Des “cathos de l’intérieur” expriment une parole critique au sein de l’Eglise, par Stéphanie Le Bars
L’affaire a commencé comme une de ces mauvaises blagues qui ne font rire que leur auteur. Elle continue un an plus tard, dans la rue, à Paris et en province, où des fidèles catholiques devaient participer à une marche, samedi 10 et dimanche 11 octobre, pour témoigner de leur malaise face aux orientations actuelles de l’Eglise.
Anne Soupa
Retour sur ces quelques mois où l’on vit des “cathos de l’intérieur” manifester des signes de ras-le-bol et de contestation. En novembre 2008, le cardinal André Vingt-Trois, président de la Conférence des évêques de France et archevêque de Paris, interrogé sur la place des femmes dans l’Eglise, répond en ces termes : “Le tout n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête.”
La phrase de trop pour Anne Soupa et Christine Pedotti, deux catholiques “centristes” engagées de longue date dans l’Eglise. Déterminées à “ne pas laisser passer ça“, mais toutes pétries de culture catholique, elles déposent plainte devant… le tribunal ecclésiastique, au nom de l’association créée pour l’occasion, le “Comité de la jupe“.
L’affaire n’ira pas plus loin, l’archevêque ayant apporté des nuances à son propos. En revanche, elle suscite de nombreuses réactions, qui se greffent sur le trouble des catholiques français qui s’est exprimé début 2009. Ils ont été secoués par la décision du pape Benoît XVI de tendre la main aux intégristes et par l’excommunication, décidée par un évêque brésilien, de médecins qui pratiqué un avortement sur une fillette violée.
Avec ses 500 sympathisants, le Comité de la jupe ambitionne de représenter ceux qui ne veulent “ni partir ni se taire” afin d’empêcher le “schisme silencieux” qui parcourt l’Eglise. “Nous ne sommes pas des militantes féministes, se défendent les deux intellectuelles, posées, âgées de 52 et 62 ans. Mais c’est vrai que la place des femmes dans l’Eglise est emblématique de beaucoup de problèmes actuels : la non-représentation des laïcs, la discrimination envers certains groupes, la privation de parole.”
Au nom de ces “sans voix“, Anne Soupa et Christine Pedotti ne mâchent pas leurs mots. “La parole est verrouillée, les fidèles n’osent pas parler de peur d’être accusés de “tirer sur une ambulance”. Les religieux sont contraints au double langage et les laïcs qui font tourner l’Eglise sont considérés comme des supplétifs...” Relayant un grief récurrent dans certaines paroisses, elles contestent aussi le virage “clérical” de l’institution, avec la prééminence accordée aux prêtres. “Pour faire face à la crise des vocations, l’Eglise considère qu’il faut redonner aux prêtres une situation d’autorité, faire de la prêtrise un job gratifiant, quitte à marginaliser les laïcs engagés, qui de fait sont surtout des femmes.”
Dans ce contexte, elles défendent “bien sûr” l’accès à la prêtrise pour les hommes mariés et pour les femmes, tout en reconnaissant que “la question n’est pas mûre“. “Quand on voit que, dans leur obsession de “pureté”, certains prêtres interdisent aux petites filles d’être enfants de choeur à part entière“, s’emporte Christine Pedotti.
“Le risque actuel, c’est que l’Eglise ne soit plus catholique, c’est-à-dire ouverte et universelle, mais qu’elle apparaisse fermée à la souffrance humaine, moralisatrice, empreinte de juridisme“, juge sans hargne Anne Soupa, sept ans de théologie à son actif. Le pontificat de Benoît XVI s’inscrit dans cette évolution “réactionnaire” qui “risque de transformer l’Eglise en une secte, en un groupement de clones“, analysent les deux femmes. “Sous Jean Paul II aussi cette tendance existait, mais elle était masquée par son charisme.”
Le Comité de la jupe “pose de vraies questions“, reconnaît un évêque, qui souligne que, “justement“, la prochaine assemblée des évêques, en novembre, devrait lancer une réflexion sur “la mission des laïcs dans l’Eglise“. Mais globalement, l’institution ne goûte guère une critique interne qui se veut pourtant plus réformiste que révolutionnaire.
Au sein du clergé, des voix singulières partagent toutefois le diagnostic. Dans l’ouvrage qu’il vient de publier, J’aimerais vous dire (éd. Bayard, 2009), l’une des figures de l’épiscopat français, l’archevêque de Poitiers, Albert Rouet, reconnaît : “On ne peut pas faire des chrétiens des mineurs irresponsables dans l’Eglise. Je pense très profondément que la manière de vivre en Eglise n’est pas adaptée au monde dans lequel nous vivons.” Il appelle l’institution à “repenser sa manière d’être“.
De l’eau au moulin du Comité de la jupe, qui, quel que soit le succès des “marches catho-citoyennes”, espère contribuer au réveil d’une opinion publique dans l’Eglise.
Auteur : Stéphanie Le Bars
Source : Le Monde, édition du 10 octobre 2009