Qu’est-ce qu’être catholique aujourd’hui ?
Un succès : plus de 400 personnes se pressaient le 22 septembre dernier à
Lyon, dans un amphithéâtre de l’Université catholique. Invités par les Amis de La Vie, le CCFD et la pastorale des jeunes, l’archevêque de Lyon, le cardinal
Philippe Barbarin et Guy Aurenche (président des Amis de La Vie et du
CCFD) tentaient de répondre à une question faussement simple : « qu’est-ce
qu’être catholique aujourd’hui ? » Une occasion d’aborder de nombreux
thèmes qui font débat dans l’Eglise. Quelques extraits d’un échange intéressant.
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Etre catholique
Cardinal Barbarin : Etre catholique, c’est d’abord être chrétien, et suivre Jésus. Le suivre, c’est être certain de sa présence indéfectible, c’est semer l’Evangile en étant à la fois le semeur et le grain… Etre catholique, c’est être certain que dans n’importe quel de mes actes, j’engage le monde entier, et j’ai le souci de tous. Un catholique se met au service de l’homme, et de tout le corps social, comme Jésus s’est fait serviteur, et comme l’Eglise est servante. Il n’a pas peur de se confronter aux affaires du monde. Jean-Paul II donnait un exemple, dans Centesimus annus : un chef d’entreprise catholique sait prendre des risques, il crée des emplois, il fait du profit, c’est bien… Et il ajoutait, après ces trois points de suspension : tout dépend de ce qu’il en fait ! Pour nous mettre en marche, pour se ressourcer, nous avons besoin, en amont, du silence et de la prière. Comme Jésus le faisait, avant d’aller enseigner sur dans les campagnes et les villages.
Guy Aurenche : Plutôt qu’ « être catholique », je m’interroge sur le « comment vivre catholique » ! Pour vivre catholique aujourd’hui, devenons chrétiens, en appétit de l’autre. Regardons notre prochain avec notre cœur, pas seulement avec nos yeux et notre cerveau ! « Donne moi à boire », dit Jésus à la Samaritaine. Autrement dit : j’ai besoin de toi ! Si tu n’est pas là, je ne peux continuer ma route.
Vivre chrétien et catholique c’est découvrir les enjeux de l’universalité – le contraire de l’uniformité – qui se décline dans la diversité et la pluralité. Cette diversité est possible grâce à la collégialité. Elle est difficile à vivre… Mais si la collégialité avait fonctionné avant la décision de lever l’excommunication de quelques évêques intégristes, on aurait évité beaucoup de difficultés et de polémiques !
Vivre catholique, c’est donner la priorité au relèvement des hommes et des femmes écrasés par la misère, et dont nous devons briser la solitude. Enfin, pour agir, nous devons vivre et risquer des alliances avec des sociétés différentes, hors du monde chrétien. C’est ce que nous faisons au CCFD…
La rencontre de l’Eglise et du monde
Guy Aurenche : L’Eglise a un problème… On ne la perçoit pas comme une interlocutrice. Elle a pourtant une parole à dire sur des questions graves. Notre priorité, à nous chrétiens ? Ouvrir le monde à cette parole. Mais parlons net : si les médias ne comprennent pas ce que dit l’Eglise, ce n’est pas la faute des journalistes, mais de celui qui parle ! Lorsque le pape écrit dans sa récente encyclique « un humanisme sans Dieu est un humanisme inhumain », je comprends ce qu’il veut dire : il refuse de faire de l’Homme le début et la fin. Or le plus grand nombre ne peut entendre ces raccourcis dogmatiques. Trop souvent, nous chrétiens, nous utilisons une parole inaudible, sans vraiment chercher à toucher le cœur.
Mgr Barbarin : Attention à ne pas trop idéaliser… Il existe chez l’homme de fortes résistances, des blocs de refus, il n’a pas envie d’entendre certaines paroles. Jésus lui-même s’est heurté à cette surdité. Saint Paul a été écouté à Thessalonique, mais rejeté à Corinthe… Beaucoup s’en prennent à l’Eglise, lui adressent des reproches. Lorsque quelqu’un crie, c’est parce qu’il souffre, et nous devons l’écouter. Au mois de mars, lors de l’affaire des déclarations du pape sur le préservatif, une centaine de manifestants est venue crier devant la basilique de Fourvière, à l’heure de la messe : « Benoît XVI assassin, Barbarin complice ! ». Je les ai invité à boire l’apéritif à l’évêché. Une quinzaine sont venus, la discussion a duré une heure et demie. Ils ont dit ce qu’ils avaient sur le cœur. Et ensuite, direz-vous ? Ensuite, la foi est plus puissante que la souffrance.
Les jeunes prêtres
Guy Aurenche : J’avoue être effrayé par certains jeunes prêtres, qui s’enferment dans une fonction d’autorité, dans leur rôle de clercs !. Il regardent les laïcs comme des concurrents, des inférieurs. Ils refusent de voir en eux des co-responsables de la communauté. Parfois, le travail en commun devient même impossible. D’où cela vient-il ? De leur formation ? D’une difficulté à entrer en relation ? Peut-être de leur isolement. Je suis sidéré de la solitude dans laquelle ils vivent.
Mgr Barbarin : Il y a quarante ans, nous avons vécu exactement le contraire. On parlait alors des « nouveaux prêtres ». Ils portaient des pull-overs rouges, roulaient en moto et fumaient avec les jeunes au pied des immeubles des cités. Certains s’en scandalisaient. Aujourd’hui, de jeunes prêtres souhaitent remettre la soutane et le surplis. Est-ce si important ? Les générations se suivent et ne se ressemblent pas. Les plus anciens ont du mal à voir arriver des plus jeunes en rébellion contre ce qu’ils ont été… Sur le fond, il nous faut retrouver le sens du sacerdoce, sous peine de lendemains douloureux.
L’Eglise tient un discours très normatif sur les questions de morale et de bioéthique. Or il y a un décalage entre le discours et la vie…
Guy Aurenche : Il n’est pas anormal qu’existe un décalage entre le discours du magistère, et la manière dont je le reçois. La parole de l’Eglise a une vocation universelle. Mais la tonalité de la parole doit s’améliorer. Sur les divorcés remariés, par exemple, pourquoi ne pas dire : « ton appétit d’amour ,je l’ai entendu, nous allons creuser ensemble, prendre des risques. » Laissons la porte ouverte, avec des mots d’encouragement, pas seulement d’interdiction. Ne poursuivons pas le diptyque permis/défendu.
Mgr Barbarin : Cessons de croire que tout débat est clos d’avance ! Mgr Pierre d’Ornellas, l’archevêque de Rennes, a beaucoup travaillé, avec son équipe, sur les questions de bioéthique. Il a écouté toutes les propositions contradictoires. La position de L’Eglise n’est pas d’un bloc. Reprenez les textes : elle dit oui aux transplantation d’organes. Elle se prononce contre le clonage reproductif, mais pas contre celui qui réplique des cellules. Je n’aime pas que l’on présente la pensée de l’Eglise comme une succession de slogans.
La place des femmes dans l’Eglise
Mgr Barbarin : Je crois à la complémentarité des femmes et des hommes, sur fond de différence, dans l’Eglise comme ailleurs. Dans mon ministère, j’ai toujours constaté que les femmes me disaient à l’oreille des vérités que je n’avais ni vues, ni entendues. Nous avons souvent des difficultés à accepter la différence dans les lieux de responsabilités. Quoiqu’il en soit, les femmes sont présentes là où l’Eglise agit. Quand Mère Teresa se met au service d’hommes et de femmes qui meurent sur les trottoirs de Calcutta, elle donne amour et tendresse, et l’Eglise vit en elle.
Guy Aurenche : L’Eglise soit s’interroger sur la place qu’elle accorde aux femmes, sur les responsabilités qu’elle leur accorde. La question se pose, elle n’est pas taboue. Pourquoi ne pas la mettre à plat, en évitant de répéter des « vérités éternelles » ? Je dirai : « Eglise, peut mieux faire » !
Auteur : Gérard Desmedt
Source : lavie.fr, 02.10.2009