un accord préoccupant pour la laïcité
On est donc très clairement dans le cadre d’un accord de nature concordataire qui ressemble beaucoup au statut local d’Alsace Moselle.
Pour le comprendre, comparons avec ce qui pourrait se passer dans un accord de ce genre, conforme à la convention de Lisbonne, passé entre la France et un Etat quelconque de l’union Européenne. Dans ce cas, chacun des pays s’engagerait à reconnaître les formations et les diplômes qui sont reconnus dans l’autre Etat en respectant les modalités de reconnaissance et de validité de chaque Etat. Si l’un des deux Etats (prenons une hypothèse extrême) n’avait qu’un enseignement supérieur public et l’autre seulement des institutions d’enseignement supérieur privées, voire seulement des institutions confessionnelles (catholiques-protestantes-musulmanes…), ces deux systèmes pourraient être maintenus de part et d’autre. Avant la signature de l’accord, on aura évidemment vérifié de part et d’autre la possibilité en termes d’évaluation scientifique, de modalités d’acquisition des diplômes… qu’une équivalence pouvait en effet être envisagée. Mais chacun des deux Etats reste compétent sur son territoire pour définir les modalités, les contenus, les dispositions relatives aux enseignements publics ou privés dispensés sur son territoire.
Or avec l’accord France Vatican la situation est différente. Sont considérés comme relevant du Saint Siège (représentant l’État du Vatican ou organisation religieuse ?) « pour les Universités catholiques, les Facultés ecclésiastiques et les établissements d’enseignement supérieur dûment habilités par le Saint-Siège » article 1 du protocole additionnel. C’est bien le Saint Siège qui habilite ces Instituts ou facultés.
Question qui révèle LE problème principal : Qui habilite donc des instituts d’enseignement supérieur catholiques sur le territoire français ?
Est-ce un État étranger : le Vatican ? A lors il y a un sérieux problème de souveraineté.
Est-ce l’Église catholique ? Alors il y a un sérieux problème concernant la laïcité.
En réalité ce sont… les deux ! On nage dans la confusion la plus complète.
La référence à la convention de Lisbonne est donc pour le moins discutable et juridiquement obscure. C’est la conséquence du statut flou du Pape à la fois autorité religieuse et chef d’Etat. On en revient sans cesse à cette confusion (cette faute ?) originelle.
De plus on peut se demander quel sens peut bien avoir la reconnaissance « ipso facto » par la France des diplômes ecclésiastiques directement délivrés par les facultés ecclésiastiques sous l’autorité du saint Siège… A quel titre l’État français reconnaîtrait il une licence ou un doctorat de théologie ? Ou de métaphysique chrétienne ? En quoi l’État est il concerné ? Sa caution apportée à la valeur d’une pensée religieuse- quelle qu’elle soit- est pour le moins étrangère à la laïcité.
Enfin dans le même domaine de réflexion on peut se demander quelle est ou risque d’être la politique vaticane à l’égard de la liberté de recherche dans les institutions catholiques. N’oublions pas que l’État du Vatican ne peut être reconnu comme tel dans le cadre de l’Union européenne en particulier parce que ce n’est pas un Etat démocratique, mais une monarchie absolue où règne un Monarque coopté par des Princes qu’il nomme lui-même. J’ajouterai qu’il prétend tirer son pouvoir absolu d’une mission divine auto-attribuée !
Ce pouvoir pontifical n’est pas un fantasme quand il tente – de plus en plus difficilement il est vrai vu les résistances de l’opinion catholique elle même – de s’exercer dans toute sa rigueur dogmatique et actuellement réactionnaire au sein même de l’Eglise. Or par cet accord l’Etat français se soumet à la compétence d’une religion pour apprécier la valeur universitaire d’un institut -privé sans doute – mais sur le territoire français. En fonction de l’appréciation de la monarchie vaticane l’Etat français reconnaît alors la validité des diplômes de cet établissement. L’Etat soumet son appréciation à une religion.
De ce fait il ne se contente pas de la connaître, il la reconnaît. Ce qui est contraire à la laïcité.
Même s’il faut reconnaître que dans les faits l’enseignement supérieur catholique en France n’est pas enfermé dans un cadre dogmatique et asservi à une pensée unique grâce à la qualité intellectuelle et à l’ouverture de pensée de la plupart des chercheurs et des enseignants, il n’empêche que c’est dans le cadre d’une conception religieuse – respectable mais non universelle – que cet enseignement est organisé. Ce qui implique, surtout dans le cadre strictement ecclésiastique, des choix « convictionnels » collectifs de recherche et de pensée Et de ce point de vue l’Etat peut reconnaître la légitimité de l’exercice d’un tel enseignement sur son territoire mais ne peut pas le cautionner sur le plan « scientifique ».
Il en serait évidemment de même sur ce dernier point pour l’enseignement supérieur protestant ou un éventuel enseignement supérieur musulman ou bouddhiste… sauf que dans ces derniers cas on serait clairement dans le cadre des rapports entre l’État et la société civile (en l’occurrence les religions) et non comme dans le cas de l’Église catholique dans une relation tordue par le statut « étatique » du Vatican et du Saint Siège.
IV- Qu’en est-il de cet accord dans une stratégie de privatisation de l’enseignement supérieur ?
L’objectif de l’autonomie des Universités et institutions d’enseignement supérieur est une des dispositions communes reconnue au sein de l’Union Européenne par la convention de Lisbonne. C’est un objectif d’un espace universitaire européen. Or elle est un des chevaux de bataille de la pensée libérale (au sens économique du terme). Cette notion d’autonomie est évidemment importante pour la liberté de la recherche et de l’enseignement. Il faut néanmoins s’interroger sérieusement sur le rapport de l’autonomie avec la notion de service public qui protège l’Université de la mainmise des intérêts particuliers idéologiques ou des intérêts privés économiques sur ses programmes et ses objectifs. En effet l’autonomie peut être une garantie de la liberté de recherche et d’enseignement, mais l’indépendance de l’Université dépend de l’articulation et de la régulation de la recherche et des enseignements dans le cadre d’un service public. En donnant à l’enseignement supérieur catholique le statut que permet cet accord l’État français n’ouvre-t-il pas la voie à une reconnaissance plus grande du rôle du secteur privé dans l’enseignement supérieur et ne s’apprête-t-il pas à réaliser le rêve de la droite libérale la plus idéologiquement conservatrice qui est de favoriser une autonomie conçue comme une marche progressive vers la privatisation de l’enseignement supérieur ?
Notes :
[1] Les établissements d’enseignement supérieur privés sont régis par l’article L 731 du Code de l’Education. Il existe des instituts catholiques à Paris, Lille, Lyon, Toulouse et Angers (qui a essaimé à La Roche-sur-Yon en 1990). Contrairement à la loi ces instituts utilisent la dénomination “universités catholiques”. Il existe également des facultés de théologie protestante à Paris, Montpellier, Vaux-sur-Seine et Aix-en-Provence. Par ailleurs, dans le cadre du droit local, les facultés de théologie protestante et de théologie catholique sont intégrées dans l’Université publique de Strasbourg.
Auteur : Jean Riedinger, secrétaire de l’Observatoire Chrétien de la
Laïcité)
Publié le mardi 5 mai 2009 dans la lettre UFAL- FLASH n° 78
Quelques compléments de lecture pour éclairer le contexte :
– l’ouvrage ” Main basse sur l’école publique” de Eddy Khalfi et Murielle
Fitoussi (Ed. Démopolis) ; (cf. présentation dans le Hors-série Parvis n°
21 – “Capitalisme et libéralisme”, pages 27-28).
– Hors-série Parvis n° 19 – “Laïcité 2008”- pages 46-59