Pourquoi je resterai dans l’Eglise, par Anne Soupa
Devant la vague de tristesse et de déceptions qui secoue le monde catholique, la tentation est grande de partir. Refusant une Église pharisienne, des fidèles demandent même à être rayés des registres de baptême. La violence que s’infligent ceux qui se résolvent à un tel geste me bouleverse, comme elle afflige leurs curés qui ne peuvent qu’y consentir. Mais ajouter un mal à un autre mal est-il le bon geste ? En temps de désolation, disait Ignace de Loyola, surtout ne pas prendre de décision…
Ce qui nous a tous emprisonnés, ces dernières semaines, c’est le système binaire qui faisait référence unique : être d’accord ou partir. Comme elle a mis du temps à se dessiner, cette troisième voie, comme elles ont jailli des profondeurs de la conscience, les forces nécessaires pour refuser cette alternative aliénante !
Si étroit est le chemin qui concilie l’expression libre de sa conscience et le désaccord… Si malmenées ont été les figures de référence (pendant la crise moderniste, ou dans les décennies d’avant le Concile), si discréditées, si salies pour leur audace même… Si lourde est la culpabilité catholique (et que certains alimentent) – vais-je contribuer à détruire l’Église, à « briser la tunique sans couture du Christ » ? – que mieux valait souffrir mille morts plutôt que de dire « non ! ».
Or, la preuve est maintenant faite que la digue s’est rompue, faisant le lit de cette troisième voie, au cours encore incertain, mais irréversible. Le Jourdain ne remonte pas en arrière… Quand la conscience a parlé, comment les mots rentreraient-ils dans la gorge ?
L’expérience que font en ce moment les fidèles catholiques, pour douloureuse qu’elle soit, est une sorte de passage de la mer Rouge. De même que les Hébreux, dos à l’Égypte, un peu perdus dans le vaste désert de Sîn, ont dû apprendre à s’assumer, de même les catholiques d’aujourd’hui, par leur mobilisation, se sont mis en situation de responsabilité morale dans une Église qui, encore plus, est la leur. Le « non » oblige autant que le « oui ». Davantage, même, car il appelle des solutions alternatives. Après l’avoir osé, tout reste à faire…
Ce qui fonderait donc le fait de rester, malgré l’amertume de ces jours, est la conviction que la critique est destinée au relèvement. Soigner un corps malade – se soigner, car chacun est l’Église – vaut mieux que l’abandonner. Et c’est pour cela qu’aujourd’hui, il est vital pour l’Église que ceux qui ont manifesté leur désapprobation ne la quittent pas.
Pour moi, la cause est entendue, je ne partirai pas. Mais j’apprendrai à me couler dans ce qui vient d’advenir et me paraît le seul, mais réel, acquis de ces temps de méchante houle : la naissance d’une opinion publique dans l’Église.
Une fois cette conviction posée, reste à apprendre à ajuster au mieux ses critiques avec le souci réel de vivre ensemble, dans l’Église. Il est incontestable que le Web a favorisé l’éclosion d’une parole spontanée, plus libre. Mais celle-ci a aussi été violente, parfois à l’excès. Était-ce l’effet de ce double anonymat, émetteur sous pseudo, destinataires fragmentés derrière l’écran ? Ou bien une caractéristique propre à la matière religieuse, à l’image de ces furieux débats qui émaillèrent les premiers siècles chrétiens, lorsque les frondes théologiques – entre évêques ! – ont généré toutes sortes de violences, d’exactions, de coups de mains mercenaires, de crimes même, puisque le malheureux émissaire de l’évêque de Rome, Flavien, en est même mort (« brigandage » d’Éphèse, en 449) ! Ou bien cette parole encore à la recherche de son propre écho estelle la conséquence d’une atonie du débat interne dans le monde catholique, atonie elle-même adossée à l’hypertrophie actuelle du ministère de Pierre, contraire à la plus grande tradition chrétienne ?
Toujours est-il qu’il serait bon de se donner les lieux et les moments de vraiment vivre le débat en Église. La lettre du pape montre son désir d’expliquer, de ne pas cacher ses propres erreurs. Dommage qu’elle n’ait été destinée qu’aux seuls évêques, alors que les réactions de la base, celles des fidèles, ont été déterminantes. Il revient maintenant aux Églises locales, clercs et simples laïcs, aux mouvements et aux médias catholiques (aux médias non catholiques même, qui ont hébergé les opinions « dissidentes »), de multiplier les initiatives qui prouveront qu’on peut débattre à visage découvert, dans le respect, que l’on peut s’écouter et non s’anathématiser. Seul ce qui se fait « à visage d’homme », selon la parole forte de Mgr Rouet, peut faire tomber la vindicte de certains fidèles autant que la langue de bois magistérielle.
Aujourd’hui, nous avons tous besoin de ce contact direct, d’une proximité presque charnelle. D’incarnation, en somme. D’une Église qui sache inviter autour du feu et disposer les fauteuils pour faire cercle et se parler. L’heure vient, elle est venue, d’inventer dans la parole échangée l’Église de demain.
J’apprendrai à me couler dans ce qui vient d’advenir et me paraît le seul, mais réel, acquis de ces temps de méchante houle : la naissance d’une opinion publique dans l’Église.
Auteur : Anne Soupa, présidente du Comité de la jupe
Source : La Croix, édition du 11 mai 2009