La lutte du Père Firas pour sauver les “pierres vivantes” de Terre sainte
Un curé au Congrès. Ce n’est pas le titre d’un mauvais film en soutane. C’est Firas Aridah, prêtre de la paroisse d’Aboud, en Cisjordanie. Le 30 juin 2006, il déposait devant le sous-comité aux droits de l’homme de la Chambre des représentants des Etats-Unis “pendant trois heures et douze minutes”. L’objet de cet exposé fleuve ? Le calvaire enduré par ce village chrétien méconnu, situé en lisière de la “ligne verte”, la frontière officieuse avec Israël, et démantibulé par les colonies et la “clôture de sécurité” israélienne. “J’ai cherché à combattre les stéréotypes des congressmen, raconte le prêtre de nationalité jordanienne. Je leur ai expliqué que les souffrances des chrétiens de Palestine viennent non pas de leurs frères musulmans mais de l’occupation israélienne. La voix de l’Eglise doit être la voix de la vérité.”
L’histoire commence en octobre 2003, sur une route de Cisjordanie. Firas Aridah, fraîchement sorti du séminaire, roule en direction de sa nouvelle affectation. Alors que les toits de tuile rouge des colonies israéliennes défilent sous ses yeux, il se répète les consignes de sa hiérarchie. “Ne pas faire de politique, ce n’est pas mon pays, ce n’est pas mon boulot.” Mais, à quelques virages de sa destination, la politique s’impose à lui sous la forme d’un barrage militaire israélien. Le jeune curé doit patienter trois heures dans sa voiture, sans la moindre explication. Deux ans plus tard, second rappel à la réalité avec l’annonce que pour la construction de la “clôture”, 300 hectares seront confisqués au village. Avec les terrains déjà saisis par les colonies de Beit Arye et Ofarim, c’est près d’un tiers du domaine municipal qui est désormais hors d’atteinte.
Un scandale pour les habitants, car ces terres sont non seulement riches en oliviers, l’une des principales sources de subsistance des campagnes palestiniennes, mais abritent aussi de nombreuses sources. Le Père Firas décide d’agir. “Je me suis dit que je devais protéger mes paroissiens, dit-il en évoquant l’exode croissant des Palestiniens chrétiens vers l’étranger. Sinon, à ce rythme, les pierres vivantes auront disparu de Terre sainte.”
Aussi habile avec Internet qu’avec l’encensoir, le jeune prêtre actionne ses contacts. Il fait venir le patriarche latin de l’époque, Michel Sabbah, organise de nombreuses manifestations devant les bulldozers et attire l’attention du cardinal de Washington, Théodore Mc Carrick. En mars 2006, celui-ci lui rend visite, suivi par Robert Novak, un journaliste influent.
Finalement, en juin de la même année, via un intermédiaire au sein du cabinet du vice-président Dick Cheney, le curé d’Aboud s’envole pour Washington. L’écho de sa prestation devant les élus américains parvient aux oreilles de Tzipi Livni, alors ministre des affaires étrangères d’Israël, qui lui envoie aussitôt un haut gradé. “Il nous a proposé 15 dollars par olivier arraché, affirme le Père Firas. Il a aussi déclaré qu’il s’agissait d’une terre d’Etat. Une véritable insulte. Je lui ai répondu que quel que soit le nombre d’hectares achetés par les juifs, cette terre est occupée et qu’elle appartient aux Palestiniens.”
Un baroud pour l’honneur. L’armée refuse de modifier le tracé de la barrière. Mais Aridah Firas persiste et signe. “Je ne suis pas diplomate, je sais, mais un prêtre, c’est fait pour servir.” Sa réputation est faite. Il y a deux mois, une délégation de l’Aipac, principal lobby pro-israélien des Etats-Unis, circulait en Cisjordanie. Leur programme incluait une visite d’Aboud. Mais sur la route du village, apprenant le nom de son curé, la délégation a aussitôt ordonné au chauffeur de rebrousser chemin.
Auteur : Benjamin Barthe, Aboud (Cisjordanie), envoyé spécial
Source : Le Monde, édition du 13 mai 2009