“La justice contraint le gouvernement à différer la réforme de l’aide aux étrangers”, par Laetitia Van Eeckhout
La justice vient d’infliger un revers au gouvernement. Le ministère de l’immigration souhaitait casser le “monopole” de la Cimade qui, depuis vingt-cinq ans, assure la mission d’aide aux étrangers placés en centre de rétention. La réforme devait entrer en vigueur mardi 2 juin. Une décision de justice oblige le ministre à prolonger de trois mois le contrat de la Cimade.
Saisi de deux recours, l’un déposé par cette association, l’autre par le Gisti, le Syndicat des avocats de France (SAF) et de l’Association des avocats pour la défense des étrangers (ADDE), le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu, samedi 30 mai, l’exécution des contrats partageant désormais la mission d’assistance entre six”prestataires” : la Cimade, France Terre d’Asile, Forum Réfugiés, l’Assfam (Association service social familial migrants), l’Ordre de Malte et le fameux Collectif respect, association jusqu’alors inconnue en matière d’aide aux étrangers. Arguant qu’il y avait ” urgente nécessité”, le ministre avait signé le 10 mai ces nouveaux contrats, sans attendre que ce même tribunal, saisi d’un précédent recours, se soit prononcé, ce qu’il devait faire le 13 mai.
Dans son ordonnance, le juge relève deux éléments propres à créer un “doute sérieux quant à la légalité du marché“. Déjà, note-t-il, les prestations stipulées dans le marché “ne comportent que des actions d’information, de mise à disposition de documentations et de tenue de permanences“. Rien en revanche sur “l’assistance juridique“, pourtant essentielle, souligne-t-il, pour permettre à l’étranger retenu “qui maîtrise mal le français et n’a pas de compétence juridique” de former un recours contre la mesure d’éloignement dont il est l’objet. Les prestations fixées par le ministère ne permettent pas d’assurer aux étrangers retenus “l’exercice effectif de leurs droits“, objectif pourtant fixé par le législateur.
Le juge constate que l’un des prestataires retenus, le Collectif Respect, n’a pas justifié “des garanties professionnelles, techniques et financières requises” pour assurer la mission d’assistance auprès des étrangers retenus.
Prenant acte de la décision du juge, le ministre a proposé dimanche à la Cimade de prolonger encore d’au moins trois mois sa mission en rétention,”afin de permettre aux étrangers en situation irrégulière retenus d’être toujours suivis, accompagnés“. Une décision jugée ” raisonnable” et regardée comme un “acte d’apaisement” par les quatre autres lauréats, l’Assfam, Forum réfugiés, France Terre d’Asile et l’Ordre de Malte. Celles-ci soulignent toutefois “l’aspect préjudiciable pour elles-mêmes” de cet “imbroglio judiciaire“.
OUVRIR LA CONCERTATION
Réfutant avoir été pris à revers, Eric Besson, invité dimanche de l’émission “DSP” (iTélé-France Inter-Le Monde) assure n’avoir “jamais voulu transformer la mission des associations“. “Si le juge administratif estime qu’il y a ambiguïté, j’ajouterai le ou les mots nécessaires pourque cela soit limpide“, a-t-il dit, soulignant que l’affaire n’était pas encore jugée sur le fond. Ce faisant, il se félicite d’ores et déjà de la non remise en cause par le tribunal du “principe essentiel de la réforme” qui consiste à ouvrir le marché à plusieurs associations.
La Cimade a toujours assuré ne pas s’opposer à un partage de son rôle. Comme nombre d’associations telles le Gisti, le SAF, l’Anafé, la LDH, le Secours catholique et d’autres encore, elle estime cependant que la réforme engagée par le ministère démantèle la mission d’aide aux étrangers en rétention, en plaçant les prestataires en concurrence et en ôtant toute vision d’ensemble. Le gouvernement a, de fait, renoncé à maintenir une mission nationale d’ensemble assurée conjointement par plusieurs associations, choisissant l’éclatement. La réforme découpe ainsi en ” huit lots” la centaine de centres de rétention répartis à travers laFrance, lesquels ont été partagés entre six “prestataires”.
La réforme étant suspendue jusqu’à l’examen au fond des recours, la Cimade appelle le ministère à ouvrir “de toute urgence” une concertation avec les associations. Il faut, dit-elle, “dégager une solution permettant de garantir et de maintenir une réelle assistance juridique aux étrangers retenus” et “renouer des relations saines” entre le gouvernement et les associations.
Auteur : Laetitia Van Eeckhout
Source : Le Monde, édition du 2 juin 2009