Position de l’O.C.L. sur le voile intégral
1°) Certes on ne peut pas interdire dans la société civile (indépendamment de ce que dit la Loi dans le cadre de l’école et des fonctionnaires des services publics) des vêtements ou autres symboles d’appartenance religieuse… (comme par exemple des soutanes, des cols romains, ou le port de croix, médailles et autres symboles religieux sous forme de bijoux ou de « badges ») qui relèvent du libre choix de l’expression des opinions et convictions des citoyennes et des citoyens dans les limites du respect de l’ordre public et du respect des libertés d’autrui.
2°) Il n’est pas question d’imposer – même sous une forme d’interdit – un « uniforme-citoyen » ce qui serait bien évidemment une autre forme d’identification idéologique… dans le cadre de ce que Hannah Arendt appelle la laïcité totalitaire. Sur ce point les analyses de Catherine Kintzler concernant le simple voile ou fichu semblent convaincantes.
Mais à l’évidence le port du voile intégral rend impossible la reconnaissance de l’identité d’une personne (comme celle d’une mère allant chercher ses enfants à l’école, ou d’une personne se présentant à des contrôles, des guichet de services publics, des contrôles dans les transports publics et autres lieux semblables). Quel professeur ou quel médecin sérieux accepterait de ne pas voir le visage d’un élève ou d’un patient ? Comment peut on déclarer mariés dans une mairie un couple dont la moitié n’est pas identifiable car elle se dissimule sous un voile ?
Le voile intégral interdit l’identification dans un certain nombre d’actes de la vie civile où cette identification est exigée puisque l’identification est rendue impossible par la dissimulation du visage. Si les droits des citoyens doivent être les mêmes pour tous, il en est de même pour les devoirs !
3°) Il y a aussi l’argument de la sécurité qui n’est pas à exclure (il est vrai qu’un porteur de bombe s’est déjà dissimulé ailleurs qu’en France sous ce genre de vêtement). Mais sans en faire le motif principal d’une décision – car une approche trop sécuritaire risque d’être très réductrice et peut être susciter une méfiance supplémentaire à l’égard de l’Islam.
Il faut donc vérifier que la Loi est précise, claire et complète pour tous ces types de cas – décrits ci-dessus – et qu’elle interdit absolument le port du voile intégral dés lors que la reconnaissance de l’identité est exigible. Au cas où un doute subsisterait dans le cadre de la législation actuelle et au cas où la Loi ne pourrait être invoquée pour exiger la « levée du voile », il faut que la législation soit complétée au moins dans ce domaine.
4°) Plus fondamentalement pour que la Société soit possible, il faut affirmer qu’en toutes circonstances et en tout lieu public chacun doit pouvoir entrer en relation avec un VISAGE HUMAIN et non pas avec des personnes complètement occultées. Sans ce lien corporel minimum (qui n’interdit pas des cheveux couverts par un fichu ou un simple voile) il n’y a plus de relation sociale possible. Comment simple interlocuteur échanger avec un personnage fantomatique ? Comment interpeler ou entendre une forme sans visage ?
De plus nous avons la conviction – qui est sans doute partagée par une grande majorité de citoyens de toutes convictions, y compris bien entendu musulmane – que le voile intégral est le symbole (et la réalité) d’une aliénation grave de la femmes dans ce qui fait l’intégrité de son être à la fois corporel, spirituel… et relationnel ! Bref une atteinte à sa personne.
Certes il convient de savoir en même temps que des femmes portant ce voile intégral affirment le faire en toute liberté voire « se sentir » plus libres sous cette « protection » du regard des hommes. Elles disent que leur interdire cette protection « voulue par Dieu » serait contraire aux droits humains…
Ces croyances même si elles sont sincères ou non imposées se heurtent à la conception des rapports sociaux entre femmes et hommes dans le cadre du respect des droits humains. Un choix éclairé s’impose donc.
On ne saurait écarter la nécessité pour le législateur d’une analyse de ce qu’est la personne humaine et des droits qu’elle a. On ne saurait récuser a priori le droit d’une personne à vivre selon ce qu’elle considère sincèrement comme lié nécessairement à l’expression de sa croyance religieuse. Cependant on conviendra que, juridiquement, la liberté sans limite ne peut être accordée purement et simplement car elle peut causer de graves dégâts humains. On le comprend assez facilement quand il s’agit de réalités comme la polygamie, l’excision des petites filles, le refus de la transfusion sanguine pour leurs enfants par les témoins de Jéhovah, l’enfermement « éducatif » des enfants dans une secte… etc. Or le voile intégral a, de fait, là où il est imposé (par exemple dans des Etats ou des lieux où le pouvoir est tenu par des islamistes totalitaires) une signification d’extrême mépris pour les femmes, et fait référence à une idéologie qui implique l’infériorisation des femmes par rapport aux hommes, même si, en certains cas, les victimes de cette idéologie ne s’en rendent pas compte. De tels comportements ne risquent ils pas de jeter l’opprobre sur l’ensemble des musulmans et de provoquer une fracture au sein de la société ?
Une Loi interdisant le port du voile intégral dans le domaine public peut donc être envisagée dans la mesure où le port du voile intégral est objectivement une forme de rupture du lien social, en général notamment sous l’angle de l’égalité des hommes et des femmes.
Conséquence importante : Il nous semble très clair et indispensable qu’en tout état de cause la protection par la justice, la police et toute autre médiation sociale, des femmes qui refusent le voile intégral (et tout autre sorte de vêtement ou signe corporel) alors que la pression familiale ou communautariste contraindraient à le porter, doit être très clairement affirmée dans le texte de la Loi ou tout autre texte adopté après la consultation parlementaire.
5°) Enfin nous notons que la question de la tolérance ou l’interdiction du voile intégral n’est pas principalement une question de laïcité.
Néanmoins elle en relève dans la mesure où juridiquement la laïcité affirme l’antériorité de la loi démocratiquement élaborée et votée sur les « lois » religieuses – ou prétendues telles – dès lors que des citoyens, en l’occurrence des citoyennes, sont menacés de violence ou que les relations sociales sont menacées de déstructurations déshumanisantes. Cela ne donne pas de critère absolu mais demande pratiquement des analyses rationnelles critiques et des débat sérieux. En effet ce n’est pas parce qu’une règle est édictée dans un contexte religieux qu’elle n’a pas de valeur humaniste et donc universelle ou universalisable mais il convient d’établir ce qu’il en est par un dialogue ouvert et rigoureux à la fois. Sur le plan religieux tout semble d ‘ailleurs indiquer que la grande majorité des musulmans ne considère absolument pas comme une obligation religieuse ou spirituelle le port du voile intégral et même le condamnent.
On doit donc se demander si le port du voile intégral est un risque ou non de violence aux personnes et/ou de rupture des bases mêmes du lien social démocratique. C’est bien sur ce terrain que notre réflexion s’est portée.
Texte adopté par l’O.C.L. lors de sa réunion du vendredi 11 septembre 2009