Saint Siège-République française : un accord anti-laïque sur la reconnaissance des diplômes
Un accord signé entre la République française et le Saint Siège sur “la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur” remet en cause les principes laïques. De quoi s’agit-il ?
La situation actuelle
Les établissements d’enseignement supérieur privés sont régis par l’article L 731 du Code de l’Education. Il existe des instituts catholiques à Paris, Lille, Lyon, Toulouse et Angers (qui a essaimé à La Roche-sur-Yon en 1990). Contrairement à la loi (Article 4 de la Loi du 18 mars 1880), ces instituts utilisent la dénomination “universités catholiques”. Il existe également des facultés de théologie protestante à Paris, Montpellier, Vaux-sur-Seine et Aix-en-Provence. Par ailleurs, dans le cadre du droit local, les facultés de théologie protestante et de théologie catholique sont intégrées dans l’Université publique de Strasbourg.
Le 18 décembre 2008 un accord sur “la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur” a été signé par Bernard Kouchner, Ministre des affaires étrangères et européennes, et Dominique Mamberti, secrétaire au Saint Siège pour les relations avec les Etats. Un décret du 16 avril 2009 en porte publication. Cet accord pose une série de problèmes : il remet en cause la laïcité de la République ; il n’a pas été validé par le Parlement ; il met fin au monopole de la collation des grades. Il doit par ailleurs être examiné dans le cadre du processus de Bologne sur la reconnaissance mutuelle des diplômes en Europe.
Inadmissible pour trois motifs
La laïcité de la République est mise à l’épreuve dans son principe même de non reconnaissance des cultes affirmé dans la Loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905. Celui-ci est décliné dans la laïcité de l’enseignement public selon le Titre IV du Code de l’Education. On voit mal comment la République française pourrait reconnaître la validité de “diplômes ecclésiastiques” portant sur des disciplines telles que la théologie ou le droit canonique. Les termes même de “diplômes ecclésiastiques” ravalant au rang de “matières profanes” toutes les autres disciplines.
De plus l’article 53 de notre Constitution est très clair : “Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’Etat, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi”. Un simple décret de publication, tel que celui du 16 avril, ne saurait escamoter le passage impératif devant le Parlement. Les structures de consultations telles que le Haut conseil de l’Education, le Conseil supérieur de l’éducation ou le Conseil national de l’enseignement supérieur devraient également être mises à contribution. La Conférence des présidents d’université a d’ores et déjà explicitement condamné cet accord dans une lettre au président de la République.
Enfin, la Loi du 18 mars 1880 affirme dans son Article 1 : “Les examens et épreuves pratiques qui déterminent la collation des grades ne peuvent être subis que devant les facultés de l’État” et, dans son article 5, “Les titres ou grades universitaires ne peuvent être attribués qu’aux personnes qui les ont obtenus après les examens ou concours réglementaires subis devant les professeurs ou jurys de l’État”. Ce principe du monopole de la collation des grades est inscrit dans l’article 613-1 du Code de l’Education et a été réaffirmé par un avis du Conseil d’Etat en 1984. Or, selon l’accord en question, les titres et grades délivrés par les établissements privés supérieurs catholiques seraient reconnus par l’Etat. On peut se demander dans quelle mesure ces dispositions pourront être utilisées par les établissements catholiques de formation des maîtres pour éviter de se rattacher à une Université.
Pour protester et préparer l’avenir
Cet accord contrevient donc manifestement à plusieurs dispositions fondamentales du droit français. Il a suscité une levée de boucliers. Les organisations laïques ont émis de nombreuses protestations et préparent des recours auprès du Conseil d’Etat. Le “Comité 1905 du Var” a été le premier à le faire, en y associant une pétition sur son blog.
Toutefois la dénonciation légitime de cet accord doit s’accompagner d’une réflexion plus globale. En 1999 une conférence à Bologne (Italie), suivie d’une déclaration commune de 29 pays européens, a lancé le processus de Bologne visant à assurer la cohérence en Europe des systèmes universitaires nationaux. Ce processus s’est élargi à l’ensemble des 47 pays de l’Europe continentale. Il vise à créer un Espace européen de l’enseignement supérieur d’ici 2010. Le Saint Siège est partie prenante de ce processus. On ne saurait ignorer cette dimension, devenue fondamentale.
Auteur : Charles Conte, chargé de mission laïcité à la Ligue de l’enseignement
Source : site du Café pédagogique, 13/05/09