Crise chez les catholiques, par Gérard Bessière
Est-il possible d’analyser en profondeur la « crise catholique » de ces derniers mois ? Le recul du temps sera nécessaire pour en percevoir mieux les composantes et les conséquences. Mais dès cette fin avril, on peut proposer un bref historique, faire des constatations, formuler des interrogations.
Bref historique
La levée de l’excommunication des quatre évêques intégristes, le 21 Janvier 2009, ne leur permettait pas pour autant d’exercer un ministère. Mais qui connaissait cette précision juridique ? La portée symbolique de cette décision fut et demeure considérable. Beaucoup n’ont pas compris que l’excommunication soit levée avant toute négociation.
Des évêques s’en sont émus, quelques uns d’une manière explicite, d’autres, silencieusement. La plupart furent stupéfaits de n’avoir été aucunement prévenus et d’apprendre par la presse cette initiative du Pape. Rome ne prenait pas en considération la collégialité épiscopale ?
Les évêques intégristes, de leur côté, réaffirmaient des « réserves » vis-à-vis du Concile Vatican II. Une fois de plus, dans la suite chaotique des négociations entre Rome et Ecône depuis 35 ans (1), le Vatican faisait des concessions sans aucune réciprocité du côté des intégristes. Leur camp criait victoire. Ils allaient enfin sauver l’Eglise, rétablir la vraie Tradition, amener le Pape à réviser le Concile qui avait été manipulé, selon eux, par les juifs et les francs maçons. Ils persistaient dans le refus de la liberté religieuse, de l’œcuménisme, du dialogue inter-religieux, de la laïcité des Etats, de l’ouverture au monde.
Williamson
Beaucoup de catholiques s’étaient émus, mais cette « levée d’excommunication » n’avait guère retenu l’attention de la société : n’était-ce pas une dispute entre catholiques pour ou contre le latin et des usages liturgiques, une querelle interne à l’Eglise ? Un apaisement résigné aurait bientôt suivi si Mgr Williamson, un des évêques relevés de l’excommunication, n’avait pas fait des déclarations négationnistes. Du coup l’opinion publique s’est dressée : le Pape acceptait-il qu’un évêque soit négationniste ? En Allemagne particulièrement, les réactions furent vives et Angela Merkel intervint. Rome demanda à Mgr Williamson de revenir sur ses propos et rappela la condamnation par l’Eglise de l’antisémitisme et de tout négationnisme.
En même temps, on attribuait à une mauvaise transmission à l’intérieur du Vatican le fait que Benoît XVI n’avait pas eu connaissance des positions de Mgr Williamson. Des évêques s’étonnèrent publiquement de ces « dysfonctionnements ». Un brouillard demeurait : comment avoir ignoré les positions, qui n’étaient pas d’hier, de cet évêque, alors que les négociations avec Ecône se poursuivent depuis si longtemps et qu’elles ont été particulièrement intenses, avec la participation du Cardinal Ratzinger, à l’approche de la consécration par Mgr Lefebvre des quatre évêques intégristes en 1988 ?
Et comment expliquer que la levée de l’excommunication, rendue publique le 24 Janvier, n’ait pas été abandonnée ou ajournée alors qu’on avait appris, le 22, l’intervention négationniste de Mgr Williamson ?
Avec l’affaire Williamson, le débat n’était plus enfermé dans l’Eglise. Il atteignait toute la société. Ces propos négationnistes étaient-ils le fait isolé d’un individu ? Même si beaucoup d’intégristes ne les partageaient pas, il fallait bien constater qu’un courant antisémite accompagne l’histoire de l’intégrisme depuis l’affaire Dreyfus à la fin du 19e siècle, Maurras et l’Action Française, au 20e. L’opposition avec le texte du Concile sur les rapports avec les Juifs était flagrante. L’opinion publique, bien au-delà de l’appartenance catholique, découvrait que des courants que l’on aurait pu croire internes à l’Eglise concernaient la vie de tous.
La lettre du Pape
Le Pape écrivit -initiative exceptionnelle – une lettre à tous les évêques. Pourquoi ne l’adressa-t-il pas à tous les catholiques ? Il réaffirmait la position de l’Eglise vis-à-vis du peuple juif, il annonçait que la Commission Ecclesia Dei chargée des contacts avec les intégristes travaillerait désormais avec la Congrégation de la doctrine de la foi pour exiger l’acceptation du Concile par les évêques d’Ecône. Il se plaignait, sur un ton très personnel, des attaques dont il avait été l’objet. Il donnait des précisions sur le nombre des prêtres, des diacres, des religieuses intégristes.
Evènement moins remarqué en France : les évêques autrichiens, en écho avec beaucoup de catholiques de leur pays, refusèrent la nomination épiscopale, à Linz, d’un prêtre qui déclarait que certaines catastrophes naturelles étaient un châtiment divin.
La maman de Recife
L’opinion publique allait se dresser dans une protestation véhémente, internationale, lorsque l’archevêque de Recife (le successeur d’Helder Camara) excommunia une maman après l’avortement de sa fille de 9 ans, violée, enceinte de deux jumeaux. Le Cardinal Rè, Préfet de la Congrégation des évêques, personnage très élevé de la hiérarchie au Vatican, avait exprimé son approbation de la décision de l’archevêque. Benoît XVI n’était pas impliqué directement, même si l’on pouvait regretter son silence, mais la prise de position de cet archevêque s’ajouta à tous les évènements précédents pour accentuer la réprobation et le rejet de beaucoup par rapport à l’Eglise hiérarchique.
Des évêques réagirent. La Conférence Episcopale du Brésil déclara que la maman n’était pas excommuniée : elle aurait consenti à l’avortement sous la « pression » des médecins. Mgr Fisichella, président de l’Académie pontificale pour la vie, dans l’Osservatore Romano, tint un langage très humain.
Le préservatif
Le 17 Mars, dans l’avion qui le conduit vers le Cameroun, BenoîtXVI répond aux six questions retenues par ses collaborateurs dans la liste proposée par les journalistes. L’une d’elles concerne « la position de l’Eglise catholique sur les moyens de lutter contre le sida » ; le journaliste qui la formule ne prononce pas le mot « préservatif ». Le pape en appelle à « l’âme », à une « humanisation de la sexualité » et à « une amitié vraie » envers les malades, mais il déclare en même temps que la distribution des préservatifs « augmente le problème ». Le bureau de presse du Vatican donnera une version légèrement atténuée (reconnaissant par là même son embarras devant les propos du Pape attestés par les enregistrements au magnétophone) en écrivant : « cela risque d’augmenter le problème ». La répercussion médiatique est immense, à la mesure de la gravité de la pandémie. Les autres déclarations de Benoît XVI sur les urgences politiques, sociales, humaines des pays visités seront presque ignorées par les médias.
La personnalité et l’autorité morale du pape sont discréditées auprès d’une multitude de personnes, y compris catholiques. Des groupes vont se constituer pour défendre le Souverain Pontife. On va parler, particulièrement en France, de « lynchage médiatique », en oubliant que les médias témoignèrent d’un accueil très positif à Benoît XVI lors de son voyage à Paris et à Lourdes en Septembre 2008.
Constatations
Une opinion publique catholique
L’accumulation de ces évènements a provoqué beaucoup de gens à réfléchir, à parler, à prendre une attitude critique par rapport à la papauté et à la hiérarchie. Comme au moment de l’éviction de Mgr Gaillot (1995), on a vu se manifester une opinion publique catholique, rejointe par une partie de la population à distance de l’Eglise. Mais cette fois, personne n’est descendu dans la rue ; il n’y a pas eu de protestations collectives devant les évêchés. C’est sur Internet que des dizaines de milliers de personnes se sont exprimées : expression qui tenait parfois du défoulement sans véritable intervention auprès d’interlocuteurs responsables. On ne sait pas combien de lettres furent adressées aux évêques, combien de réactions collectives furent organisées , mais la protestation est restée souvent dans le domaine privé, dans les conversations. Les autorités d’Eglise ont-elles pu mesurer à quel point le fossé se creusait entre elles et une grande partie de la population ?
Géographie du monde catholique
Une géographie du monde catholique a pu être observée. Certains, particulièrement en Allemagne, se sont fait « débaptiser ». D’autres ont quitté l’Eglise « sur la pointe des pieds ». Beaucoup ont déclaré « avoir mal à leur Eglise ». La masse des « fidèles » est restée silencieuse, spectatrice perplexe, sans même poser de questions aux prêtres. Une force d’inertie séculaire leur fait fréquenter le culte et les habitudes catholiques. Mais jamais les gens n’avaient été informés à ce point-là sur une crise de l’Eglise. A noter au passage que le communiqué du Conseil permanent de l’épiscopat français à propos de la levée de l’excommunication des quatre évêques intégristes n’a guère été lu dans les églises : combien d’évêques ont-ils demandé qu’il soit porté ainsi à la connaissance des « pratiquants » ? Enfin, des catholiques ont pris la défense de Benoît XVI, en accusant les médias, en invitant à considérer les intentions du pape et le contexte de ses interventions. Pour certains, qui constituent parfois des groupes très actifs, aucune atteinte à la confiance totale au pape ne peut être tolérée. Ils sont fascinés par la figure pontificale au point d’être aveuglés sur telle ou telle parole qui a pourtant été prononcée. Pour eux, l’Eglise se résume dans la personne et la fonction du Souverain Pontife. Cependant que d’autres se sont mis à douter de « l’infaillibilité pontificale » : ils montraient ainsi à quel point « l’infaillibilité », dont les papes n’usent que très exceptionnellement, dans des conditions très précises, a fait progressivement tâche d’huile : pour beaucoup, depuis sa proclamation par le concile Vatican I en 1870, elle semble accompagner toute intervention papale, même dans des domaines où elle ne s’applique pas.
Les évêques
Les évêques français ne sont guère intervenus après la levée d’excommunication. Ils ont fait preuve de beaucoup de prudence. Ils se savaient observés par le nonce apostolique, ils étaient attentifs aux initiatives de leurs collègues dans l’épiscopat, ils ne voulaient pas risquer de laisser apparaître un désaccord avec le Pape. Ils considéraient aussi la diversité de leurs diocésains. Lors de l’affaire Williamson, devant l’émotion exprimée jusqu’à Rome, il était plus facile de rejoindre l’ampleur de la protestation, et quand s’est élevée l’indignation générale après l’excommunication de la maman de la petite Brésilienne, comment rester silencieux ?
Questions
On parle beaucoup depuis des années de « nouvelle évangélisation », de « visibilité » de l’Eglise. Quel visage d’elle-même a été montré durant ces derniers mois ? Qu’en sera-t-il de la rencontre œcuménique, du dialogue inter-religieux, du compagnonnage entre ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas ?
« L’Eglise », souvent identifiée au Pape et aux évêques, a perdu beaucoup de son autorité : on a parlé de dysfonctionnements, d’inadaptation aux conditions de la « communication » dans le monde actuel, mais ne faut-il pas s’interroger beaucoup plus profondément, y compris sur des « principes » dont l’application se révèle inhumaine ?
L’Eglise, particulièrement dans le domaine éthique, s’exprime avec l’assurance de qui détient la vérité et peut formuler péremptoirement les exigences de la « loi naturelle ». Ne faudrait-il pas qu’elle accepte le débat, en son sein et avec la société ? Témoigne-t-elle de Jésus en maintenant des positions rigides sur des questions jamais abordées dans les évangiles et en prétendant formuler la « loi de Dieu » ? Ne devrait-elle pas être attentive à la nouveauté et à la complexité des situations et se rappeler, comme l’exprimait St Thomas, que « la première instance morale de l’homme est la conscience » ?
Ne faudrait-il pas que l’Eglise quitte son aplomb vertical, intemporel, pour dialoguer et partager avec nos contemporains ? En restant à l’alternative du permis et du défendu, à la proposition d’un prétendu « idéal » qui ne tient pas compte des conditions concrètes de la vie, n’a-t-elle pas quitté le monde humain ? Est-ce encore moral ? Est-ce évangélique ?
Et à l’intérieur de l’Eglise …Si elle est le « peuple de Dieu », ne faudrait-il pas écouter, à travers les protestations de beaucoup de ses membres, des requêtes légitimes à répercuter et approfondir ? Certains responsables souhaitent que le calme retrouvé permette de continuer comme avant : il en fut ainsi après l’affaire Gaillot en 1995. Ne serait-ce pas refuser de voir que beaucoup de catholiques, et même de prêtres, prennent de plus en plus distance par rapport à l’appareil institutionnel ? Les responsables hiérarchiques ne s’éloignent-ils pas de l’Eglise réelle, faite de toutes celles et de tous ceux qui s’efforcent de suivre Jésus ?
Enfin comment ne pas constater que l’excès de centralisation romaine, l’oubli de la collégialité épiscopale, l’enfermement dans la suffisance doctrinaire, un jugement dépréciatif sur le monde comme si tout était parfait dans les instances catholiques, élargissent sans cesse le fossé entre « L’Eglise » et le monde moderne ?
(1) Exposé très précis dans le livre de Nicolas Senèze, La crise intégriste, Editions Bayard, 194 p., 15 euros.
Auteur : Gérard Bessière, 24 Avril 2009
Après l’affaire Gaillot, j’ai choisi de vivre ma foi à la base, dans mon équipe d’ACO, en faisant le caté etc, mais je n’ai plus accepté de responsabilité supérieure (diocésaine ou paroissiale). J’étais révolté par le silence coupable -à mon sens- d’une Conférence Episcopale qui laissait ainsi lyncher l’un des siens sans mot dire. Et puis sur Bordeaux, nous avons eu l’Institut du Bon Pasteur, avec l’intégration dans le presbytérium du sulfureux Abbé Laguérie. A nouveau des protestations… Un peu en vain là encore, avec cependant des paroles courageuses venant de prêtres en responsabilité. La série continue. Je comprends que les réactions des catholiques auprès des évêques aient été rares. Nous avons perdu confiance en leur capacité à s’opposer et à quelques exceptions près à être les témoins courageux de l’Evangile que nous serions en droit d’attendre. Il nous reste les parvis, nos équipes de base et internet… Il nous reste la pratique des vertus théologales : foi, espérance et amour pour attendre avec confiance un printemps après ce pénible temps de glaciation !
L’Eglise de l’interieur : Fait survenu en Janvier 2009 dans une paroisse en France.
Comment comprendre une Eglise qui condamne et qui exclue ses membres par l’autorite abusive d’un des ses pretres qui vient de porter plainte “pour denonciation calomnieuse a superieurs” a l’Officialite de son diocese contre 2 de ses paroissiens parce qu’ils ont ete coupables de vivre leurs engagements selon le devoir du canon 212,3 “.