“Une Eglise en attente de débats”, par Elodie Maurot
Depuis le début de cette année 2009, les crises successives qui ont traversé l’Église catholique ont occasionné de nombreuses réactions, de multiples courriers et courriels, des discussions sur le parvis des églises… Ces prises de parole, instinctives autant que raisonnées, amènent à poser la question de la place du débat dans la vie de la communauté chrétienne. « Aujourd’hui, il faut bien reconnaître que le débat est un peu atone », répond le P. Paul Valadier.
Ce jésuite, philosophe au Centre Sèvres (Paris), se réjouit, du coup, de l’élan provoqué par les récentes difficultés. Un constat de fond que confirme le P. Frédéric Louzeau, président de la faculté Notre-Dame à Paris : « Les débats de l’après-Concile n’ont pas trouvé de solution de fond. Si, aujourd’hui, les questions ne sont pas posées, ce n’est pas parce que les problèmes n’existeraient plus, mais parce que nous n’avons plus la force de les régler. »
Les difficultés éprouvées par l’Église devant le débat ne datent pas d’hier. Sans doute l’ecclésiologie très hiérarchique développée tout au long du XIXe siècle, en réaction défensive à la démocratisation des sociétés européennes, a laissé des traces tenaces. Malgré l’expérience profonde de dialogue réalisée à Vatican II et sa vision du Peuple de Dieu, l’opposition entre « Église enseignante » et « Église enseignée » ne s’efface que lentement.
“On considérait qu’il n’y avait dans l’Église rien à inventer”
« Comme évêque, témoigne Mgr Jacques Noyer, évêque émérite d’Amiens, j’ai souffert de ne pas avoir pu vivre une Église suffisamment disposée au débat, à la recherche, à l’écoute réciproque, à l’invention pour faire vivre l’Évangile aujourd’hui. Cela tient au fait que, jusqu’à encore récemment, on considérait qu’il n’y avait dans l’Église rien à inventer, mais seulement des choses à mieux faire comprendre, à mieux expliquer. »
Parmi les difficultés plus récentes : une moindre visibilité des intellectuels catholiques, la diminution des écoles de théologie et des associations chrétiennes. Le départ silencieux de fidèles à partir des années 1970 apporte sa part d’explication. « Beaucoup de ceux qui animaient le débat dans l’Église sont partis », rappelle l’historien Denis Pelletier. Dans un mouvement inverse, les nominations épiscopales n’ont pas toujours promu des pasteurs très à l’aise dans le débat. « Cela peut devenir douloureux, quand un évêque estime ne pas avoir besoin de débat dans son diocèse », confie un vicaire épiscopal.
« Les problèmes de réorganisation de l’Église sont tellement lourds qu’ils absorbent toutes les énergies, note le P. Frédéric Louzeau. Peu de lieux peuvent donner du temps, des personnes pour faire le travail du théologien, comme nous cherchons à le faire à la faculté Notre-Dame. Cela suppose des choix difficiles. » La pâte humaine et les résistances psychologiques ont bien sûr aussi leur part. « La projection d’une image maternelle absolue, vis-à-vis de l’Église, peut entraîner un rapport de soumission qui empêche une appropriation de la filiation, souligne Jean-François Noël, prêtre et psychanalyste. L’Église devient alors une figure intrusive où il n’y a pas de place pour penser, pour être soi-même. »
“La crise actuelle touche la question de l’appartenance au catholicisme”
Pourtant, les sujets ne manquent pas au sein de la communauté catholique. « Le débat qui occupe le plus les esprits est lié à la question des ministères, à la question du respect de la “citoyenneté ecclésiale” du laïc », estime le P. Bernard Sesboüé, théologien au Centre Sèvres. Sur la place des laïcs dans l’Église, la conversion doctrinale s’est faite à Vatican II, explique-t-il, mais elle n’est pas complètement passée dans les faits : « Le respect de la responsabilité chrétienne du laïc, au nom même de son baptême, n’est pas acquis. »
Ces dernières semaines, les débats sur l’intégrisme, puis la morale (excommunications de Recife) ont amené beaucoup de catholiques à s’interroger sur leur identité même. « La crise actuelle touche la question de l’appartenance au catholicisme, et l’affrontement entre catholiques a lieu sur les critères qui permettent de définir cette appartenance », analyse Denis Pelletier.
Si l’envie de débats se manifeste, la conjoncture ecclésiale garde sa météo propre, redoutant parfois les « perturbations » que provoque tout débat. « Aujourd’hui, l’Église vit dans une ambiance de normalisation, analyse le P. Sesboüé. C’est un peu lié aux excès de langage ou d’interprétation qui ont pu avoir lieu après Vatican II. Du coup, nous vivons une période où poser certains problèmes semble incongru. » Parmi ceux-ci, la crise de renouvellement du corps presbytéral, une crise « manifeste et gravissime » pour le théologien.
Le débat avance doucement
Pourtant, le sujet n’a pu être discuté lors de la visite de Benoît XVI aux évêques à Lourdes, en septembre dernier. « Aucun évêque n’a eu la possibilité de remettre le problème du renouvellement du corps presbytéral entre les mains du pape, déplore le jésuite. Alors même que les évêques sont paniqués devant la perspective qu’il n’y aura, dans quelques années, que très peu de prêtres actifs dans certains petits diocèses, et que le maillage paroissial s’effondre en de nombreux endroits. On aurait pu imaginer que le pape reparte à Rome en emportant avec lui cette question… »
En dépit des difficultés, hésitations ou résistances, le débat avance doucement, comme le montre l’expérience des synodes et des conseils paroissiaux, presbytéraux ou diocésains. « Aucun groupe n’est humain s’il n’y a pas d’échanges de paroles. Une famille où l’on ne se parle pas est une famille morte », résume le P. Valadier. « L’Église n’est pas une société d’autorité, mais une société où l’adhésion est centrale, relève le dominicain Jean-Paul Durand, professeur de droit canonique à l’Institut catholique de Paris. Si l’adhésion n’est pas cultivée, comment les gens peuvent-ils rester chrétiens ? »
Comment, aussi, accompagner alors ceux pour qui le dialogue reste accessoire, voire incongru ? « Le débat dans l’Église n’est pas quelque chose de superficiel ou de social. Il engage des liens au Christ vers le Père dans l’Esprit Saint », répond le P. Durand, rappelant qu’il existe un « régime du débat » dans l’Église catholique, « même s’il est largement ignoré ». « Le droit canonique indique que c’est un droit, un devoir et même une obligation pour tout fidèle de faire connaître à son évêque et aux autres chrétiens son “opinion” », précise-t-il.
“L’Église n’est pas une démocratie “
« Il ne faut pas avoir peur de poser des questions. Mais il faut les poser de manière raisonnable et raisonnée, conclut Bernard Sesboüé. Ce qui a fait beaucoup de tort à la conception du débat dans l’Église, c’est qu’on l’a parfois présenté au nom d’une conception immédiatement démocratique de l’Église. Or, l’Église n’est pas une démocratie – pas plus qu’une monarchie -, mais il y a en elle des éléments de responsabilité démocratique. N’oublions pas que c’est l’unanimité des fidèles qui est dépositaire de l’infaillibilité de l’Église. »
Pour Mgr Noyer, c’est l’Évangile lui-même qui invite au débat : « Le Christ n’a pas donné un texte, une loi, une institution, souligne l’ancien évêque d’Amiens. Il a donné son Esprit – et pas à une personne, mais à l’Église tout entière -, sous la forme de langues, comme pour nous inviter à dire les choses, à les dire ensemble à travers un échange qui s’enrichit des expériences de tous. »
Auteur : Elodie MAUROT
Source : La Croix, édition du 29 mai 2009
Quel souffle dans les paroles de Jacques NOYER ! Des paroles qui entretiennent l’espoir d’un printemps après la glaciation actuelle… Mais Dieu que l’hiver est est pénible et coûteux ! Comment faire bouger ce grand corps malade d’un cléricalisme anachronique qui le défigure et le transforme en repoussoir, pour ses enfants mêmes ? La Résurrection suppose une mort préalable… et c’est peut-être cela que nous vivons… dans l’Espérance évangélique d’un renouveau prochain. Foi, espérance et amour sont nos points d’appui en cette période si difficile.