Les crises se suivent…, par Jacques Noyer
Les crises se suivent et ne se ressemblent pas. D’abord, la crise financière, puis la crise de l’Église catholique, enfin la crise de la grippe A. Il est évident qu’elles ne se ressemblent pas. Elles n’appartiennent pas au même domaine de la vie humaine. Elles n’ont aucun lien entre elles. Elles ont des causes et des dynamiques très différentes. Elles réclament des remèdes spécifiques. Elles ont des conséquences incomparables.
Et pourtant elles sont toutes des crises de la confiance. « Avant la crise, on mangeait, on buvait, on prenait femme, on prenait mari, on vendait, on plantait, on bâtissait… », comme disait Jésus en Luc, 17 lorsqu’il évoque les crises mythiques du déluge ou de Sodome. Quand vient la crise, tous ces échanges qui constituent la vie quotidienne sont touchés. La confiance qui les rendait possible est frappée. Pour prêter, pour entreprendre, pour croire, pour vivre il faut la confiance. Toutes ces crises ont en commun de jeter le soupçon sur les autres, sur les institutions, sur les responsables en place. Mon voisin devient une menace. Nos chefs nous ont trahis. La vie commune devient problématique.
Chacune de ces crises s’inscrit dans une série de crises antérieures. Chaque crise surprend mais on l’attend depuis toujours sans savoir quand et où elle se déclencherait. Les maux d’aujourd’hui ne sont pas les premiers et dans chaque registre le fantôme des crises précédentes hante les esprits.
La crise de 1929 reste dans les souvenirs avec son lot de chômeurs, de faillites, de suicides et de misères. Personne ne sait si on pourra aujourd’hui échapper à cette fatalité. Et les perspectives politiques peuvent craindre la montée de nationalismes et de dictatures dont le nazisme reste le modèle même si d’autres peuvent espérer que de ce chaos annoncé apparaisse une société meilleure. La révolte des nouveaux « damnés de la terre » qui n’ont rien à perdre n’a besoin ni d’idéologie ni d’espérance pour se produire.
La crise sanitaire d’aujourd’hui trouve une société instruite par de nombreuses alertes antérieures. Elle reste surtout marquée par la tragédie non encore maîtrisée du Sida. Ce Sida qui a jeté un soupçon de mort dans la sexualité trouve un écho dans ce soupçon de mort qui rode dans les contacts les plus courants. Le masque est aussi, à sa façon, un préservatif qui semble annoncer un peuple bâillonné au nom de la peur.
L’Église catholique a connu dans son histoire bien des crises également et de bien plus graves. Il suffit de penser à la Réforme Luthérienne. Il est bien possible que cette hantise est présente chez un certain nombre de fidèles. Où va-t-on si on commence à critiquer le Pape ? Il semble pourtant qu’il y a aussi, surtout en France, le fantôme d’une autre crise à laquelle on fait rarement allusion.
Notre génération a connu la grande crise de la Guerre quand, à part quelques personnalités exemplaires, l’Église de France s’est laissée impressionnée par le prestige de l’ordre nouveau au point de glisser dans une complaisance scandaleuse avec le discours de Vichy et parfois de Berlin. On sait comment Pie XII lui-même, à tort ou à raison, s’est vu reprocher son silence. On ne peut oublier l’épuration de plusieurs évêques à la libération.
Comment ne pas éprouver de l’angoisse quand le Pape semble montrer tant de complaisance avec les héritiers de cette église-là. Le Concile avait réussi à sortir de cette triste histoire. La réintégration des fidèles de Mgr Lefebvre est devenue grâce à lui une question doctrinale. Mais ce n’est pas pour rien que ce qui a mis le feu aux poudres ce sont les propos négationnistes de l’un d’entre eux. Comme on est loin de la liturgie !
Si derrière la crise économique d’aujourd’hui, nous voyons la crise de 1920, si derrière la grippe porcine d’aujourd’hui nous tremblons de la menace du Sida, de la même façon ce qui rend compte de la crise religieuse d’aujourd’hui, c’est la menace de cette Église bien pensante et lâche dont le retour annoncé nous appelle à une nouvelle résistance.
Auteur : Jacques Noyer, évêque émérite d’Amiens
Source : Témoignage Chrétien, édition du 7 mai 2009
Merci Jacques pour ces paroles fortes, courageuses… et tellement vraies !