Une rencontre de Jésus, par Claude Bouret
À propos du mot rencontre, on dit souvent de quelqu’un : « je l’ai rencontré », alors qu’on l’a simplement « croisé ». Il faudrait dire plutôt « comment » on a rencontré quelqu’un. La rencontre est au cœur de nos vies, et il y a danger de SE rencontrer dans ces rencontres, en restant indéfiniment prisonnier de la non-altérité. Le « JE » est au cœur de la rencontre, qui suscite le « TU » de l’autre. Le TU qui est en face de moi peut me permettre de dire JE et réciproquement. Il y a diversité des chemins, donc intensité des échanges. La rencontre de Jésus avec ses apôtres n’est pas celle de Jésus avec la foule.
Demandons-nous ce que nos rencontres ont changé en nous. D’abord regarder l’autre. Refuser de rencontrer un regard, c’est fusiller quelqu’un. Dans les rencontres de Jésus, souvent son regard précède ses paroles. Entre deux personnes, il y a rencontre de deux vérités, avec tout leur poids de qualités et de défauts.
JÉSUS ET ZACHÉE (LUC 19, 1-10).
Ce texte est pris dans l’évangile de Luc, qui est le plus long des quatre évangiles, et, de plus, c’est celui qui a suscité le plus grand nombre d’ouvrages concernant sa théologie. Ce texte n’existe que dans Luc. Il est ultra-connu, mais on ne le lit pas avec assez d’attention.
La scène se passe vers la fin du récit pendant le voyage de Jésus vers Jérusalem, plus précisément lors de la dernière étape.
1. Entré dans Jéricho, il traversait la ville.
Il s’agit de la ville dont il est question dans le livre de Josué, rendue célèbre par la manière dont elle fut vaincue. Jésus vient d’annoncer à ses disciples qu’il doit monter à Jérusalem, après avoir guéri un aveugle. Lors de son troisième et dernier voyage à Jérusalem, Jésus avait traversé le Jourdain à gué, et la route qui conduisait à Jérusalem passait à travers Jéricho, “la ville des palmiers”, la ville principale de la Judée orientale. Elle était protégée par un rempart de montagnes, d’où la route montait sur Jérusalem, à plus de 1000 mètres au-dessus de la plaine de Jéricho.
2. Et voici un homme appelé du nom de Zachée ; c’était un chef de publicains, et qui était riche.
Première remarque : Zachée est riche : Rappelez-vous la rencontre avec le jeune homme riche (Luc, 18, 24-27) :
24 En le voyant, Jésus dit : « Comme il est difficile à ceux qui ont des richesses de pénétrer dans le Royaume de Dieu !
25 Oui, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu ! »
26 Ceux qui entendaient dirent : « Et qui peut être sauvé ? »
27 Il dit : « Ce qui est impossible pour les hommes est possible pour Dieu.
Seconde remarque : il s’agit d’un chef de publicains riche, donc un collecteur d’impôts pour Rome, et comme tel, homme impur à ne pas fréquenter. En effet, les Romains affermaient au plus offrant la tâche de collecter les impôts dans un territoire déterminé. Les adjudicataires ne recevaient aucun salaire pour leur travail mais ramassaient autant d’argent qu’ils le pouvaient, afin de conserver en surplus une coquette somme après avoir remis au gouvernement le montant convenu. Ce qui en faisait souvent des persécuteurs et des voleurs. Zachée était un fermier-général de ce genre.
Troisième remarque : Pour les Juifs de cette époque, quantité de choses pouvaient vous rendre impur, et on pouvait le devenir même sans le vouloir. Un simple contact avec un objet, un animal ou un homme impur vous rendait automatiquement impur. Rester ou devenir impur était de nature à vous exclure de la société. Les rites de purification étaient nombreux et variés.
3. Et il cherchait à voir qui était Jésus, mais il ne le pouvait à cause de la foule, car il était petit de taille.
Zachée a bien l’intention de voir Jésus, mais il y a foule et elle l’empêche de le voir. La « foule » est citée une vingtaine de fois dans l’évangile de Luc, et par trois fois elle empêche quelqu’un qui en a envie de s’approcher de Jésus : faut-il parfois se mettre à l’écart de la foule pour le rencontrer ?
4. Il courut donc en avant et monta sur un sycomore pour voir Jésus, qui devait passer par là.
Zachée chercha à le voir, acte de foi ou simple curiosité ? Mais il n’hésite pas sur les moyens à utiliser. Bien que chef des publicains, il n’eut pas honte d’agir de manière aussi peu conventionnelle afin d’apercevoir Jésus. Comme il était de petite taille, il savait qu’il aurait du mal à trouver l’endroit adéquat d’où il pourrait facilement voir le Seigneur. Il courut donc en avant, et monta sur un sycomore (une sorte de figuier aux branches basses), le long de la route que devait emprunter Jésus.
5. Arrivé en cet endroit, Jésus leva les yeux et lui dit : « Zachée, descends vite, car il me faut aujourd’hui demeurer chez toi. »
L’acte de foi de Zachée ne passe pas inaperçu. Arrivé près de l’arbre, Jésus lève les yeux et le voit. Il lui intime l’ordre de descendre rapidement et s’invite dans la maison de ce publicain. C’est le seul cas qui nous soit rapporté où Jésus s’est invité lui-même chez quelqu’un. Jésus décide de descendre dans la maison de Zachée, alors que la ville de Jéricho devait compter bien d’autres maisons de gens honorables ouvertes à Jésus.
Retournement du dénouement : Zachée cherchait à voir Jésus, mais en réalité c’est Jésus qui le cherchait, pour lui apporter le salut ! Il y a contraste dans le personnage : il est chef, collecteur d’impôts et riche. Jusqu’ici, les riches et les notables ont été affectés d’une valeur négative tandis que les pécheurs ont bénéficié d’une évaluation positive. Zachée est a priori inclassable ! Le lecteur est invité à ne pas tomber dans les classements simplistes !
Il faut remarquer que personne n’a présenté Zachée à Jésus. Jésus le connaît d’emblée. Il me faut DEMEURER chez toi, dit-il. Nous devons constater que « demeurer », c’est plus fort que « aller chez toi ». Plusieurs mentions dans l’évangile de Jean le signalent et donnent à ce mot un sens bien particulier :
Jean 6:56 Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui.
Jean 14:23 Jésus lui répondit : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui.
Jean 15:5 Moi, je suis la vigne ; vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit ; car hors de moi vous ne pouvez rien faire.
6. Et vite il descendit et le reçut avec joie.
Cette invitation procure de la joie à Zachée qui réagit. Notez la spontanéité du mouvement, il n’en attendait certainement pas tant. Voilà qu’il se sent reconnu alors que sa profession le fait rejeter par tous. Il n’espérait pas tant d’honneurs de la part du Grand Maître, et ne pensait pas qu’il se mêlerait à une classe si méprisée par les Juifs.
Nous pouvons presque sûrement faire remonter la conversion de cet homme à ce moment-là. Ceux qui cherchent sincèrement à voir qui est Jésus, comme l’a fait Zachée, franchiront toute opposition, et feront tous leurs efforts pour le voir. Le Christ s’est invité lui-même à la maison de Zachée. Où le Christ vient, il ouvre le cœur, et l’incline à le recevoir. Celui qui a à l’esprit de connaître le Christ, sera connu de lui. Ceux que le Christ appelle, doivent répondre avec humilité et réviser leur position. Nous pouvons le recevoir avec joie, puisqu’il n’apporte que du bien avec lui.
7. Ce que voyant, tous murmuraient et disaient : « Il est allé loger chez un homme pécheur ! »
La foule murmure, à la manière des faux-culs : les gens parlent entre eux, ils ne s’adressent pas directement à Jésus qui est pourtant là tout près d’eux. Jésus fréquente un pécheur, donc ils sont pécheurs tous les deux ! Ce Zachée est impur ! Il ne faut pas le fréquenter sinon on devient impur soi-même !
Combien de fois avons-nous le récit de telles plaintes sur Jésus qui s’arrête en compagnie de pécheurs ! A ce moment, cependant, la foule espérait que son royaume serait proclamé à Jérusalem, et il était ici l’hôte d’un agent principal de la collecte du tribut pour les Romains ! Si le Christ avait songé à se rendre populaire, il ne se serait jamais rendu chez Zachée !
8. Mais Zachée, debout, dit au Seigneur : « Voici, Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai extorqué quelque chose à quelqu’un, je lui rends le quadruple. »
Lorsqu’il parle à Jésus, Zachée n’est pas à genoux mais debout : bien décidé dans ses résolutions. Il appelle Jésus « Seigneur ». Il veut donner et réparer le tort qu’il a pu faire. Les Romains obligeaient à rembourser au quadruple dans certains cas d’abus. C’était davantage que ce que la loi de Moïse exigeait (Ex 22.4, 7; Lev 6.5; Nom 5.7). Cette disposition montre que Zachée était désormais animé par l’amour, alors qu’autrefois, il était dominé par la cupidité ; là, Zachée s’auto-punit. De sa propre volonté, car il est devant le JUSTE. La conversion de Zachée illustre la vérité énoncée en Luc 18.27 : « Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. ». Zachée était un homme riche ; normalement, un riche ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Mais Zachée s’est humilié devant le Sauveur et n’a pas permis à sa richesse de faire écran entre son âme et Dieu. On ne sait pas les paroles échangées entre Jésus et Zachée, mais les paroles prononcées font que Zachée reconnaît Jésus comme le « Seigneur ».
Une lecture superficielle pourrait faire croire que Zachée se targue d’être philanthrope et fait de sa générosité la condition de son salut. Telle n’est pas la pensée. Il témoigne tout simplement du fait que la vie nouvelle dans le Christ lui donne envie de réparer les fautes passées, et, par reconnaissance envers Dieu pour le salut, il veut utiliser son argent pour la gloire de Dieu et le bien de ses voisins.
Zachée a donné publiquement des preuves qu’il était devenu un véritable converti. Il ne cherche pas à être justifié par ses œuvres, comme le pharisien; mais par ses bonnes œuvres il veut, à travers la grâce de Dieu, montrer la sincérité de sa foi et de son repentir.
9. Et Jésus lui dit : « Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison, parce que lui aussi est un fils d’Abraham.
Un vrai « fils d’Abraham » ne l’est pas par le sang, mais par l’esprit. Jésus déclare explicitement que le salut est entré ce jour-là dans la maison de Zachée, parce que ce publicain est aussi un fils d’Abraham. Le salut n’est pas entré parce que Zachée était un Juif de naissance. L’expression « fils d’Abraham » indique plus que les seuls liens du sang : Zachée a fait preuve de la même foi dans le Seigneur que le patriarche. Le salut n’était donc pas entré dans la maison de Zachée en raison de sa charité et de ses restitutions. Ces œuvres étaient la conséquence du salut et non sa cause.
10. Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.
Cette dernière phrase est un texte rajouté. Mais on peut la prendre comme une réponse de Jésus à ceux qui l’ont critiqué pour être entré chez un pécheur en disant que le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. La conversion de Zachée est le parfait accomplissement et la raison d’être de sa venue dans le monde.
Conclusion
Jésus a dit : « Il me FAUT demeurer chez toi » ; Dieu a besoin des hommes. Si Jésus était passé sans voir Zachée, il se serait mis du côté de ceux qui le rejettent. Or, il se fait complice de celui à qui il rend sa dignité. C’est le résultat de la rencontre de deux désirs : vif désir de Zachée de rencontrer Jésus ; vif désir de Jésus de rencontrer Zachée, d’être au cœur de cet homme. Chacun fait un pas vers l’autre. Jésus reconnaît ceux qui le cherchent et demeure en eux. Lui, Jésus, a accompli sa mission, et l’homme est sauvé. La foule murmure parce qu’elle est bousculée dans ses manières de penser. Elle peut continuer à murmurer ou bien accueillir l’exclu comme Jésus le fait. La même chose pour l’Eglise. La même chose pour nous : Jésus n’a jamais refusé de rencontrer quelqu’un, – ceci est une remarque personnelle – y compris les divorcés-remariés qui ont un grand désir de le recevoir.
Ce récit nous montre bien que se convertir signifie apprendre à dire « abba », « Père ! », jeter toute sa confiance dans le Père céleste, retourner dans la maison et dans les bras du Père (comme l’enfant perdu). On voit bien ici la différence avec le Baptiste ; Jean accueille les coupables après qu’ils ont manifesté leur disposition à mener une vie nouvelle ; Jésus offre aux pécheurs le salut avant qu’ils fassent pénitence.
Auteur : Claude BOURET